Huit ans après l'attentat de Nice, le traumatisme est encore très présent chez les rescapés. Pour tenter d'atténuer le stress post-traumatique, certains testent une nouvelle thérapie : la plongée sous-marine.
Plonger pour panser des plaies invisibles... Sophie, Valéry et Patrick sont liés à jamais par ce qu'ils ont vécu et vu le soir du 14 juillet 2016, lors de l'attentat sur la promenade des Anglais à Nice, où 86 personnes ont été fauchées par le camion d'un terroriste.
Ces trois survivants souffrent de stress post-traumatique. Ce jour-là, ils embarquent en mer et vont plonger ensemble pour la première fois. "Pour moi, c'est compliqué, mais je suis là !", se persuade Valéry Luczynski.
Thérapie hors norme
Contre les traumatismes, la plongée aurait de précieuses vertus, étudiées depuis des années par plusieurs médecins. Diminution du stress ou du rythme cardiaque, d'autres victimes d'attentats ont déjà testé cette thérapie hors norme.
En mars dernier, des victimes de l'attentat participaient à une étude clinique des effets physiologiques de la plongée sous-marine sur les troubles de stress post-traumatique. Un projet porté par l’association de médecins "Dive4Nice" du CHU de Nice et son initiateur, le docteur Carl Willem, médecin du sport spécialisé dans la médecine subaquatique.
"Il faut être conscient de sa ventilation", explique Sylvain Hudry, le moniteur de plongée. Ce dernier a l'habitude de gérer ces profils particulièrement sensibles. "On va passer beaucoup plus de temps en surface à les préparer à la phase de l'immersion, de façon à ce qu'ils prennent l'habitude de respirer avec le matériel, de ressentir les choses."
Le petit groupe embarque alors pour 15 minutes de traversée jusqu'à la baie de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Sur le bateau, la tension monte. Surtout pour Valéry Luczynski. Depuis l'attentat de 2016, la mer est son cauchemar. "Depuis huit ans : ni piscine, ni mer ! Alors que je suis un nageur..."
Durant l'attentat, des gens ont sauté dans la mer de très haut, de 2-3 mètres, ils se sont cassés les jambes... Dans l'eau, ils criaient, et ça m'est resté. C'est comme un cancer, ça vous prend tout doucement et ça peut aller presque jusqu'au suicide.
Valéry Luczynski, rescapé de l'attentat de Niceà France 3
Ce cancer a aussi atteint Sophie Desvergnes. Le soir de l'horreur, la contrebassiste a tout vu depuis la scène où elle se produisait. L'insouciance et la fête ont laissé place à un stress dévorant.
Savoir se reconstruire
Pendant des années, jouer est devenu un calvaire pour Sophie Desvergnes, au point de reporter son mal-être sur sa contrebasse. "Je la déteste, je ne veux plus la voir, il faut qu'elle s'en aille !", raconte la musicienne.
Une fois qu'on a vécu ça, qu'on a été au milieu d'une telle scène de guerre, on se dit que ça peut arriver n'importe où, n'importe quand, à n'importe qui. C'est ça qui est compliqué. On aimerait bien retrouver ce qu'on était avant.
Sophie Desvergnes, rescapée de l'attentat de Niceà France 3
Des trois amis, Patrick Prigent est le seul à pouvoir revenir sur la promenade des Anglais. Depuis l'attentat, le policier municipal accompagne les rescapés au sein de l'association Life for Nice. C'est en se tournant vers les autres qu'il a retrouvé du sens à sa vie.
"Quand le camion quitte le trottoir, il est à 1,50 m de moi", se souvient Patrick Prigent. "Toutes les personnes qui étaient là n'y sont plus. On culpabilise, on se demande pourquoi on n'y est pas resté aussi ?"
Un matin, à l'hôpital, je me suis parlé à moi-même. Je me suis engueulé : 'pourquoi tu baisses les yeux ? Pourquoi tu ne relèves pas la tête ?'
Patrick Prigent, président de l'association Life for Niceà France 3
Dans sa reconstruction, Patrick a choisi d'accompagner Sophie dans cette plongée.
Une plongée qui métamorphose
Sur le bateau, comme une nouvelle épreuve, un orage éclate au moment où il faut se jeter à l'eau. Valéry Luczynski, courageux, se lance en premier.
Une sensation magique, qui ne s'explique pas seulement par la beauté des fonds marins. Passé quelques minutes, la respiration se fait plus profonde, plus calme.
D'après une étude réalisée à Nice ces derniers mois, respirer sous l'eau activerait des zones de bien-être.
Après sa plongée, l'homme paraît métamorphosé.
C'était merveilleux ! Beaucoup d'émotions et très heureux de l'avoir fait. Je suis FIER DE MOI !
Valéry Luczynski, rescapé de l'attentat de Niceà France 3
Depuis le bateau, Patrick Prigent veille sur la plongée de Sophie Desvergnes. "Je me suis dit : 'détends-toi, laisse-toi guider'... Et ça s'est bien passé !", raconte-t-elle. "Un calme absolu, c'était trop bien !" Sophie Desvergnes a le sourire aux lèvres.
À bord, durant le retour, l'ambiance a complètement changé. Et Valéry Luczynski fait même des projets : "me remettre à la natation".
Je vais replonger, je vais réussir et je vais tourner la page !
Valéry Luczynski, rescapé de l'attentat de Niceà France 3
Un processus qui sera encore long, mais tous les trois en sont convaincus : la plongée pourra les aider.
(Avec Carla Génévrier, à Villefranche-sur-Mer)