France 3 Côte d'Azur a embarqué dans un train de nuit entre Paris et Nice pour comprendre pourquoi certaines personnes optaient pour ce mode de transport plus lent mais offrant une expérience différente.
La nuit, tous les trains sont gris ? Mis sur les rails au printemps 2021, après avoir été arrêté en 2017, le train de nuit Paris-Nice connait un nouveau succès. Pourtant, dans un monde où tout doit aller plus vite, ce type de transport mise plutôt sur un tempo ralenti. Alors pourquoi des centaines de voyageurs préfèrent miser sur ces trains couchette ? France 3 Côte d'Azur est allé à leur rencontre.
Une madeleine de Proust
Six couchettes dans un étroit compartiment où chaque centimètre carré est utile, forcément ça rapproche. Ce soir-là, mes voisins s'appellent Marc, Pauline et Bryan. Le cinquième passager, un grand gaillard tatoué et légèrement alcoolisé, ne passera que peu de temps éveillé avec nous. Trop peu pour faire connaissance, et Marc, 75 ans, ne s'en plaindra pas vraiment.
Car ce qu'il veut avant tout lui aussi, c'est dormir. Depuis qu'il est petit, Marc aime le bercement du train de nuit. C'est même devenu sa madeleine de Proust. Avec ses parents, le petit Parisien qu'il était visitait régulièrement ses grands-parents à Nice.
À l’époque, c'était une locomotive à vapeur. J'ai le souvenir de le voir en arrivant à la gare. J'avais 5 ans. À cet âge, c'est impressionnant de voir cette grosse machine faire de la vapeur.
Marc, habitué du train de nuit Paris-Nice.
Nous sommes dans les années 50. Le trajet Paris-Nice durait 12 heures, à peu près autant qu'aujourd'hui. Car le train de nuit, c'est d'abord l'éloge de la lenteur. Il faut deux fois plus de temps pour relier les deux villes qu'en TGV.
Et pourtant, les adeptes du train de nuit sont convaincus qu'en allant lentement, ils vont plus vite, car ils ne perdent pas leur journée à voyager.
Moi, je vais à des conférences à Nice : quand j'arrive, je vais chez un ami, je prends une douche et je suis prêt. On gagne du temps.
Marc.
Au-dessus de ma tête, les deux couchettes du milieu accueillent Bryan et Pauline. Deux jeunes amis qui adorent se donner rendez-vous en gare d'Austerlitz pour s'offrir un week-end improvisé.
C'est toujours un plaisir de me dire que je prends un train la nuit, et le lendemain de me réveiller à la destination choisie.
Bryan, jeune usager du train de nuit Paris-Nice
Cette fois-ci, direction le Sud. Nice ? Antibes ?
On aime bien improviser. Parfois, on décide de descendre un peu avant, à Cannes par exemple. Puis on rejoint des amis
Bryan.
La première motivation des jeunes voyageurs reste quand même le prix. Avec leur abonnement TGV Max, le voyage peut même être gratuit. "Et puis ça nous fait économiser une nuit d'hébergement à l'aller et une autre au retour, donc ça permet vraiment de faire des grosses économies quand on est jeunes," précise Bryan.
À bord, chacun déplie sa couverture sur une couchette rénovée et équipée d'un petit kit de voyage : mouchoir, pastille de dentifrice, bouteille d'eau et… bouchons d'oreille. Pas un luxe, quand notre voisin éméché vient enfin se coucher, nous offrant un concert de ronflements.
Bryan et Pauline préfèrent le prendre avec le sourire :
Généralement les trains couchettes, c'est assez convivial, les rencontres se font facilement et les gens sont agréables et ouverts (...) peut-être parce qu'on a l'impression qu'on va passer un moment intime avec eux,
Bryan.
En un demi-siècle de train de nuit, Marc a-t-il fait des rencontres décisives dans un compartiment ?
Non pas vraiment. On discute plus facilement dans le train de jour. Pour parler, il faut sortir du compartiment. Et puis maintenant chacun est sur son téléphone, avec le chargeur branché sur la prise de sa couchette, et des écouteurs dans les oreilles.
Marc.
C'est que Marc ne connaît pas les applis de rencontre. Dans le train, des jeunes hommes passent furtivement devant notre compartiment. Ils ont activé la géolocalisation sur leur téléphone, à la recherche de partenaires qui, elles aussi, pourraient être connectées à la même application. C'est le train de nuit 2.0.
Dans ce train nouvelle version, il existe aussi des compartiments "dame seule" : les femmes peuvent choisir de dormir dans des compartiments non mixtes. Mais il faut s'y prendre à l'avance, car les places sont limitées, et le train, souvent bien rempli.
C'est d'ailleurs un vrai succès de fréquentation : selon SNCF Voyageurs, son taux d'occupation est de 70%. Deux fois plus qu'au moment de sa suspension, en 2017. La nuit, le Paris-Nice est la deuxième ligne la plus fréquentée après le Paris-Toulouse. Pensé comme un "train d'équilibre du territoire", il est devenu un moyen de transport de plus en plus utilisé : toutes lignes confondues, 350 000 personnes ont voyagé la nuit en 2019, près de 700 000 en 2022.
Selon Marc : "C'est toujours plein, les gens ont compris"
Marc est ravi de cette renaissance, mais son cahier de doléances est bien rempli, car certains compartiments sont dans leur jus. "Le gros point noir ce sont les toilettes, elles sont comme il y a 50 ans. Et souvent elles sont en panne" reconnait-il.
Il suggère aussi que des emplacements soient créés pour pouvoir discuter avec les autres passagers.
Dans le cadre du plan de relance, 100 millions d'euros ont été affectés pour la maintenance, les gares, les technicentres, mais aussi pour la réfection des voitures de nuit.
Insuffisant pour Marc, qui rêve d'embarquer sa voiture sur le train, comme avant.
Je suis très fâché de la disparition de l'auto-train. C'était pratique, on pouvait prendre sa voiture parisienne et rouler sur la Côte d’Azur. Ça éviterait de descendre en voiture.
Marc.
Il est 22h, chacun s'allonge comme il peut sur sa couchette. "C'est confortable mais pour les grandes personnes comme moi (1.90m)", une précision de Bryan, on doit plier un peu les jambes pour dormir. En seconde classe, les couchettes ne sont pas très grandes.
Bercés par le roulis du train, les voyageurs sont réveillés au cœur de la nuit : à Valence, le train s'arrête au moins une heure. Une partie des wagons doit rejoindre Briançon, l'autre Nice. Comme un petit enfant, Marc est déjà sorti sur les quais pour assister à la manœuvre.
Mais le clou du spectacle, c'est l'arrivée, au petit matin, sur le littoral.
Les yeux à peine ouverts, le corps pas à tout à fait déplié après une nuit passée sur une étroite couchette, les voyageurs ouvrent leur compartiment, pour admirer le paysage marin, de la roche rouge de l'Estérel au sable blond de Juan-les-Pins.
Il fait jour, le voyage se termine pour moi.
Descente à Antibes, direction la rédaction de France 3 Côte d’Azur : ma journée de travail peut commencer.