Témoignage. De 16 à 26 ans, Sophie a été aidante de sa mère malade : "On ne peut pas se construire normalement"

Publié le Écrit par Da Silva Nicolas
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Ce 6 octobre marque la journée nationale des aidants. France 3 Bourgogne s'est entretenu avec Sophie, comédienne, qui a accompagné de ses 16 à 26 ans sa mère atteinte du syndrome de Benson. Elle se livre sur ses responsabilités précoces, sa solitude et les difficultés qu'elle a vécues au quotidien.

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Le 28 juillet 2020, Sophie perd sa mère, la personne la plus importante de sa vie. Une perte abyssale, vertigineuse, quand l'on a consacré plus de 10 ans à accompagner un proche dans la maladie. Pourtant, c'est aussi ce 28 juillet 2020 que Sophie a pris un nouveau départ. Car pendant ces dix années, elle avoue ne pas avoir vraiment vécu pour elle.

Sa maladie, sa mère l'a cachée pendant des années. "De mes 16 à mes 22 ans, elle ne m’a rien dit, témoigne Sophie. Pour moi, ma mère souffrait d’une dépression. On ne communiquait pas à ce sujet. Le jour de mes 16 ans, j’ai dû organiser un voyage à Montpellier à l’hôpital. Ma mère était infirmière libérale à Perpignan et elle refusait de se faire soigner là-bas. Elle ne voulait pas que les gens soient au courant, on était déjà sur un déni de la maladie."

Un tiers des aidants estime être en moins bonne santé que les jeunes de leur âge

Sophie part à Lyon pour vivre son rêve : devenir comédienne. Elle commence des études de théâtre, mais sa vie d'étudiante diffère énormément de la vie de ses camarades."Je n’étais pas dedans. Je sentais que ma mère n’allait pas bien. Quand on fait des études de théâtre, il faut être dans le présent. Et moi, mon esprit était avec ma mère, je m'inquiétais pour elle. Et ça a duré comme ça jusqu’à mes 22 ans."

Je ne lui en veux pas, je suis moi même rongée par une certaine culpabilité.

Sophie

Ancienne aidante

Une responsabilité qui empêche la jeune femme de pleinement s'épanouir. "J’étais toujours très en colère, sur la défensive. Et on ne peut pas se construire normalement, j’étais en décalage avec les autres. Quand mes amis partent à 20 ans en vacances, vivent leurs premières histoires d’amour, moi je gérais les comptes bancaires de ma mère. J’avais l’impression d’être une femme de 56 ans qui gérait des soucis de retraite, de complémentaire santé. Mais je n’en veux pas à ma mère, de ce qui s'est passé."

"C'était dur financièrement"

Quand Sophie apprend que sa mère souffre du syndrôme de Benson (une maladie neurodégénérative qui entraîne des troubles progressifs de la vision), elle décide de la placer dans un établissement spécialisé. "Je l’ai placée dans une unité de soin longue durée. J'avais 23 ans, et j'ai fait une demande de tutelle pour pouvoir gérer ses besoins."

Je me sentais seule au monde, et les gens autour de moi ne comprenaient pas.

Sophie

Ancienne aidante

70% était pris en charge par l'établissement. Malgré cette aide, Sophie a eu des difficultés financières. "Il nous restait le reste à payer, plus la maison familiale que je gardais. Secrètement, j’avais espoir que quelqu’un trouve un médicament miracle et qu’elle puisse un jour rentrer."

54 % des jeunes aidants soulignent la charge mentale et le fardeau de l'aidance 

Quand sa mère décède en 2020, Sophie est désorientée. "J'ai tout redémarré à zéro. J’étais seule à 26 ans. Je me disais : "qu'est-ce que je fais de ma vie maintenant ?" Ma mère me prenait tout mon temps et je m’en occupais énormément. Tous les jours, il y avait quelque chose à faire. Un impôt à régler, une tâche à faire, un papier à envoyer. Ce n'est pas évident d’être le tuteur qui a le triple de votre âge."

Cela fait seulement quelques semaines que Sophie réalise ce qu'elle a traversé. "J'étais devenue une aidante de la vie quotidienne. J’avais tellement de culpabilité parce que pour moi, je n’avais pas fait assez. Je faisais passer les autres avant moi. Je ne savais pas qui j’étais. J’étais Sophie, la fille de Sylvana."

Pour elle, le vrai combat commence alors : accompagner les aidants. "J’ai été tellement seule et isolée. Je sais ce que c’est, et j’ai envie d’apporter ma pierre à l’édifice. Il faut libérer la parole, ne pas rester seul, ne pas se croire être un cas isolé. Certains ne se rendent pas compte qu'ils sont aidants." Selon une étude de la Macif, un jeune sur 10 entre 16 et 25 ans avoue être éprouvé par l’accompagnement d’un proche âgé, malade ou en situation de handicap.

Aujourd'hui, Sophie est comédienne. Partout en France, elle joue "Alzhei'mère", un spectacle qui retrace ce qu'elle a vécu avec sa mère, sa solitude engendrée par cette charge émotionnelle et administrative d'avoir été aidante pendant près de dix ans.

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