En France, près d'une femme obèse sur deux subit des discriminations. À Marseille, Chloé raconte la violence de cette grossophobie au quotidien et souhaite faire entendre qu'être gros n'est as une question de volonté.

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"Tu es grosse donc il faut que tu maigrisses". Ce message, Chloé Chériki l'a entendu souvent. Trop souvent. La jeune femme a basculé dans l'obésité à l'âge adulte, en partie à cause de cette "oppression"

"Je suis entrée dans l’obésité par le régime, par les troubles du comportement alimentaire, par le regard de l’autre", explique-t-elle. "Ce n’est pas faute d’avoir fait des régimes, d’avoir fait du sport, d’avoir essayé. Toutes les personnes grosses autour de moi ont essayé", témoigne-t-elle. 

"Quand on arrête de considérer que lorsqu'une personne est grosse c’est de sa faute, qu’elle ne fait pas d’effort ou pas de régime, on peut commencer à déconstruire l’oppression qui nous entoure".

Plus d'une jeune fille sur deux victimes de discrimination

Selon une étude Odoxa datée de 2020 sur la grossophobie en France, près d'une jeune femme sur deux (47%) en situation d'obésité est victime de discrimination.

Chez les enfants, 40% subissent des discriminations sur leur poids et le taux grimpe à 54% chez les jeunes filles âgées de 14 à 17 ans. 

Comme le montre ce graphique : plus les enfants grandissent, plus ils subissent de la grossophobie. 

"Surpoids", "IMC" : le poids des maux

Zina Mebkhout a souffert de boulimie vomitive pendant 20 ans. Elle est aujourd'hui thérapeute pour les personnes souffrant de troubles alimentaires et se bat contre l'injonction à la minceur.

"Il n’y a pas plus volontaire qu’une personne grosse. Souvent, une personne grosse va beaucoup essayer. Dès l’enfance, on va créer une hyper vigilance sur la courbe de poids, on va mettre une pression sur les parents pour que les enfants restent dans la norme", explique la spécialiste.

Pour Zina Mebkhout, "le poids est la seule grille de lecture alors qu’elle est franchement incomplète".

Pour estimer la corpulence d'une personne , il existe un calcul, l'IMC : indice de masse corporelle. Il s'agit du poids sur la taille au carré. Le chiffre donné classe la personne dans l'une des cinq catégories de corpulence, de maigreur à obésité morbide.

Si l'on se base sur cet IMC, près d'un Français sur deux est en surpoids. Le double d'il y a vingt ans. Mais cette méthode de calcul présente des limites : elle ne prend pas en compte d'autres critères, comme la masse musculaire ou osseuse. 

"Pour rester dans cette norme on va se maintenir dans un état de restriction, on va s’affamer, et à force de s’affamer eh bien logique, on devient complètement obsédé par la nourriture", explique Zina. 

Notre corps est fait pour survivre, il ne fait pas la différence entre un régime et la guerre 14-18.

Zina Mebkhout, thérapeute

"Si vous vous mettez en restriction, vous commencez à penser à la bouffe et vous avez envie de manger, c’est normal ! Ce n’est pas une question de volonté, c’est juste une question de physiologie".

"L'IMC un outil qui a été créé par un statisticien à une sombre époque auprès de 100 hommes blancs, ni petits, ni en situation de handicap, ni malade. C’est restreint", regrette Chloé Chériki.

Chacun son poids d'équilibre

"C’est fou quand y pense. L'IMC ne se base que sur le poids et la taille. Donc juste deux critères… On oublie l’environnement, le comportement alimentaire, la classe sociale. Évidemment en fonction de votre pouvoir d’achat vous ne mangez pas de la même façon", développe Zina Mebhkout.

"On oublie des réalités morphologiques de base, on oublie le patrimoine génétique. Il y a des personnes qui sont en bonne santé quand elles sont minces, mais il y a des personnes pour qui le poids d’équilibre, c’est-à-dire le poids auquel vous ne vous affamez pas et auquel vous ne vous gavez pas, peut être au-dessus du résultat de l’IMC. C'est un critère très, très, très restreint".

Le terme "surpoids" n'est pas non plus le plus adapté, pour la thérapeute. "C’est "sur" par rapport à quoi en fait ? C’est quoi un poids d’équilibre ? Il y a autant de réalité de poids d’équilibre que d’êtres vivants sur terre. À partir de là, je préfère le terme "gros" et "grosse" que le mot surpoids".  

"La santé mentale, qu'est-ce qu'on en fait ?"

Zina ne se pèse plus "depuis longtemps". Elle estime que cela n'est pas bon pour la santé mentale. Car si la question de l'obésité est une question de santé publique, la thérapeute insiste sur l'importance de l'état psychologiques des personnes discriminées.

"La santé mentale qu’est ce qu’on en fait ? On a tendance à tellement la sous-estimer. Souvent les personnes arrivent dans mon cabinet avec une réelle demande de perte de poids", explique-t-elle.

"Mais si elles ne sont pas bien dans leur peau et qu'elles sont contraintes de se restreindre, de penser toute la journée à manger tel type ou tel type d’aliment et se mettre dans un état obsessionnel pas possible...  Eh bien moi je préfère qu’une personne s’accepte grosse et soit bien dans sa tête et récupère de l’espace mental".

Pour Chloé, l'acception n'est pas évidente. "Cela dépend des jours. Il y a un jour sur deux, un jour sur trois où j’ai envie d’être mince, on s’habille comme on veut, on s’assoit où on veut… Et le reste du temps je m’accepte moi parce que je suis une personne super, parce que j’ai plein d’autres choses en fait, ça ne me définit pas". 

L'alimentation intuitive pour rendre l'acte de manger anodin

Pour aider ses patients, Zina Mebhkout propose la méthode de l'alimentation intuitive. Un mouvement créé dans les années 1990 par deux diététiciennes américaines : Evelyn Tribole et Elyse Resch. 

"Elles se sont rendu compte qu’à force de prescrire des régimes à des personnes, elles revenaient systématiquement après avoir repris le poids perdu. Elles ont fait le constat courageux que les régimes ça ne fonctionne pas et que cette boucle obsessionnelle qui crée des yoyos n’est pas viable à terme". 

Cette thérapie basée sur dix principes consiste à rendre l'acte de manger "aussi anodin que celui de faire pipi par exemple". 

"Quand vous avez envie d’aller aux toilettes, vous allez aux toilettes et vous n’y pensez plus", explique Zina Mebhkout. 

"Alors que quand vous avez faim, vous vous dites : est-ce que c’est l’heure, est-ce que c’est la bonne catégorie d’aliments ? Et puis après avoir mangé, vous passez l’après-midi à culpabiliser… Tout cet espace mental, on a aujourd’hui une solution pour l’économiser, c’est l’alimentation intuitive".

Des progrès mais beaucoup de chemin à faire

Chloé et Zina notent des progrès depuis quelques années. Comme la fin des publicités moqueuses envers les personnes grosses, l'ajout du mot "grossophobie" dans le dictionnaire, en 2019 ou encore la fin prochaine du questionnaire demandant l'IMC pour contracter un prêt immobilier.

"On fait des progrès, concède la thérapeute marseillaise. C’est tard, mais c’est un progrès. Les campagnes de body positive, c’est incomplet, il n’empêche que c’est un progrès. Il y a une prise de conscience collective aujourd’hui qu’il faut diversifier les représentations, c’est déjà pas mal".

Chloé est enceinte d'une petite fille. Elle espère lui donner les outils pour faire face à cette discrimination mais sait que le chemin reste long. "Je ne suis pas sûre qu’elle aura le privilège de connaître un monde sans oppression, sans discrimination".  

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