Un an après la grève des aides-soignantes de l'EHPAD "Les Opalines", situé à Foucherans dans le Jura, qu'en est-il de la situation ? Selon certaines familles, les dysfonctionnements persistent. Selon la direction, la situation s'est nettement améliorée. ENQUÊTE.
Le 28 juillet 2017, la grève très médiatisée des aides-soignantes de l'EHPAD "Les Opalines", situé à Foucherans dans le Jura, prenait fin devant les caméras de télévision, après 117 jours de conflit social. Le mouvement restera dans les mémoires comme l'un des plus longs de l'histoire des conflits sociaux en France. Les revendications de certaines salariées étaient très simples. Une partie des soignantes dénonçaient leurs conditions de travail et le manque de temps consacré aux personnes âgées pensionnaires des Opalines, créant trop régulièrement des situations de détresse humaine insupportables.
À l'époque, plusieurs familles de résidents soutiennent l'action des aides-soignantes et vont même jusqu'à déposer plainte en gendarmerie, pour dénoncer les mauvais traitements subis au sein de l'établissement privé. "Toutes les plaintes ont été déposées le même jour. Nous étions en groupe, nous n'avions pas d'avocat. Nous avons porté plainte contre l'établissement pour le manque de soin envers nos parents. Nous n'avons jamais su ce que notre plainte est devenue. Je ne sais même pas si elle a été prise en compte" nous a confié madame Pion, dont la mère a séjourné aux Opalines d'octobre 2014 au 4 janvier 2018, date de son décès.
Où sont passées ces plaintes ? Ont-elles été prises en compte ? Pour l'instant, impossible de le savoir. Joint à plusieurs reprises par notre rédaction, le parquet n'a pas souhaité nous communiquer d'éléments à ce sujet.
"Il n'y a eu aucune enquête de la part de la gendarmerie" nous a expliqué Vincent Chagué, médiateur lors du conflit social en 2017. Quoi qu'il en soit, un an après, deux versions s'opposent : celle de certaines familles qui continuent à dénoncer les négligences, et celle de la direction qui précise que "tout va très bien à Foucherans".
La sonnette d'alarme a pourtant récemment été tirée par la fille d'une pensionnaire de l'EHPAD jurassien, désormais décédée.
"Ils font ce qu'ils veulent"
Le 4 juin dernier, Michele Flechon publie "une lettre ouverte au médecin référent des Opalines" sur Facebook. Cette publication est partagée des milliers de fois sur le réseau social (ndlr, elle a depuis été supprimée). Dans ce texte, madame Flechon détaille la situation dans laquelle se trouve sa maman, en fin de vie, et à laquelle on refuse, selon elle, une sédation profonde alors qu'elle souffre d'une ischémie et d'une gangrène.
"Je suis allée voir le médecin coordinateur pour que maman puisse mourir dignement, et soit sédatée, puisqu'elle avait fait le choix de finir ses jours dans sa chambre d'EHPAD et qu'elle souffrait beaucoup. Ma mère avait toute sa tête. 'Je ne veux plus vivre, laissez-moi mourir, je n'en peux plus' m'a-t-elle dit. Lorsque j'ai alerté les Opalines, on m'a répondu qu'elle n'avait pas le masque de la douleur sur le visage. Qu'elle n'avait pas besoin d'être sédatée de manière profonde. Il existe la Loi Leonetti pour mourir dans la dignité. Mais au final, ils font ce qu'ils veulent" explique Michele qui liste tous les dysfonctionnements qu'elle a pu remarquer durant les 6 ans de résidence de sa mère, au sein des Opalines.
En effet, la loi Claeys-Leonetti, adoptée en janvier 2016, prévoit qu'un médecin et l'équipe paramédicale ne peuvent pas s’opposer à une demande de sédation profonde et continue de la part d’un patient atteint d’une « affection grave et incurable », dont le « pronostic vital est engagé à court terme » et qui présente une « souffrance réfractaire aux traitements »" comme le rappelle LeMonde.fr.
"Morte le jour de la kermesse, pas de bol..."
Le 16 juin 2018, la mère de Michele Flechon est décédée. "Ma mère a eu la mauvaise idée de mourir dans la nuit du vendredi au samedi" ironise-t-elle. "Jusqu'au bout la situation aura été grotesque. L'organisation funéraire a contacté la direction des Opalines devant moi, pour dire qu'ils viendraient chercher maman à 13h30 et réponse de la direction : 'Il faut emmener le corps au plus tôt, car vous comprenez cet après-midi nous avons la kermesse de l'EHPAD !'". "Maman est morte le jour de la kermesse, pas de bol..." conclu la Jurassienne, qui pointe du doigt les difficultés de communication avec la direction de l'établissement.
"Après la grève, on n'a pas vu de différence"
Nous avons également recueilli le témoignage d'Isabelle, la fille d'un résident des Opalines, qui a séjourné dans cet EHPAD du mois d'août 2016 au 2 février 2018, date de son décès. Cette dernière faisait également partie des personnes ayant porté plainte en gendarmerie durant la grève.
"Nous, on était présents tous les jours, on voyait beaucoup de choses. On a pris la mesure de manquements graves, petit à petit. Après la grève on n'a pas vu de différence. La situation de papa s'est aggravée. Il a été diagnostiqué plusieurs fois en déshydratation sévère par l'hôpital" nous confie Isabelle, qui précise qu'elle a assisté à un turn-over incessant du personnel médical au sein de cet établissement. "Le personnel soignant ne reste pas, c'est invivable" explique-t-elle.
Des embauches de personnels... non diplômés
Nicolas Lemour, secrétaire général CGT aux Opalines de Foucherans, nous éclaire sur la situation : "Depuis qu'une nouvelle cadre de santé est arrivée en décembre dernier, une nouvelle organisation a été mise en place. Des choses se sont améliorées, notamment les remplacements qui sont faits à 80%. Après, le souci qu'on a c'est qu'il y a eu des embauches, mais non diplômées, donc ça crée de gros problèmes, des retards. Effectivement, ça tourne pas mal au niveau du personnel".
Aux Opalines, 18 personnels soignants sont en poste le jour, pour s'occuper des 75 résidents. Quatre personnes assurent les soins la nuit. Nicolas Lemour en fait partie. Pour 151 heures par mois, le jeune homme touche 1400 euros net. C'est un tout petit peu plus que les aide-soignants de jour.
Depuis la grève des Opalines, un observatoire du bien-être a été mis en place en septembre 2017. Il s'agit en fait d'un questionnaire composé de 33 questions, distribué une fois par trimestre à l'ensemble du personnel, afin de recueillir leur ressenti sur l'organisation du travail, le management ou encore la communication. "Il y a eu des choses qui se sont mises en place, avec les 'COPIL'. C'est un baromètre et il montre qu'on progresse" positive Nicolas Lemour qui concède tout de même : "Je travaille de nuit donc je suis moins exposé que mes collègues de jour. Il y a encore beaucoup de travail. Dans le rythme, c'est comme avant le conflit. Le jour, elles (ndlr, les soignantes) courent toujours autant."
Vincent Chagué, consultant en gestion de conflits dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, nous livre une tout autre version au sujet du "turn-over" du personnel de Foucherans : "Il n'y a pas de turn-over de soignants, c'est totalement faux. Dans tous les établissements, il y a des soignants qui ne veulent plus de CDI et qui préfèrent des CDD, car leur salaire est plus élevé". Nicolas Lemour, soignant aux Opalines, tient à nous préciser que "Monsieur Chagué n'est jamais revenu depuis la grève. Il livre la parole de la direction. Il n'est pas là au quotidien. Il n'a jamais assisté à une réunion de l'observatoire du bien-être, même si c'est lui qui l'a créé."
"Pas évident de représenter les familles"
Monsieur Rousseau est, quant à lui, représentant des familles au Comité de vie sociale depuis un an et demi. Ce dernier nous éclaire sur les attentes des familles, qui divergent en fonction du niveau de dépendance du résident. "Ce n'est pas évident de représenter les familles, car j'ai le sentiment qu'en fonction de l'état du résident, de sa dépendance, les attentes changent. Les familles ont mon contact mais je n'ai pas vraiment de retour. On dirait que les familles vivent leur truc, chacun dans leur coin" nous a-t-il expliqué.
Un an après, des efforts ont été faits pour améliorer la situation à l'EHPAD de Foucherans. Malheureusement, il semblerait que les Opalines restent un bon exemple pour illustrer la situation complexe dans laquelle se trouvent nombre de maisons de retraite sur le sol français : surcharge de travail, manque de formation des personnels, familles peu ou pas accompagnées face à la souffrance de leur proche.
► À lire aussi : "Pièces à conviction". Maisons de retraite : les secrets d’un gros business