Gilles Gamberi était sur la promenade des Anglais lors de l'attentat qui a fait 86 morts à Nice en 2016. Il raconte comment il a été mis en joue par le terroriste, alors qu'il tentait de stopper sa course meurtrière. Rencontre, à l’approche du verdict dans le procès en appel de l’attentat.
Gilles Gamberi ne se souvient que trop bien du soir du 14 juillet 2016. De cette fête nationale qui a tourné au drame. Lorsque Mohamed Lahouaiej-Bouhlel fonce au volant d'un camion sur les milliers de spectateurs venus assister au feu d'artifice sur la promenade des Anglais, tuant 86 personnes, Gilles Gamberi assiste à un concert avec des amis.
"On a entendu un brouhaha derrière nous, des cris, des hurlements... Puis j'ai vu passer dans mon dos un camion blanc à faible vitesse (...) et juste après le passage du camion des hurlements indescriptibles", raconte celui qui suit attentivement le procès en appel de deux personnes soupçonnées d'avoir aidé le terroriste.
Gilles Gamberi accourt sur la chaussée. Il est alors saisi par l'effroi : "j'ai découvert une scène apocalyptique, avec énormément de gens au sol, très très grièvement blessés pour la plupart. Dans la minute qui a suivi, je me suis rendu compte que le camion poursuivait sa route et était en train de ralentir, voire de s'arrêter. J'ai cru à un accident de la circulation".
Mis en joue par le terroriste
Gilles Gamberi se fie à son instinct. Il se projette sur le camion pour tenter de l'arrêter et "surtout porter secours au chauffeur que je croyais être en difficulté", explique-t-il. La réalité est tout autre : "quand je suis arrivé sur le camion (...) je suis monté sur le marchepied, un peu décalé par rapport a la fenêtre. C'est là que, très rapidement, je me suis retrouvé nez-à-nez avec une arme".
En une fraction de secondes, Gilles Gamberi tente de la saisir.
"Ou l'arme, ou le bras de la personne qui était à l'intérieur, tente-t-il de se souvenir, j'ai essayé de l'arracher mais je n'y suis pas arrivé. J'ai sauté du camion et j'ai entendu deux coups de feu dans mon dos. J'ai cru être touché !
Je me suis précipité à l'arrière du camion. J'ai vu que je ne saignais pas, que je n'avais pas mal, que j'étais indemne...
Gilles Gamberi.
Il attend quelques instants caché à l'arrière du camion, "pensant que le chauffeur allait sortir d'un côté ou de l'autre". Le terroriste ne se manifeste pas. Gilles Gamberi en profite pour fuir : "je suis parti vers l'aéroport, dans l'axe du camion, pour me protéger. J'ai rencontré très rapidement un policier qui arrivait en face de moi".
Il lui expose immédiatement la situation : "je l'ai stoppé en lui disant que je venais de me faire tirer dessus. Que j'avais essayé de rentrer dans la cabine, que je n'y étais pas arrivé, mais que je savais à peu près là où était l'individu dans la cabine". Les deux hommes s'engagent vers l'habitacle. Gilles Gamberi montre un endroit précis au policier. "Il a fait feu devant moi. De la totalité de son arme", se remémore-t-il, éprouvé.
durée de la vidéo : 00h01mn50s
Gilles Gamberi suit attentivement le procès en appel de l'attentat du 14 juillet 2016. Il fait partie des trois hommes qui ont tenté d'arrêter le camion sur la promenade des Anglais.
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©Michel Bernouin / FTV
Orienter la police et apporter les premiers soins aux victimes
Gilles Gamberi retourne ensuite se retrancher à l'arrière du camion et tombe sur une autre policière. Il lui indique qu'un de ses collègues est aux prises avec le terroriste, avant de repartir en courant pour rejoindre ses amis. "Je me suis rendu compte que j'avais une cinquantaine de personnes devant moi, très grièvement blessées, voire décédées...", décrit-il. Aux côtés de nombreux survivants, il apporte alors les premiers soins aux victimes.
"J'ai commencé à faire des points de compression, poser des garrots, appeler d'autres personnes qui pouvaient aider, aller chercher du linge pour faire des garrots ou aller demander à des restaurateurs à côté des nappes ou des draps pour couvrir certains corps qui étaient très grièvement endommagés... ", se souvient-il.
Le lendemain matin, Gilles Gamberi se rend à la caserne policière Auvare (Nice), où il signe une déclaration après deux heures d'interrogatoire.
Je leur ai donné plein d'éléments que je pensais succincts, mais qui les ont aidés dans la définition de la fin de l'accident, puisque le début, ils l'avaient en vidéo
Gilles Gamberi
"Je vais plutôt bien par rapport à ce que j'ai vécu"
Pour guérir du traumatisme, Gilles Gamberi a suivi trois ans de psychothérapie. "J'ai mis longtemps à admettre que j'étais une victime", reconnaît-il. Et un héros ? "Un héros ? Je pense qu'il y en a d'autres qui ont été plus héroïques que moi ce jour-là. Moi, je n'ai pas maîtrisé la situation parce que je pensais que c'était un accident, au début".
Gilles Gamberi n'a jamais croisé le regard du terroriste. Il n'a vu que sa main et son arme. "Je vais plutôt bien par rapport à ce que j'ai vécu, assure-t-il, si je suis là, c'est surtout parce que je pense aux victimes. À toutes les personnes blessées, hypertraumatisées... Parce qu'il y a des gens qui ont perdu des proches, voire de nombreux proches".
"En mémoire de ces gens-là, je me devais d'être là. Je suis aussi une victime, mais à bien moindre niveau que beaucoup d'autres personnes. J'espère qu'elles vont aller vers de l'apaisement. Et qu'elles vont pouvoir redémarrer une vie, si tant est qu'on puisse le faire. Mais je pense que pour certains, ça va être très compliqué...", déplore Gilles Gamberi.
Lors du procès en première instance, à la fin de l'année 2022 à Paris, il s'était exprimé à la barre. Beaucoup de personnes l'ont remercié après son audition, quand elles ont su ce qu'il avait fait. "Je leur ai demandé de ne pas me remercier, parce que je pense que c'est normal d'avoir fait ce que j'ai fait".
Le verdict dans le procès en appel de l’attentat de la Prom est attendu la semaine prochaine.