Ce vendredi 21 octobre, les représentants de six associations de victimes sont passés à la barre au procès de l'attentat de Nice. Leurs témoignages ont conclu les cinq semaines d'audience consacrées aux parties civiles.
Plusieurs parties civiles ont témoigné ces cinq dernières semaines de ce moment étrange qu'elles ont vécu au lendemain de l'attentat du 14 juillet à Nice (Alpes-Maritimes). À la maison des victimes, quelques minutes après avoir appris la mort de leurs proches lors de l'attaque, plusieurs brochures leur sont mises dans les mains. Ce sont celles des associations de victimes de terrorisme qui existent déjà.
Les personnes sur place, des psychologues ou des agents de la ville, conseillent aux victimes de se tourner au plus vite vers elles pour trouver un accompagnement. Les parties civiles qui ont témoigné de ce moment ont toutes dit s'être senties perdues avec ces brochures qu'elles ne comprenaient pas, parce qu'elles ne comprenaient pas forcément, dès ce moment-là, qu'elles étaient, elles aussi, victimes de cet acte de terrorisme.
Ce vendredi 21 octobre, plusieurs associations de victimes sont venues témoigner au procès de l'attentat de Nice. "On était tous dans le désarroi le plus total face aux démarches", explique Stéphane Erbs, co-président de l'association Promenade des Anges. Il dénonce un "réel manque de soutien des pouvoirs publics" que l'association est venue pallier et regrette que ce soit aux associations de réaliser la plus grande partie de l'accompagnement des victimes.
Une aide à la reconstruction
Lors de leurs témoignages, les représentants ont pu témoigner des actions mises en place par leur association qui ont "contribué à la reconstruction" des victimes.
Pour Promenade des Anges, la "priorité a été donnée au réconfort et au soutien des enfants", indique Stéphane Erbs. Plusieurs projets sont nés au fil des années. Avec le soutien de la Fondation Lenval, le projet 1407 vise à mener des recherches en pédopsychiatrie sur le traumatisme des enfants en les suivant jusqu'à leur 25 ans.
Il y a aussi, avec l'ONG américaine Tuesday's Children, le projet Common Bond, qui permet à des enfants victimes d'acte terroriste de se rencontrer et d'échanger, ce qui les fait "s’ouvrir comme ils ne peuvent pas s’ouvrir avec leurs familles".
Hager Ben Aouissi a également témoigné au nom de son association Une voie des enfants, qui a permis à des enfants traumatisés et à leurs parents de trouver d'autres familles qui vivaient les mêmes problèmes depuis six ans.
Faire perdurer la mémoire
Les associations ont également permis la naissance de projets à haute symbolique pour rendre hommage aux victimes décédées lors de l'attentat. Anne Murris, présidente de Mémorial des Anges et ancienne membre de Promenade des Anges, a notamment parlé des 86 galets peints par des enfants niçois qui ont été apportés sur la chaîne de l'Himalaya. "Chaque galet portait le nom d'une victime disparue", détaille-t-elle.
Son association est également à l'origine du projet de création d'un mémorial musée. Ce lieu serait à la fois "un centre de mémoire, un centre pédagogique et un centre de recherche scientifique pour lutter contre le terrorisme et la radicalisation".
Tous ces projets menés de front par les associations visent à faire vivre la mémoire des victimes décédées mais permettent également aux victimes survivantes de "sortir de leur souffrance", témoigne Anne Murris.
Quelques tensions avec la ville de Nice
Les associations ont également initié le projet d'installation d'une œuvre mémorielle sur la Promenade des Anglais, qui a été inaugurée en juillet 2022. Les associations ont expliqué avoir bataillé avec la ville de Nice pour que "L'Ange de la baie" de Jean-Marie Fondacaro soit placé sur la Promenade des Anglais et non dans un autre lieu moins touristique de la ville.
Cette bataille avec la Ville n'était pas la première. Les témoins de Promenade des Anges et de Mémorial des Anges ont tous deux parlé des "combats" qu'ils avaient dû mener dès le début avec la mairie pour se faire entendre.
Cela a été le cas lorsqu'il a été question de déplacer les objets apportés par les Niçois sur la Promenade, puis au kiosque à musique, pour rendre hommage aux victimes. Ces objets commençaient à s'abîmer à cause des intempéries.
La ville de Nice n’accordait pas d’importance à tout cela. Elle souhaitait que le kiosque à musique soit débarrassé parce que ça faisait un peu négligé. On nous a interdit l’accès au kiosque prétextant qu’il fallait le sécuriser, sauf que des objets ont disparu !
Anne Murris
Un compromis a finalement été trouvé, les collections sont gardées dorénavant aux archives de Saint-Laurent-du-Var. Elles appartiennent aux associations et non à la ville, contrairement à Paris, explique Anne Murris, qui se souvient d'une "bataille très difficile".
Le témoignage de ces associations a aussi été l'occasion de parler des batailles qu'elles ont dû mener pour parvenir à une commémoration du premier anniversaire de l'attentat qui convenait aux victimes. "La ville souhaitait faire un simple dépôt de fleurs au niveau du château", affirme Anne Murris.
La délocalisation de l'hommage était une chose "inconcevable" pour l'association Promenade des Anges dont elle faisait partie à l'époque. "On a bataillé pour qu'il n’y ait pas de feu d’artifice", assure-t-elle également.
Ce sont finalement les 86 faisceaux lumineux que l'association souhaitait voir qui ont été allumés le soir du 14 juillet 2017. "Au-delà de la beauté, il y a toute la symbolique de la lumière, la connaissance, le savoir, la vie, la spiritualité", explique Anne Murris.
Des demandes transmises à la cour
Le passage à la barre de ces parties civiles en tant qu'association a permis également de faire passer quelques - derniers - messages à la cour.
Stéphane Erbs a rappelé que, sans les associations, les "sujets difficiles" comme celui du prélèvement des organes sur les victimes auraient eu du mal à circuler entre victimes et auraient pu être accueilli encore plus difficilement par celles-ci.
Par la même occasion, il a remercié le procureur François Molins d'avoir "laissé entendre un message positif, la possibilité de récupérer ces organes avec une identification particulière" lorsqu'il est venu témoigner lundi 10 octobre. "Nous l'en remercions, c'est l’aboutissement d’un chemin de croix."
Le co-président de Promenade des Anges a également exprimé le souhait "que le législateur se saisisse de ce vide pour encadrer les pratiques des instituts médico-légaux".
Je pense qu’il faut modifier les textes de loi pour que plus jamais une famille qui a perdu un proche n'ait à revivre cela.
Stéphane Erbs
Comme un dernier message, Stéphane Erbs a fait part de sa crainte de voir un non-lieu prononcé à la suite de l'instruction sur les responsabilités des institutions, concernant la sécurisation de la Promenade. "Je voulais remercier la cour pour avoir laisser les victimes s’exprimer aussi largement sur ce sujet-là", a-t-il ajouté en rappelant que, pour son association, constituée partie civile dans cette affaire-là également, ce procès est "nécessaire".
Ces témoignages ont été l'occasion de montré les liens "très étroits" que les victimes ont tissé au fil des années. Des liens parfois plus forts que ceux de la famille, "même si on dit souvent qu’on aurait préféré ne jamais se connaître", conclut Stéphane Erbs avec le sourire.