Après une casserolade à Dijon, ils reçoivent des amendes de 68€ pour tapage : "une intimidation grotesque"

Depuis dix jours, après leur participation à des manifestations interdites par la préfecture, une trentaine de militants et de syndicalistes dijonnais reçoivent des amendes et des courriers dénoncés comme "intimidants". La majorité des personnes concernées n'ont pas été contrôlées sur place. Se pose une question : comment ont-elles été identifiées ?

"Monsieur, nous avons été destinataire d'un dossier vous mettant en cause pour l'(les) infraction(s) suivante(s) : [...] participation à une manifestation interdite sur la voie publique". Vendredi 26 mai, c'est ce message que Victor Diaferia, un Dijonnais de 66 ans, découvre dans une enveloppe qui lui est adressée par "l’officier du ministère public près le tribunal judiciaire, où on me demandait de reconnaître une infraction".

"Elle est datée du 22 mai et relève précisément le lieu et l'horaire : à Dijon, place de la Libération, le 17/04/2023, entre 19h et 21h" détaille le sexagénaire. Les faits remontent donc à plus d'un mois. Ce jour-là, Victor Diaferia se rend devant la mairie dijonnaise pour participer à la première "casserolade" lors d'une allocution du président Macron. Une manifestation interdite par la préfecture de Côte-d'Or.

En lisant ces lignes, Victor ressent d'abord "de la peur". Qui se mue ensuite "en indignation" avec une question simple : "comment ont-ils fait pour m'identifier ?". En effet, le Dijonnais l'assure, il n'a jamais été interpellé le jour de la casserolade. De plus, "bien que syndiqué au FSU depuis 1995, je ne suis pas ce qu'on peut appeler un militant proactif. Je n'ai même jamais été convoqué par les services de police. Alors comment ont-ils fait pour savoir qui j'étais et trouver mon adresse ? Suis-je fiché ?". Depuis, Victor Diaferia dénonce "une intimidation grotesque".

Sa situation n'est pas un cas isolé. À Dijon, ils sont plus d'une trentaine à avoir reçu ce curieux courrier. Le syndicat Solidaires 21 a commencé un recensement des personnes concernées. "Elles ont toutes comme points communs d'appartenir à des syndicats ou à des associations locales comme Attac, Extinction Rebellion, etc." relève Théo Contis, co-secrétaire départemental de Solidaires 21. "Elles sanctionnent la participation à trois manifestations interdites par la préfecture : deux casserolades, les 17 et 24 avril, et un rassemblement de soutien aux "Soulèvements de la Terre", le 19 avril".

Il y a eu des casserolades dans tout le pays. Et pourtant, il n'y a qu'à Dijon qu'on voit ça

Théo Contis,

Co-secrétaire départemental du syndicat Solidaires 21

À cela s'ajoute une dizaine d'amendes reçues par des participants à un rassemblement organisé lors de l'anniversaire de la Cité de la gastronomie, le 6 mai dernier. Pour "l'émission de bruits portant atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme", les récipiendaires s'exposent à une amende de 68 euros, majorée à 180 euros après 40 jours.

Ces lettres ont été reçues a posteriori des manifestations. "Sur place, quasiment aucun contrôle d'identité n'a été effectué" assure Théo Contis. Selon lui, une grande partie des individus visés n'ont également jamais eu de problèmes avec les forces de l'ordre. Comment ont-ils donc été identifiés ?

Interrogée, la préfecture de Côte-d'Or n'a pas souhaité répondre précisément à nos questions. Nous ont été transmis des éléments par courriel. Les autorités y assument avoir "dressé" des procès-verbaux "lors des casserolades", par des "officiers de police judiciaire et non pas sur constat de caméras". La préfecture rappelle également "que deux policiers ont été blessés par acouphène", et que "les manifestations n'étaient pas déclarées". "Cette mesure est donc bien prévue par la loi et est applicable dans ce type de situation" conclut-elle.

"C'est un peu gros" réagit Théo Contis. "Impossible que les policiers connaissent le visage de tous les manifestants et leur identité. On pense qu'il y a dû avoir une aide des caméras piétonnes ou des caméras de surveillance de la ville".

"Plus grave, comment les forces de l'ordre, à partir de visages, ont-elles pu remonter jusqu'à l'adresse de citoyens inconnus de leur service ?" reprend Théo Contis. "Y a-t-il un fichier qu'on ne connaît pas et qui répertorie des informations sur chaque manifestant ? Cela est-il légal ?"

Pour les militants, "on passe un nouveau stade dans l'intimidation des manifestants"

Dans le milieu militant dijonnais, tous dénoncent une "manœuvre d'intimidation". "Dans le courrier, on nous demande de renseigner nos noms, prénoms, date de naissance... et même le nom de jeune fille de notre mère ! C'est n'importe quoi" s'emporte Victor Diaferia. "On doit ensuite renvoyer ce courrier sous 15 jours, en indiquant, si oui ou non, on reconnaît l'infraction".

"C'est du jamais vu", reprend Théo Contis. "Le fait d'envoyer une reconnaissance d'infraction au domicile des gens, c'est pour dire 'on sait où vous habitez, on vous surveille, ne revenez plus sinon vous aurez une amende'. Ils jouent également sur les difficultés économiques de la population, en cette période d'inflation où beaucoup ont déjà fait grève ces derniers mois".

Le syndicat nous a indiqué que personne n'avait encore rempli ce fameux courrier. "Et puis quoi ?" réagit Victor. "Des manifestations spontanées, on en a toujours fait à Dijon, sans jamais recevoir quoi que ce soit. Je ne suis pas un criminel. On assiste à une dérive autoritaire pure et dure. Quand est-ce-que ça va s'arrêter ?"

Théo Contis est du même avis : "On craint beaucoup pour notre droit à manifester. La suite, c'est quoi ? Des manifestations seulement sur des sujets qui plaisent aux autorités ? C'est ça la démocratie ? Et puis ce n'est pas fini. Depuis les casserolades, il y a eu de nouveaux rassemblements. Va-t-on continuer à recevoir ce genre de courrier et les amendes qui vont avec?".

À l'heure où nous écrivons ces lignes, Solidaires 21 nous a indiqué "étudier la situation avec plusieurs avocats". Une suite en justice est donc envisageable.

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