TÉMOIGNAGES. "Il y a deux semaines, j'étais en chimio" : victimes d'un cancer, ces femmes se sont lancées dans une ascension à 4 000 m d'altitude

Publié le Écrit par Lucie Robert et Julie Morel-Bonnard

Le sport et le collectif pour mieux guérir d'un cancer, c'est le défi que s'est lancé une association de soignants marseillais en proposant à 24 femmes en rémission de cancer de gravir le sommet du Grand Paradis en Italie.

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"C'était un projet fou il y a quelques mois. On était ensemble à l'hôpital, en chimio. D'être là avec les copines, c'est extrêmement fort." A l'image de 23 femmes qui l'accompagnent, Marina s'est lancée dans un défi fou. Toutes en rémission d'un cancer qui leur a empoisonné leur quotidien, elles ont décidé de se lancer dans l'ascension du sommet du grand Paradis en Italie. Un projet ambitieux porté par une association de soignants marseillais pour laisser leur cancer et leurs doutes derrière elle

La guérison par le sport

Dans l'épreuve du cancer, ces femmes ont tissé des liens uniques. Elles s'entraînent ensemble pour cette ascension depuis des mois. À la file indienne, les randonneuses marchent, la tête haute. Elles s'arrêtent quelques fois pour prendre des photos, en souvenir de ce moment encore inespéré il y a peu.

Le docteur Marblé croît à la guérison par le sport. Il fait partie des soignants qui portent cette expédition hors normes. "Tu ne fais pas obligatoirement des gros pas. Tu t'appuies à l'aide de tes bras, en essayant d'être économe", conseille le médecin à l'une de ses patientes. "On va veiller à ce que personne ne se mette dans le rouge. Ça va être dur, il y a une quête de dépassement, de défi, mais qui doit être raisonnable", assure-t-il.

Amélie avait d'abord dit non à ce projet. La montagne, elle savait que cela serait difficile. Assise au bord du sentier, les larmes aux yeux, elle craque."Ça va aller, on se motive", souffle-t-elle avec le sourire. Amélie est venue finalement, pour ses copines, pour se battre avec elle.

Il y a deux semaines, j'étais en chimio. Dans une semaine à la même heure, j'y serai aussi. C'est assez dingue d'être là.

Amélie

à France 3 Provence-Alpes

Sur le chemin, beaucoup d'autres auront des moments de faiblesse. Mais à chaque fois, l'énergie du groupe permet de repartir enthousiaste. Amélie attrape les mains tendues du docteur Marblé, et se relève. En chantant, le groupe repart de plus belle.

"C'est super rare, mais je suis super fière de moi !"

Après six heures d'effort, le refuge Victor Emmanuel est en vue. Des cris de soulagement s'échappent. Ce n'est qu'une première étape, mais elle est considérable. Une petite victoire, comme un camouflet aux souffrances endurées pendant les longs mois de traitement. Fières, les courageuses s'applaudissent, se prennent dans les bras, s'embrassent. Quelques larmes coulent sur leurs joues.

J'existe, je suis capable.

Sarah

à France 3 Provence-Alpes

La voix tremblante, Marina n'en revient pas : "On repense à quelques mois en arrière, où on se disait que si on le faisait, ce serait un rêve, ce serait incroyable. On l'a fait. Rien que ça, c'est énorme".

Son amie Sarah partage cette joie. "Pendant tout ce protocole, tout ce traitement, on est déconnecté, on n'existe plus, on n'est plus nous. Et là, j'existe et je suis capable. J'avais perdu totalement confiance en moi, et là, je suis fière de moi. C'est super rare, mais je suis super fière de moi !", s'écrit-elle en se jetant dans les bras de Marina.

Les pieds dans l'eau d'un petit lac, les marcheuses soufflent. Des larmes de joie enfin, et un torrent de montagnes pour tout repos. Il leur en faut, pour la prochaine étape.

"Je n'ai pas dormi de la nuit"

Le réveil sonne. Il est 4 heures, le moment de se lever en haute montagne. Petite nuit, petite mine. L'altitude a parfois réveillé des douleurs. Le médecin s'assure que chacune est apte au départ. Le stéthoscope sur sa poitrine, Laïla a des crampes au ventre. "Je n'ai pas dormi de la nuit. Ça va être compliqué mais je ne me vois pas ne pas partir. Je n'ai pas fait tout ça pour rester là, je vais tenter le départ", se motive-t-elle entre deux sanglots.

Le défi est ambitieux : atteindre le Grand Paradis et ses 4 061 m d'altitude. Lampe frontale ajustée, le départ de nuit nécessaire pour espérer avoir le temps d'arriver au sommet. "Les cailloux ne sont pas très stables. On essaie de faire attention où on met les pieds", prévient Muriel Puget, professeur de yoga, membre de l'équipe porteuse du projet.

Les premières difficultés et les premières chutes

À l'arrière, une chute vient d'arrêter la progression. "Tout va bien. Il y a juste quelques petites coupures au visage. On va repartir tout de suite", rassure Xavier Muracciole, oncologue.

À l'aube, le groupe atteint les premiers névés, ces accumulations de neige qui peuvent perdurer en dessous de la limite de neiges éternelles, et ce même pendant une partie de l'été. Le début des difficultés techniques aussi. La neige commence à être dure, le sol glisse sous les pieds des randonneuses. Pour pouvoir continuer l'ascension, il faut enfiler des crampons.

Il y a quelque chose qui nous porte. C'est assez magique.

Laurent Megret, guide de haute montagne

à France 3 Provence-Alpes

"Le but premier est de ramener tout le monde à la maison et de se faire plaisir. Avec elles, il y a un mode vibratoire complètement inhabituel, une énergie particulière. Rien que d'en parler, j'ai des frissons", témoigne Laurent Megret, leur guide.

Magie de cette sororité qui fait qu'après un cancer, on peut devenir plus forte. Laïla, qui souffrait ce matin, est toujours là. Pourtant, comme toutes ces femmes, elle a vu ses muscles s'affaiblir sous l'effet des chimios, des douleurs apparaître, avec les traitements. "Il faut s'adapter à ce nouveau corps, c'est pas facile. Ce qu'on fait, c'est énorme. Si on m'avait dit, quand on m'a diagnostiquée il y a deux ans, que j'allais faire tout ça, j'aurais dit que c'était impossible, que c'était une blague", se surprend-elle.

Une météo contraignante

Mais ce matin, la météo a décidé d'être capricieuse. Mauvais temps annoncé sur le sommet, il faut revoir l'objectif. Ce sera finalement la jonction des glaciers à 3 700 m d'altitude. "On espère qu'on a fait le bon choix, que tout le monde va être content de s'être dépassé", souhaite l'oncologue.

Se dépasser oui, être fières, surtout de ces 1 000 mètres de dénivelé parcourus. Aujourd'hui, ces Marseillaises ne sont plus des malades. Aujourd'hui, elles sont alpinistes. Les héroïnes pleurent, se prennent dans les bras. Elles ont réussi. "C'est une belle revanche, c'est fou. On ne sent plus notre corps", s'écrie Pauline. Wissam dit qu'elle l'a fait pour sa fille : "C'est elle qui m'a encouragée. Elle m'a dit 'va maman ! vas-y, on est fier de toi !'".

Elles n'ont pas conquis le sommet, mais tout de même là-haut, un petit bout de paradis. La maladie leur a pris beaucoup. Aujourd'hui, elles en ont fait une victoire.

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