Témoignages. UTMB Nice 2024. "Ce qui compte, c'est le mental" : la bataille sportive et psychologique des coureurs

Publié le Écrit par Sofian Aissaoui

Corps solide et mental d'acier sont indispensables pour réussir à courir les 159 kilomètres de la course reine de l'UTMB Nice 2024. Récit d'une nuit où les coureurs ont puisé au plus profond d'eux-mêmes pour réussir ce défi immense.

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C'est un défi pour soi-même et contre soi-même. L’ultra-trail est une course aussi fascinante qu’intimidante. Bien plus qu'un défi physique, elle représente pour les coureurs un défi psychologique, une longue lutte contre son mental pour tenir jusqu'au bout des 159 kilomètres.

Entre Tourrette-Levens et Villefranche-sur-Mer, images de ces coureurs qui ont repoussé les limites de leurs corps et de leur esprit.

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Tenir coûte que coûte

"Ce qui compte, ce n’est pas tant la condition physique, mais le mental", confie Pierre, 65 ans, ultra-traileur depuis 2017. Il impressionne par sa vivacité et sa décontraction. "L’an dernier, j’ai abandonné parce que je savais que ma femme pouvait venir me chercher. Cette année, je suis seul. Pas d’autre choix que de finir ! » 

Se lancer dans une course de 159 kilomètres, cela ne se joue pas uniquement sur l’entraînement physique rappelle-t-il : la préparation psychologique se doit d’être minutieuse. Le sommeil, ou plutôt l’absence de sommeil, peut avoir des conséquences majeures sur le bon déroulé de la course.

"On attaque la deuxième nuit blanche, raconte de son côté un autre coureur alors qu'il vient de se réveiller d'une micro-sieste. Je me suis arrêté 15 minutes pour dormir, mais ça ne fait pas de miracle. Ce qui me fait tenir, c’est le mental."

Chaque moment de sommeil est pour les coureurs un instant de réconfort... et un risque : celui de laisser son esprit prendre le dessus. Pour beaucoup des sportifs, l’ultra-trail est une épreuve de volonté pure. À mesure que les kilomètres défilent, la douleur s’intensifie. Et leur mental tente de leur jouer des tours.

Quand le mental décide pour le corps

"Un caillou, une mauvaise foulée, et c’est fini", explique Jules, qui participe pour la première fois à une course de plus de 80 kilomètres. Arrivé au 130ᵉ kilomètre à Tourrette-Levens, le défi est désormais pour lui de rester concentré jusqu’au bout.

C’est cette peur de l’imprévisible qui pousse chaque coureur à maintenir son attention, malgré la fatigue extrême… et les blessures.

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L’un d’eux arrive dans la salle avec une énorme cloque sur le pied, témoignant de la difficulté du parcours. Et s’il fallait abandonner ? "Hors de question : j’ai pas fait tout ça pour rien !", lâche-t-il, décidé à finir ses derniers 25 kilomètres coûte que coûte.

Au-delà de la fatigue physique, c’est bien le mental qui prend les commandes sur la seconde moitié de la course. Avec 130 kilomètres derrière eux, les coureurs du 100 miles ont déjà traversé la première nuit sans dormir.

À ce stade, le corps est épuisé et c’est la tête qui décide si l’on continue ou non. Tous ne parviennent pas à franchir la ligne d’arrivée. Peu après minuit, un coureur visiblement au bout de ses forces est pris en charge par Mohamed, un bénévole.

"Tu es sûr de vouloir abandonner ? On a de quoi te faire dormir là-haut !", tente-t-il de le convaincre. Mais pour le sportif, c’est terminé. "C’est pas qu’une question de kilomètres, explique-t-il. Ce qui compte, c’est le défi qu’on se lance à soi-même."

Si les coureurs s’extasient volontiers de la beauté des paysages, les chemins escarpés leur donnent aussi clairement du fil à retordre. À chaque foulée, c’est leur endurance mentale et leur résilience face à la fatigue, à la douleur et à l’usure du corps qui sont mises à l’épreuve.

"Tu veux un Doliprane ?" demande la proche d’une coureuse. On t’a préparé ton lit, tu peux aller te reposer." Plus loin, un dilemme se pose pour ceux qui sont venus en groupe. "S’il va se coucher, on y va, on ne peut pas l’attendre !" dit un coureur. Alors que le mental commence à faire faiblir les sportifs, le besoin de sommeil se fait vital pour son ami. "J’ai juste besoin de 20 minutes !" tente-t-il d'argumenter.

Bénévoles et secouristes au rendez-vous

À l’intérieur de la salle des fêtes, un espace au premier étage est dédié aux coureurs qui ont besoin de se reposer. Mohamed, un habitant du village et membre du club local de trail, s’occupe de ceux qui arrivent exténués.

"Tu veux que je te réveille dans combien de temps ?", demande-t-il régulièrement. Ces siestes d’une dizaine de minutes, bien que courtes, sont parfois la clé pour que les athlètes puissent repartir avec une énergie nouvelle. L’un d’eux, après une courte pause, reprend la course, le visage marqué par la fatigue. D’autres coureurs, comme Jules, s’appuient sur de petits rituels pour tromper leur corps et leur esprit.

« Je me suis toujours dit que si je me forçais à sourire, ça envoyait de bonnes ondes à mon cerveau », confie-t-il en plaisantant. Pour apaiser ses douleurs, il utilise également un masseur électronique pour détendre ses muscles mis à rude épreuve. « Là, j’ai une douleur au niveau des nerfs ou des ligaments, et je masse pour relâcher la pression. Ça fait vraiment beaucoup de bien ! », explique-t-il, optimiste.

Au milieu de la nuit, on trouve d’un côté l’agitation bienveillante des bénévoles et secouristes, et de l’autre le silence intérieur des coureurs. À ce moment-là, pour beaucoup, la course est devenue une épreuve mentale, où le corps réclame du repos tandis que l’esprit se bat pour continuer. Les corps sont usés par les kilomètres, ils peinent à suivre.

La fatigue accumulée transforme chaque pas en un défi supplémentaire. Alors que les abandons se multiplient dans la nuit, certains, comme Kirian, trouvent des solutions pour surmonter les douleurs. Il applique du célèbre baume du tigre sur ses mollets, espérant améliorer la circulation sanguine et apaiser les crampes. 

"Un bon bouillon bien salé, c’est notre potion magique pour les requinquer", explique une secouriste au niveau de Villefranche-sur-Mer. À ce niveau de la course, les coureurs touchent du doigt la fin du parcours.

"On en a bien bavé pendant la première nuit, explique un coureur originaire de Grenoble. Là c’est la cerise sur le gâteau. Les étapes d’énervement dans les montées, c’est derrière !"  Ils ont désormais face à eux une vue sur la Promenade des Anglais : la ligne d'arrivée est à seulement quelques kilomètres. 

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