Avec plus de 1 500 retenues d'eau, le monde agricole a façonné les paysages ardéchois. Après une année 2022, exceptionnellement sèche et chaude, ces réserves d'eau pour l'agriculture tentent de concilier production et préservation des ressources.
Incendies estivaux, rivières à sec, prairies grillées : en Ardèche, comme partout en France, il a fait très chaud et très sec en 2022. Un été qui a marqué les esprits.
"La sécheresse a commencé dès le mois de mai, rappelle Christian Di Nola, président de l'association de pêche du bassin du Haut Doux. D'habitude, ce n'est pas aussi tôt. Quand il y a moins d'eau, les rivières chauffent. Les truites ne supportent pas une eau à plus de 24 degrés. Évidemment, ce n'est pas qu'une histoire de poissons : s'il n'y a plus d'eau, il n'y a plus de vie."
2022 : année record
En Ardèche, il a fallu attendre novembre, pour que l'ensemble des restrictions liées à l'alerte sécheresse soient levées. 2022 aura été l'année la plus chaude enregistrée, selon les relevés des stations Météo France de Barnas et Colombier-le-Jeune.
Le déficit pluviométrique est également important. Il est de 32% à Barnas et de 18% à Colombier-le-Jeune : 2022 a donc aussi été une année très sèche.
Une situation toujours compliquée pour une partie des cours d'eau, qui n'ont pas repris leur forme d'origine. "Il manque entre 15 et 20 centimètres d'eau, détaille Christian Di Nola. Si les pluies n'arrivent pas dans les 15 jours, la saison va être catastrophique."
Une eau en tension, qui impacte la biodiversité et les activités humaines : pêche, tourisme, mais aussi agriculture. Pour pallier le manque d'eau et permettre l'irrigation, les retenues d'eau font partie du paysage ardéchois depuis des décennies.
"Il faut faire attention"
Ces retenues à vocation agricole priveraient-elles le reste des usagers de l'accès à l'eau ? "Ce sont les retenues pour lesquelles on pompe dans les réserves qui ont un impact sur les rivières, pas celle qui se remplissent l'hiver", relativise Christian Di Nola, tout en reconnaissant que "l'eau va devenir un enjeu majeur".
À Colombier-le-Vieux, Pierre Deschamps et Adrien The produisent des fruits rouges, des kiwis bio et ont 18 vaches. Pour leurs cultures et leurs prairies, un lac d'irrigation de 10 000 mètres cubes, alimenté par les ruissellements et une source, fournit une eau essentielle à l'arrosage.
Les deux agriculteurs ont fait le choix d'irriguer la nuit, par micro-aspersion, pour économiser l'eau. Hors de question pour eux de cultiver du maïs, gourmand en eau, et d'arroser en pleine journée. "On a la chance d'être en bio, donc on est assez vigilant sur l'environnement. Il faut faire attention, car l'eau qu'on retient ici, n'ira pas dans les rivières," souligne Adrien The.
Mais malgré ces précautions, les agriculteurs ont dû faire des choix : ils ont donc arrosé les arbres cet été, pour les maintenir en vie, au détriment des céréales et des prairies.
939 retenues dans la Vallée du Doux
En Ardèche, il y en aurait 1 500, selon la Direction Départementale des Territoires (DDT). "Leur taille est plutôt modeste par rapport au reste de la France, elles vont de 3 000 m3 à 10 000", précise Christophe Mittenbuhler, chef du service environnement à la DDT. "Il y a entre 5 et 8 retenues collinaires créées chaque année."
C'est très conflictuel, on a une école :"sans les retenues plus moyen de vivre" et l'autre école : "c'est de l'appropriation d'un bien commun"
Renaud Dumas, chargé de mission pour le syndicat mixte du bassin versant du Doux
Selon Renaud Dumas, chargé de mission par le Syndicat mixte du Bassin versant du Doux, les retenues d'eau déjà existantes seraient en réalité beaucoup plus nombreuses, "pour la Vallée du Doux, on en recense déjà 939. Le nombre de retenues a explosé après la Seconde guerre mondiale, avec la mécanisation agricole. La loi sur l'eau, obligeant à les déclarer, n'est arrivée qu'en 1992."
Si ces retenues ont été créées pour l'irrigation des cultures, leur vocation agricole n'a pas été maintenue pour toutes. "Sur les 939 répertoriées dans le bassin versant du Doux, 300 sont déclarées avec une vocation agricole."
Transformer les retenues
Il existe différents types de retenues :
- les barrages qui arrêtent une rivière,
- les retenues construites sur une source d'eau ou une zone humide,
- les retenues collinaires, qui se remplissent avec les eaux de ruissellement
- les des barrages avec débit réservé. Une partie de l'eau est alors "libérée", pour la rendre à son milieu. "L'eau arrive en haut du barrage, elle est déviée sur ce chemin et cette eau repart par un évacuateur, directement dans la rivière.", décrit David Loupiac, agriculteur membre de la Confédération paysanne.
À peine 5% des barrages de la vallée du Doux utilisent cette méthode, ce que regrette le castanéiculteur de Désaignes.
"Si on se permettait auparavant de "gaspiller" l'eau, on ne peut plus le faire. Il est essentiel d'utiliser l'eau de façon économe, car nous ne sommes pas les seuls utilisateurs."
David Loupiac, Confédération Paysanne de l'Ardèche
Conséquences en chaîne
"Redonner de l'eau à la rivière permet de régler en partie le problème de la quantité d'eau, mais pas celui des sédiments, analyse une chargée de mission de l'association environnementale FNE (France Nature Environnement) en Ardèche. Les sédiments bloqués par un barrage, font que la rivière va récupérer des sédiments en aval en creusant le fond de la rivière et des berges." Une érosion provoquée par le manque de sédiments, à laquelle s'ajoutent d'autres conséquences. "Les sédiments sont un support de vie et de ponte pour les poissons, l'eau qui passe dans les sédiments est filtrée et rafraîchit."
"Plus la retenue est petite, plus l'impact est petit. Mais à force d'ajouter des retenues, il y a des dégâts.", souligne la chargée de mission. Des situations différentes selon les retenues et des conséquences plus ou moins lourde.
Se déconnecter l'été
Il existe aussi des retenues avec une déconnexion été. Quand il fait trop chaud et trop sec, l'eau n'est plus envoyée vers le stockage, mais passe par un contournement pour rejoindre la rivière. "Ce n'est pas révolutionnaire, il est normal qu'en été, quand il n'a pas plu pendant trois mois, on donne de la vie au ruisseau, souligne Pascal Balay, vice-président du Syndicat Mixte du Bassin Versant du Doux. Il n'y a pas que les agriculteurs quoi ont besoin d'eau, la biodiversité, le tourisme aussi."
Une cellule de concertation réunissant agriculteurs, pécheurs, associations de protection de l'environnement, existe aujourd'hui pour étudier les demandes de nouvelles retenues. "C'est très conflictuel, reconnaît Renaud Dumas, chargé de mission pour le Syndicat mixte du Bassin Versant du Doux. Mais on échange et chacun met un peu d'eau dans son vin."
Pour éviter la création de nouvelles retenues, des solutions sont aussi cherchées, avec la réutilisation de retenues existantes.