Témoignages. Six mois après le début de la guerre en Ukraine, des réfugiées à Nice racontent : "au moins, ici, il y a la paix"

Publié le Mis à jour le Écrit par Sarah Dumeau

Ce 24 août 2022 marque les six mois du conflit ukrainien, débuté le 24 février par l'invasion russe. Nous avons rencontré quatre Ukrainiennes réfugiées à Nice. Même si elles ont désormais un toit, leurs vies restent suspendues à ce qui se passe au front.

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"La fin d'août est toujours très festive pour les Ukrainiens", explique OIga Monakh, de l'association Franco-ukrainienne de la Côte d'Azur. Mais cette année, l'ambiance est toute autre. Le 24 août - jour de la fête nationale, qui célèbre l'indépendance de l'Ukraine face à l'ex-URSS - coïncide tristement avec les six mois de la guerre. 


Au début du conflit, de nombreuses femmes ont traversé la frontière avec leurs enfants, laissant leurs maris et fils faire la guerre au pays. Nous en avons rencontré quatre, arrivées à Nice au début du conflit. Trois d'entre elles vivent toujours en famille d'accueil, faute d'avoir pu trouver un logement.

Anastasiia Bevza est venue vêtue du Vyshyvanka, une tunique traditionnelle ukrainienne, blanche avec des broderies rouges, que l'on porte pour les jours de fête.

Aujourd'hui, ça fait six mois qu'elle est en France. Cette femme d'une cinquantaine d'années est arrivée dès le début de la guerre, avec ses deux enfants de huit et treize ans. Son fils est resté faire la guerre au Ukraine. Elle est en contact très régulièrement avec lui par téléphone, et est venue le voir lorsqu'il a eu une permission de quelques jours, le mois dernier.

J'ai l'impression de vivre deux réalités parallèles, confie-t-elle. Tous les matins, je pense à lui, à ce qui se passe au pays, mais moi je suis ici, en sécurité. C'est difficile de vivre une vie normale même si, maintenant, parfois, je commence à sourire.

Anastasiia Bevza.


Depuis le mois d'avril, Anastasiia travaille dans un hôtel, où elle sert le petit-déjeuner. Un métier à l'opposé de la position privilégiée qu'elle occupait à Khmelnytsky, une ville au sud-ouest de l'Ukraine.

"Des fois, je pense au fait qu'en Ukraine j'avais ma propre clinique de réhabilitation psychologique, où onze personnes travaillaient pour moi", explique-t-elle. "C'était son rêve d'ouvrir cette clinique", ajoute Olga Monakh, de l'association Franco-ukrainienne, qui connaît bien son histoire.

"Les gens me servaient le café et maintenant je sers des petits déjeuners", poursuit Anastasiia. Elle n'a pas pu faire reconnaître ses diplômes en France. Un problème rencontré par de nombreux réfugiés ukrainiens, qui occupent des postes pour lesquels ils sont surqualifiés. "Mais de toute façon, quand je suis arrivée, j'étais dans un tel état psychologique que je n'aurais pas pu travailler comme psychologue", raconte Anastasiia. Pour autant, elle ne souhaite surtout pas se plaindre : "Oui, sûrement que c'est difficile, mais je n'ai pas le choix, je dois travailler, alors je prends ce qu'il y a à prendre".

Impossible de se loger dans le privé

Genya Popova revient sur le parcours du combattant qu'elle a vécu pour arriver à trouver un logement avec ses trois enfants, dont un est atteint du syndrome d'Asperger.

Une difficulté que rencontrent de nombreuses familles ukrainiennes qui ne peuvent pas louer par la voie classique, faute de papiers français et d'un contrat de travail. "Au début, c'était difficile parce que je ne savais pas quels endroits étaient dangereux, quels quartiers étaient plus tranquilles à Nice... donc j'avais tout le temps peur", raconte-t-elle dans un bon Français, bien qu'un peu hésitant, qu'elle a appris pendant ses études.

Genya et ses trois enfants ont vécu les premières semaines à l'hôtel : "nous déménagions presque chaque jour et une fois par jour, nous sortions manger quelque chose dehors. Mais j'étais très angoissée parce que je ne savais pas combien de temps nous allions devoir rester ici, j'avais peur que mes économies ne suffisent pas... Donc mes enfants commandaient quelque chose, mais moi je ne mangeais rien", confie Genya, avec ses longs cheveux bruns et son visage maquillé. 

"J'avais énormément maigri. Il a fallu attendre que mon mari vienne, il a été très choqué de me voir aussi maigre et il m'a dit : ne t'en fais pas pour l'argent, tu peux manger !", raconte-t-elle. Après l'hôtel, elle et ses enfants ont été accueillis provisoirement dans un centre d'accueil pour SDF. "Si j'avais été toute seule, j'y serai restée mais avec les enfants je ne pouvais pas". Genya a finalement réussi à obtenir un logement social et se sent désormais plus en sécurité dans les rues de Nice. "J'ai rencontré mes voisins qui sont tous très gentils et viennent toujours me demander si j'ai besoin de quelque chose, mais je leur dis non, c'est bon", explique-t-elle en riant. 

Accepter de l'aide

Chez toutes ces femmes issues des milieux aisées, la gêne, voire la honte, de demander de l'aide est visible. "En Ukraine, je donnais à une association qui ressemble au Secours Populaire, ça me fait très bizarre que maintenant, ce soit moi qui reçoive des dons", confie Yuliie Turzhanske, une mère de six enfants originaire de Kiev. 


Quand on leur demande comment elles se sentent en France, six mois après leur arrivée, ces femmes ont du mal à exprimer leurs ressentis. "Au moins ici, il y a la paix", résume Anastasiia. "Ce qui se passe là-bas, c'est tellement dur... ça m'empêche d'avoir du plaisir à vivre ici. C'est comme si toute la beauté de la Côte d'Azur, je ne la voyais qu'à travers un rideau", illustre Olha Tanchyna, la mère d'un enfant de cinq ans.

Elle vit difficilement la séparation avec son mari, resté en Ukraine pour aider, avec qui elle est en contact très régulièrement par téléphone. "Mais au final, je crois que ce conflit nous a beaucoup plus réuni et lié, même si nous ne voyions pas", ajoute Olha, psychologue de formation, qui s'efforce de voir le côte positif.

Même si toutes ces femmes sont très reconnaissantes de l'accueil qui leur a été réservé en France, elles n'attendent qu'une chose : pouvoir retourner vivre en Ukraine. "S'il y a besoin, un jour, j'espère que nous pourrons vous accueillir comme vous nous avez accueillis", résume Genya.

En attendant, elles se mobilisent pour apporter leur aide aux combattants, même à distance. Anastasiia et sa fille de 13 ans font des gâteaux qu'elles vendent au profit de l'association Franco-ukrainienne de la Côte d'Azur.

L'association organise ce 24 août un concert de solidarité, qui aura lieu au théâtre de Verdure, à Nice de 17 heures à 22 heures.

On pourra y découvrir "Pikkardiyska Tertsia", un groupe culte ukrainien. Le prix des places varie entre 15 et 80 euros. L'argent ainsi récolté permettra de financer le voyage d'une ambulance qui apportera des produits de première nécessité en Ukraine.

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