Témoignage. Agriculteurs en colère : "Derrière un produit, il y a des gens qui vivent, qui travaillent"

Publié le Écrit par Mélanie Philips

Pour certains agriculteurs, il est impossible de se rendre sur les points de manifestations, faute de bras pour s'occuper des exploitations. Mais même de loin, ils soutiennent la cause et attendent des mesures pour sauver l'agriculture. Rencontre avec Eric et Karine dans le Puy-de-Dôme. À deux, ils font tourner une ferme qui produit des fromages Saint-Nectaire AOP.

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Pour Karine et Eric, se rendre sur l’un des points de blocage pour manifester leur mécontentement n’est pas possible. Ils doivent faire tourner la ferme. Mais témoigner reste une forme de mobilisation. Dans cette exploitation familiale depuis sept générations, les journées sont bien remplies. Des réveils à 5h30, 70h de travail par semaine, avec pour objectif final : produire des fromages Saint-Nectaire.

"On a aussi des enfants, donc il faut se lever tôt pour les emmener à l’école… On a beaucoup de contraintes horaires, donc c’est du stress en permanence, décrit l’éleveuse. Et à côté de ça, quand on entend des gens comme Leclerc qui disent que nous, on gagne trop notre vie et que c’est pour ça qu’ils augmentent les prix... alors que nous, on ne voit rien augmenter."

Ça fait des années qu’on n’a pas augmenté nos revenus, que si on augmente le prix des fromages, c’est juste pour payer les charges.

Karine Pons, productrice de fromage dans le Puy-de-Dôme

Karine et Eric touchent chacun 1 500 euros à la fin du mois. Un salaire suspendu à l'avenir de la ferme.  Aujourd'hui, ils le disent, la politique agricole favorise un modèle intensif bien loin de leur vision. Les aides sont incohérentes et l'administratif omniprésent. "Si les politiques publiques ne changent pas radicalement, je pense que le nombre d'agriculteurs va encore être en forte diminution, puisque les jeunes générations n'accepteront plus les difficultés que nous avons. Ce cadre de vie ne sera plus supporté par les jeunes", assure Éric. 

Garder espoir pour les générations futures

Au fond d’elle, elle garde espoir et espère constater des changements grâce à la mobilisation, sur le terrain, de ses collègues. Seulement, plus le temps passe, plus elle voit les progrès s’éloigner de son quotidien.

Je ne sais pas si nous, on les verra. Peut-être les générations suivantes, si elles veulent bien prendre la suite. Peut-être que les gens reconnaîtront enfin que les agriculteurs ont juste le droit de vivre de leur travail.

Karine Pons, productrice de fromage

Une rémunération décente, une reconnaissance, un allégement des charges administratives, moins de contrôles, moins de contraintes… voici les changements que Karine aimerait voir opérer dans son quotidien.

"Nous aussi, on aimerait avoir le droit de pouvoir s’occuper de nos enfants et qu'eux, puissent s’épanouir et qu’ils n’aient pas leurs parents qui soient absents de la maison parce qu’ils doivent travailler comme des idiots toute la journée à la ferme pour ramener un salaire de misère", s’indigne-t-elle.

"Je suis heureuse de faire mon produit de A à Z"

Pourtant, dans sa pratique quotidienne, elle fait tout pour "ne pas dégoûter" cette génération future. Si elle espère que cette génération connaîtra une autre vie, pour elle, cela passera par le changement de mentalité de la population. "Il faut que les consommateurs prennent conscience que derrière un produit, il y a des gens qui vivent, qui travaillent, qu’il y a un engagement écologique et personnel. Et que donc, il faut qu’ils acceptent de mettre le prix."

Malgré tout cela, son métier, Karine, elle l'aime. Et pour rien au monde, elle ne l’échangerait. "Si des fois j’ai l’idée d’abandonner, ce qui m’arrive régulièrement, je me raccroche au fait que j’aime mes vaches et que je n’ai pas envie de faire autre chose. Je suis heureuse de faire mon produit de A à Z et c’est ça qui me permet de garder la motivation", explique l’agricultrice.

Dans le Puy-de-Dôme, nombre d'agriculteurs n'ont pas été satisfaits des mesures annoncées par le Premier ministre Gabriel Attal, le 26 janvier et soutiennent le blocage des axes routiers. 

Propos recueillis par Romain Leloutre/ France 3 Auvergne

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