Dans son nouvel ouvrage, "Procureurs en France" qui vient de paraître, le journaliste indépendant Jean-Michel Verne réunit les témoignages de onze procureurs de la République dont quatre anciens magistrats en poste à Marseille.
Une France ingérable. C’est le constat dressé par le journaliste indépendant Jean-Michel Verne dans son dernier livre : Procureurs en France (aux éditions Robert Laffont), paru le 19 octobre. Onze magistrats, dont quatre passés par Marseille, se sont confiés à celui qui a été formateur à l’école nationale de la Magistrature. Des témoignages passionnants et rares qui dépeignent l’évolution de notre société depuis les années 1980.
Terrorisme, drogue, violence
La profession a profondément évolué ces 30 dernières années, note Jean-Michel Vergne. "Avant, le procureur, c'était quelqu'un qui était dans son bureau, qu'on ne dérangeait pas. Quand il y avait une affaire criminelle, on ouvrait une instruction. Aujourd'hui tout a changé". Le procureur peut recevoir 400 appels par jour, il gère 90 % des dossiers par enquête préliminaire, et il choisit son service de police pour enquêter. "C'est lui qui est aux manettes", résume-t-il.
"On voit très bien qu'à partir des années 2015, il y a une fracture, on a des problèmes de terrorisme qui deviennent de plus en plus importants, on a des problèmes de drogue qui gangrènent la société française, on a des problèmes de violence intrafamiliale qui ont augmenté de 70% en deux ans, on a la consommation de cocaïne qui augmente de 30 % en Europe", souligne l'auteur.
Marseille, une ville à part
Des trafics de drogue et une violence qui touchent particulièrement Marseille, passage obligé pour les procureurs de la République "qui veulent grimper dans la hiérarchie" de la magistrature, selon l'auteur. Une expérience marquante, choquante parfois.
Arrivée en 2020, Dominique Laurens, première femme en poste à Marseille, raconte ce qu'elle a vécu. "Je suis indignée par la violence qui s'exprime à Marseille. Je n'ai jamais vu cela ailleurs, la gratuité du geste, la cruauté, la sauvagerie. Cette hyperviolence contraste avec la carte postale touristique de la ville décrit comme the place to be", confie la magistrate, qui vient d'être nommée procureure près la cour d'appel de Reims et remplacée par Nicolas Bessone.
Une justice engorgée
Trop d’affaires en cours, la situation est devenue ingérable.
La justice, engorgée jusqu’à l’asphyxie, ne parvient plus, faute de moyens, à gérer le flot de trois millions de procédures endormies qui s’amassent dans les commissariats.
Jean-Michel VerneExtrait "Procureurs de France".
Malgré ce chiffre, les procureurs que le journaliste a interrogés sont opposés à la réforme de la police judiciaire. "Ils avaient auparavant le libre choix du service à saisir et là, il va leur falloir passer par un directeur départemental de la police nationale, un directeur zonale de la police nationale qui vont être reliés au préfet, qui lui va décider quel service pourra ou ne pourra pas être saisi, c'est une atteinte au pouvoir du procureur de la République et une atteinte à la séparation des pouvoirs", explique Jean-Michel Verne. A travers leurs parcours, les procureurs interviewés racontent de l’intérieur quelques-unes des plus grandes affaires judiciaires françaises de ces dernières années.