Caroline, la fille de la victime et du principal accusé, s'est exprimée pour la première fois vendredi dans le procès de Mazan. Au-delà de Gisèle Pélicot, violée pendant dix ans par des inconnus recrutés sur internet par son mari, c'est toute une famille qui a été brisée, a-t-elle confié à la barre..
Au cinquième jour du procès dit "des viols de Mazan", la cour criminelle de Vaucluse entendait pour la première fois, ce vendredi 6 septembre, le témoignage de Caroline Darian, la fille de Gisèle et Dominique Pélicot. Avant l'ouverture de l'audience, elle s'est adressée aux journalistes présents, tenant à souligner combien elle était "fière" de sa mère, faisant "preuve d’une dignité et d’un courage qui forcent le respect". À la barre, la fille de la victime a déclaré, en préalable, "je m'exprime au nom de ma fratrie", sous le regard ému de ses deux frères, David et Florian.
Caroline Darian, mère de famille de 45 ans, avait dû quitter précipitamment la salle d'audience mardi, bouleversée à la lecture de ce dossier inédit dans lequel 51 hommes âgés de 26 à 74 ans sont jugés pour avoir violé Gisèle Pélicot sous soumission chimique, tandis qu'elle était droguée par son mari.
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"J’aimais l'image de l'homme que je croyais connaître"
À la barre, elle est revenue sur ce moment où elle a tout découvert. "Ce 2 novembre 2020, à 20 h 35, ma vie a littéralement basculé", a-t-elle expliqué, racontant ce moment où sa mère, après avoir, elle aussi, tout appris des policiers de Carpentras (Vaucluse), l'a appelée pour l'informer. "Ma maman me dit, Caroline, il faut que tu t'assoies, j'ai quelque chose de très grave à t'annoncer, et ça concerne ton père. J'ai passé une bonne partie de la journée au commissariat, ton père me droguait pour me violer avec des inconnus", déroule-t-elle. "J'appelle mes frères, on est démunis, on pleure, on ne comprend pas".
Caroline tient à préciser qu'avant ce jour funeste, "nous avions une famille unie. Nous avons traversé tellement d'épreuves tous ensemble. J'aimais mon père. J'aimais l'image de l'homme que je croyais connaître. L'image de cet homme sain, bienveillant, prévenant", détaille-t-elle sous les yeux de celui qu'elle désigne désormais comme son "géniteur", en larmes dans le box des accusés.
Et d'ajouter d'une voix tremblante, "c'est précisément ce qu'on appelle, dans la vie, un point de bascule", décrivant un "glissement, où l'on ne sait pas jusqu'où on va descendre".
Le lendemain, elle emmène son fils de six ans à l'école. Le petit garçon vient d'entrer en CP. "Je ne peux pas lui dire qu'il ne reverra plus jamais son grand-père", dit Caroline Darian en pleurs, "je ne peux pas lui dire que je suis déjà une femme brisée et une maman qui va sans doute avoir de grandes difficultés pour continuer à être celle que je suis à ce moment-là".
Photographiée nue par son père à son insu
Elle retrouve ensuite ses deux frères à Carpentras, pour entendre les policiers. "Je reverrai toujours David, blanc, stoïque, et mon petit frère, Florian, s'affaisser", se souvient-elle, à propos de ce moment où un policier estime "entre 30 et 50 " le nombre d'agresseurs de sa mère. Les enquêteurs lui montrent par la suite deux photos d'une femme nue, qui semble endormie : "on voit ses fesses en gros plan, cette femme dort en position fœtale, je ne la reconnais pas", explique Caroline Darian. "Mais madame, c'est bien vous qui avez une tache sur la joue droite", lui fait remarquer l'officier de police. "Je découvre que mon père m'a photographiée, à mon insu, dénudée. Pourquoi ? ", s'interroge sa fille. Des photos que son père avait également diffusées sur internet.
Comment fait-on pour se reconstruire sur des ruines quand on sait que son père est sans doute le plus grand prédateur sexuel de ces vingt dernières années ?
Caroline Darian, fille de Gisèle PélicotA la barre, au président de la cour criminelle du Vaucluse
Caroline et sa mère ne sont pas les seules à avoir été victimes de Dominique Pélicot, 71 ans, resté toute la matinée d'audience replié sur lui-même dans un coin du box des accusés.
Céline, 48 ans, épouse de David Pélicot, et Aurore P., 37 ans, ex-épouse de Florian Pélicot, ont, elles aussi, été photographiés dénudées à leur insu par Dominique Pélicot, persuadées pourtant d'avoir rejoint la "famille idéale", "démonstrative" et "aimante", avec un beau-père "serviable" malgré ses quelques accès de colère.
Six petits enfants, victimes collatérales
"Des photos de moi enceinte, de nos jumelles, nues, (...) zoomées sur mes parties intimes", datant de 2011, a précisé Céline devant la cour. Et d'autres, de 2019. Des images, elles aussi, diffusées sur le Net. "Mais à qui et où sont-elles maintenant, dans 5 ans, dans 10 ans ?", s'interroge la mère de famille, selon qui "tous les petits-enfants de la famille ont perdu leur innocence".
Céline Pélicot rappelle ainsi ce jour où ses enfants avaient trouvé leur grand-mère inanimée, vers 11 h 00 du matin : "Ils ont essayé de la secouer, elle ne réagissait pas, elle a émergé vers 17 h 00". La nuit précédente, "nos enfants auraient pu entendre des choses, étaient donc présents", pendant que leur grand-mère se faisait sans doute violer, en déduit-elle.
La rage face à l'inconcevable
Aurore P., elle-même victime d'abus dans son enfance, est dévastée par cette affaire. Les enquêteurs lui ont présenté des photos d'elle, nue dans une salle de bain, ou à la piscine. Parmi elles, "une photo du sexe de mon beau-père sur mon maillot de bain", un montage avec "ma salope de belle-fille" comme légende.
"C'était une telle colère de voir, avec quel manque de respect, on peut traiter un être humain, j'avais une telle rage", dit-elle, évoquant sa culpabilité de n'avoir rien perçu, sans doute parce que c'était simplement "inconcevable".
Sur le fond du dossier, il ne fait aucun doute, pour Caroline Darian, qu'il "s'agit bien de soumission chimique", assure-t-elle, soulignant que, " les preuves comme celles dans le dossier de ma mère, ça n'existe pas". Soutenue dans ce procès par la députée Sandrine Josso, la quadragénaire a depuis fondé l'association "M'endors pas : stop à la soumission chimique" pour venir en aide aux victimes.