Vente des Hospices de Beaune 2014 : va-t-on battre de nouveaux records de prix ?

La 154e vente des vins des Hospices de Beaune aura lieu dimanche 16 novembre 2014. Cet événement - retransmis sur le site internet de France 3 Bourgogne - est suivi dans le monde entier. Les prix vont-ils poursuivre leur hausse et si oui, pourquoi ? 

En 2013, les enchères avaient battu un record avec un résultat de 6,3 millions d'euros. Ce phénomène va-t-il se reproduire en 2014 ?
Nous avons interrogé Joëlle Brouard, professeur de marketing et directeur du mastère spécialisé "Commerce International des Vins et Spiritueux" à l'ESC Dijon Bourgogne.

Comment s’annonce l’édition 2014 de la vente aux enchères des Hospices de Beaune ?

La vente des hospices de Beaune est une vente caritative et - si elle donne une tendance sur le cours du millésime - elle obéit à d'autres règles que le simple mécanisme de marché, surtout depuis la gestion de la vente par Christie's en 2005.

Certes, la qualité du millésime et le volume de récolte influencent  les tendances haussières ou à la baisse. Mais la symbolique de l'année (le millésime de l’an 2000 par exemple), le climat économique, la médiatisation de la vente impactent tout autant les cours.

Par ailleurs, les acheteurs de ces vins ont la particularité d’être aussi des ambassadeurs et des aficionados de la Bourgogne et  de ses crus. Pour eux, acquérir une bouteille des Hospices, c'est plus qu'un achat. C'est souvent un acte militant et d'appropriation des valeurs de la Bourgogne. Le prix est certes une contrainte, mais l'acte d'achat ne se fait pas sur les valeurs traditionnelles du rapport qualité-prix.

Peut-on dire que les prix pratiqués à la vente des Hospices sont de plus en plus déconnectés de la réalité du marché ?

Prenons un exemple : en 2013, la vente des Hospices représentait environ 101 000 bouteilles, soit 0,0005 % des bouteilles de Bourgogne. Une hirondelle ne fait pas le printemps et cette vente caritative, très particulière, ne peut pas refléter le marché, mais elle répand l'idée que les vins de Bourgogne se vendent à des prix très élevés.

Il faut cependant préciser qu’il existe de nombreux vins de Bourgogne abordables et que pour vendre entre 1,3 et 1,5 million d'hectolitres selon les années, il faut permettre à tous les intermédiaires qui travaillent au quotidien pour la mise sur le marché d'avoir une marge leur permettant de vivre. Il faut aussi permettre aux consommateurs d'acheter une bouteille avec un bon rapport-qualité-prix-plaisir.

Arrêtons d'assimiler les prix de la vente des Hospices au prix des vins de Bourgogne et n'oublions pas que l'objectif est de récupérer le maximum d'argent pour l'hôpital à des fins caritatives.

Les particuliers sont de plus en plus nombreux à participer à la vente des vins des Hospices de Beaune. A quoi cela est-il dû ?

Le grand bouleversement depuis 2005 (avec l’arrivée de la maison Christie's) est le passage d'acheteurs professionnels à des acheteurs particuliers. Si on compare les résultats de la vente en 2000 et 2013, on peut constater qu’en 2000 - sur l'ensemble des lots mis en vente - on n’avait aucun particulier qui achetait en direct, contre 29 % en 2013.

Hormis la pièce des Présidents, si on calcule le prix à la bouteille en intégrant les taxes et les frais,  on voit que le prix à la bouteille pour un particulier est proche d'un prix de marché (c’est-à-dire du prix qu’il paierait pour une appellation similaire chez un caviste en France par exemple). Ainsi, sur le millésime 2013, il peut acquérir un Beaune Grèves 1er cru Pierre Floquet pour 46 euros ou un Meursault Charmes de Bahèzre de Lanlay pour 77 euros.

+27 euros par bouteille depuis l'arrivée de Christie's aux #HospicesdeBeaune ! Analyse : http://t.co/bsYYBkO19g

— Laurent Gotti (@LaurentGotti) 13 Novembre 2014

Par contre, pour  le négociant qui traditionnellement achetait les vins pour l'inscrire dans son catalogue, il est de plus en plus  difficile d'avoir un prix permettant de rentrer dans le marché et de faire une marge commerciale. Très clairement aujourd'hui les intermédiaires ne peuvent plus profiter économiquement de la vente des Hospices  et sont de fait exclus du marché. Maintenant, ce sont les particuliers qui prennent le relais.

En revanche, ce sont les professionnels qui font au jour le jour le marché des vins de Bourgogne, ce sont eux qui forment, éduquent, conquièrent de nouveaux marchés. Vu le morcellement des parcelles et des appellations, le vin de Bourgogne s'adresse à des connaisseurs.

De quelles nationalités sont les principaux acheteurs des vins des Hospices de Beaune ?

L'origine des acheteurs suit l'évolution de la pénétration des vins de Bourgogne sur les différents marchés. Il est naturel de voir de plus en plus d’Asiatiques s'intéresser aux vins de la Vente des hospices de Beaune.

En analysant le profil des acheteurs professionnels en 2000, on constate la forte présence d'acheteurs allemands, belges, américains et japonais qui étaient à l'époque les marchés avec les plus fortes dynamiques.


Il faut préciser qu’avant 2005, il était possible de lire dans la presse le nom des destinataires finaux de l'achat de la pièce via un négociant, comme on peut voir sur cette coupure de presse parue en 2000.


Mais, désormais, l'information est plus limitée, question de discrétion commerciale…

Est-ce qu’à l’avenir ce sont les acheteurs chinois qui vont mener la danse à la vente des vins des Hospices ?

L'achat en 2013 de la Pièce des Présidents par Yan Hong Cao, une femme d'affaires chinoise, a ému et a été vu comme un risque "de péril jaune". La pièce des Présidents ne peut être achetée que par des personnes riches qui cherchent à renforcer leur image personnelle.

Le montant de la vente de cette pièce est un événement médiatique et il est important que chaque année cette pièce atteigne des records, car elle permet (en plus de financer des œuvres caritatives) de maintenir l'attention des médias sur une des plus grandes ventes de charité  au monde et de mettre en lumière les vins de Bourgogne. En 2013, le fait qu’une pièce de vin blanc ait été achetée par une acheteuse chinoise a permis de faire savoir à des consommateurs de vins rouges en Chine qu'il existait aussi des vins blancs.

Selon le régisseur des Hospices de Beaune (de retour de Chine), les asiatiques devraient être cette fois encore, très présents à la vente.

— Laurent Gotti (@LaurentGotti) 2 Octobre 2014

L'intérêt des clients asiatiques pour la vente des vins des Hospices est un vecteur de notoriété sur ces marchés, mais il ne faut pas oublier que le vin de Bourgogne est exporté dans de nombreux pays et qu'il faut maintenir une présence et un intérêt sur les marchés historiques. Il est donc important que les acheteurs traditionnels puissent continuer à acheter. Même dans un contexte de vente caritative, il y a un prix maximum acceptable. Gageons que le bon sens bourguignon sera une vertu partagée par tous.