Les chips, votre chat, le sport ou le travail ? Quelle est votre addiction en cette période de confinement ? Nous cherchons tous de nouvelles façons de nous occuper, pour faire face à l'ennui. Voici huit potentielles addictions, expliquées et analysées par des spécialistes.
Il faut s'occuper. Face à cette situation inédite de confinement, l'ennui nous guette. Et si nos activités devenaient des addictions ?
Dans ce contexte stressant, le confinement peut exacerber les consommations. L'addiction, c'est un comportement de conduite compulsive qui finit par nous priver de nous libertés et qui crée un manque.
Clément Guillet, psychiatre à Dijon, explique que l'addiction se crée avec trois éléments : une personne, un produit (un objet, la source de l'addiction) et un contexte. Aujourd'hui, le contexte propice, c'est le confinement.
Nous pouvons nous tourner vers de "petits éléments de soutien" comme l'explique Emmanuel Benoît, directeur de la SEDAP (Société d’Entraide et d’Action Psychologique). Joint par téléphone, il nous éclaire et répond à notre question : à quoi pouvons-nous être dépendants ?
À LA NOURRITURE ?
Surveillons-nous sur la balance. Si nous commençons à prendre du poids ou a perdre le contrôle, c'est-à-dire ne pas résister même si on a conscience des conséquences négatives que ça peut engendrer, il faut demander de l'aide. "
AUX VIDEOS PORNOGRAPHIQUES ?
Mais pour tous ceux qui ne sont pas confinés seuls, qui sont avec leur famille ou des colocataires, cette consommation ne risque pas d'augmenter. Il y a une forme de contrôle social à l'intérieur du foyer. Les contenus pornographiques, c'est généralement une pratique individuelle. Le fait d'être confiné ensemble bride notre espace de liberté individuelle. Ca peut freiner la consommation. "
Nos confrères du journal Le Monde ont prouvé qu'il y a eu un pic de la consommation de vidéos pornographiques au début du confinement. Certains sites ont vu leur fréquentation augmenter de 20 à 40 % entre le 16 et 19 mars. Une situation expliquée par la proposition de contenus gratuits (habituellement payants) par certains sites.
Mais aujourd'hui, la tendance se stabilise et ne montre pas une augmentation aussi importante qu'attendue initialement.
À MON ANIMAL DE COMPAGNIE ?
Le plaisir d'être confiné avec son animal lui est rendu. C'est ce qu'on appelle un bien affectif. Dans ces périodes où on a besoin d'être rassuré, besoin d'une oreille pour exprimer ses angoisses, sa peine, on peut se servir de son animal de compagnie.
C'est pour lui que la séparation va être difficile une fois le confinement terminé. N'oublions pas que les animaux ont eux aussi une phase de déprime et après avoir vécu collés à leur maître, ils vont devoir passer par une nouvelle forme d'adaptation. "
AUX ECRANS ?
Pour Emmanuel Benoît, "on est obligé d'être connecté aujourd'hui. Que ce soit pour le travail ou l'école. Pour les jeunes, ce qu'il se passe, c'est une forme de repli sur les jeux vidéos. Pour d'autres, ça peut être une forte consommation de films ou de séries. Mais ce n'est pas grave. Ces activités sur écrans sont importantes car elles nous permettent de conserver un lien avec le monde extérieur (grâce aux réseaux sociaux ou aux jeux en ligne par exemple) ou de s'évader à travers des scénarios, des designs, des images... Ca permet en quelque sorte de reprendre le contrôle.
Le danger, c'est de ne plus maîtriser son temps d'écran. Il faut peut-être passer un contrat moral, avec les enfants, avec soi-même. Ne pas hésiter à l'écrire et à noter les heures passées devant un écran. "
AU SPORT ?
Mais Emmanuel Benoît précise qu'il n'y a pas de crainte à avoir : "Les sports qui rendent accros, ce sont des sports d'endurance et pratiqués très régulièrement, de façon intensive. Mais nous n'avons pas tous des vélos d'intérieur ou de quoi faire des brasses dans une baignoire. La bigorexie n'est délenchée par le corps que lorsqu'il atteint des degrés d'addiction bien spécifiques. Pratiqué en confinement, le corps ne saurait les atteindre.
Mais c'est bien que les gens fassent du sport à la maison. Ou qu'ils sortent courir. En respectant bien évidemment le kilomètre de distance et la durée de sortie. Mais c'est une bonne chose pour la santé physique, pour éliminer les excès. Et c'est surtout une manière de se vider la tête et de faire du bien à son moral. En cette période où les activités sont réduites, il faut garder un lien avec son corps."
AUX JEUX DE SOCIETE ?
Emmanuel Benoît rejoint Frédérique Tutt et assure qu'il n'y a pas de risque de voir enfants et parents devenirs des obsédés de Monopoly ou de Uno... Au contraire, les jeux de société permettent aux familles et aux colocataires de s'occuper tous ensemble et d'éviter des activités individuelles qui contribuent à l'isolement. Lors des apéros vidéos organisés depuis le début du confinement, il est possible de jouer tous ensemble au même jeu, à distance !Dans cette période incertaine, les Français optent pour les grands classiques [...] Ces jeux vont permettre d'occuper et de fédérer toute la famille.
- F. Tutt, experte mondiale du marché du Jouet chez The NPD Group, pour Les Echos
AUX JEUX D'ARGENT ?
AU TRAVAIL ?
Il faut s'imposer des horaires de travail et en parler avec ses collègues (à distance) ou sa hiérarchie. Le travail ne doit pas être une échappatoire au manque de contrôle et aux inquiétudes provoqués par la crise sanitaire actuelle.
Toutes ces nouvelles addictions naissent avec le confinement. Plutôt que de parler d'addictions, parlons plutôt de dépendances. Mais qui peuvent être mesurées et contrôlées. Clément Guillet conseille d'"essayer de garder un rythme de vie, de ne pas se désyncrhoniser et essayer de se questionner."
Emmanuel Benoît rappelle qu'il est important de garder le contact les uns avec les autres et de veiller sur nos amis, notre famille, nos voisins, même à distance. C'est l'isolement et l'ennui qui peuvent provoquer des comportements excessifs.
Le confinement provoque des sevrages
Mais il y a toutes les addictions pathologiques, déjà présentes avant les annonces de confinement : alcool, tabac, drogues. Beaucoup de Français se retrouvent aujourd'hui contraints. Il y a ceux qui profiteront de cette période pour se libérer, réduire leur consommation et ceux qui ne pourront pas y arriver. "Ce n'est pas d'une façon aussi brutale qu'on peut se soigner" précisent les spécialistes des addictions.Les ventes de tabac en France ont augmenté de 30 % ces dernières semaines. Notamment à cause de la fermeture des frontières et l'impossibilité pour beaucoup de Français de s'approvisionner en tabac dans les pays frontaliers (Luxembourg, Belgique, Espagne, etc.)
Alors que de nombreux fumeurs expliquent qu'ils consomment "parce qu'ils sont stressés par le travail", qu'ils ne fument "qu'en soirée", tout est sur pause depuis le début du confinement. Alors pourquoi fumer davantage ? Emmanuel Benoît explique que le stress s'est déporté et qu'encore une fois, la France n'est pas en vacances. Fumer, ça passe le temps. Mais c'est aussi un geste social qui est conservé, lors des apéros vidéos par exemple.
Certains fumeurs craignent de ne pouvoir s'arrêter de fumer en ce moment car ils ne savent pas comment combler le manque : plus de salle de sport, difficulté à se balader, impossible de voir du monde, etc.
Certaines régions en France ont interdit la vente d'alcool suite aux mesures de confinement. "Une grave erreur" pour le directeur de la SEDAP. Le sevrage est brutal. Le stress généré par le quotidien trouvait une réponse dans un verre d'alcool ou une cigarette. Aujourd'hui, les inquiétudes se sont déplacées au sein du foyer confiné. La consommation d'alcool et de tabac peut donc augmenter.
Au même titre que pour l'alcool, les drogues ne peuvent plus être achetées dans la rue. Pour ceux qui n'avaient pas de stock, ils entrent dans un "sevrage catastrophique". "Ce qui va être d'autant plus dramatique, c'est le déconfinement. Ces personnes-là vont être amenées à consommer de façon excessive lorsqu'elles pourront de nouveau sortir et donc acheter leurs produits. Le risque évidemment, c'est l'overdose."
Pendant le confinement, les comportements peuvent être poussés à leurs extrêmes.
Et si on était addict au confinement ?
Emmanuel Benoît rappelle que la situation est inédite. "On a rarement vu des populations rester chez elles, ne pouvant circuler qu'avec des autorisations. On risque de se retrouver avec des gens qui vont développer des phobies, des angoisses, des gens qui ne pourront plus sortir de chez eux. D'où la nécessité de continuer à communiquer et de ne pas hésiter à demander de l'aide. Prudence aux habitudes prises pendant le confinement donc !