Il y a 40 ans, l'accident de Beaune : "Ça reste l'intervention la plus difficile de ma carrière"

En juillet 1982, Philippe Rouillard était sapeur-pompier depuis un an à Beaune. Le 31, un carambolage sur l'A6, faisait 53 victimes, dont 46 enfants, dans ce qui reste le pire drame routier de l'histoire de France. Philippe Rouillard faisait partie de ceux qui ont dû sortir les corps de l'autocar calciné. Témoignage.

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En 40 ans, il n'a jamais assisté aux commémorations du drame. Pas par manque d'envie, encore moins par désintérêt. Mais parce que le souvenir de cette nuit-là reste un fardeau, un poids toujours difficile à porter malgré les années. "À l'époque, j'avais 24 ans et deux enfants en bas-âge. J'ai complètement transposé ce drame sur eux." Les yeux parfois humides, Philippe Rouillard accepte de se replonger dans cette soirée du 31 juillet 1982 et de relater ce qu'il a vécu. 

Parmi les premiers arrivés sur les lieux du drame

Alors jeune sapeur-pompier à la caserne de Beaune, en exercice depuis un an seulement, Philippe Rouillard est de garde. "Le premier souvenir que j'ai, c'est d'abord celui d'un bip qui sonne. La sirène retentit également. À cette époque, les appareils n'avaient pas d'affichage, c'était juste un appel sonore : on ne savait pas du tout pour quoi on était appelé."

"Arrivés à la caserne, on nous dit : "Vous partez pour un accident impliquant un bus, suivi d'un feu."

De nombreux pompiers arrivent à la caserne. L'un des collègues de Philippe décide de partir en premier avec le fourgon-incendie, mais il se retrouve très vite bloqué sur l'autoroute A6 dans le flot de circulation. "On décide donc de partir avec un deuxième fourgon en arrivant à contresens", raconte Philippe. Les deux véhicules finissent par arriver sur le lieu de l'accident quasiment en même temps.

"On comprend tout de suite que, s'il y a des personnes à l'intérieur du bus, on arrive trop tard et qu'il n'y a plus rien à faire pour eux. À ce moment-là, on ne sait toujours pas combien ils sont, qui est à l'intérieur. Alors on met tout en œuvre pour éteindre cet incendie, afin de pouvoir accéder à l'intérieur et voir ce qu'il y a exactement dans le bus."

Les pompiers s'attellent à éteindre les flammes qui ravagent le bus. De leur côté, les gendarmes recueillent le maximum de renseignements. "Et on apprend rapidement que c'est un bus avec des enfants. Et qu'il y a beaucoup d'enfants dans le bus..." La voix se brise, les larmes montent. 40 ans après, parler de ce moment reste un calvaire pour Philippe Rouillard. "Petit à petit, les infos arrivent. On apprend qu'ils étaient une cinquantaine dans le bus..."

Au final, 44 enfants périssent dans ce car. Ils ne sont qu'une quinzaine à pouvoir s'extraire de l'habitacle en passant par la porte arrière. La porte avant, elle, est condamnée, bloquée par une voiture prise dans le carambolage. Lorsque les pompiers parviennent à éteindre les flammes et à pénétrer dans le car, ils réalisent.

"On voit très bien que les enfants sont tous regroupés vers l'arrière du bus, avec les animateurs qui ont dû essayer de les pousser vers la seule sortie. Mais ils n'ont pas eu le temps."

Après avoir éteint l'incendie vient le moment de sortir les victimes du bus calciné. "Le commandant de l'époque nous donne l'ordre d'aller chercher 50 housses à cadavre au funérarium de Beaune, parce que bien sûr, on n'a pas ça dans nos véhicules. On part chercher les housses et on commence à sortir les cadavres.

"On les sort un par un. Là, on réalise l'impensable. Être confronté au décès d'un enfant, c'est pas facile. De deux enfants, c'est pas facile. Mais 44 enfants... On ne comprend pas."

Après ce drame, Philippe Rouillard fait ce qu'il peut pour vivre avec. "Je ne pense pas que ce soit la seule méthode, mais c'était la seule que j'avais à l'époque. J'ai décidé de fermer un peu les volets, de me dire : ça ne s'est pas passé, je l'oublie. Sauf qu'on n'oublie pas."

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"Beaucoup de gens m'ont demandé pourquoi je n'avais pas sollicité un suivi psychologique. Mais il faut savoir qu'à l'époque, on n'en parlait pas. C'était même tabou : il ne fallait surtout pas dire qu'on n'était pas bien en rentrant d'une intervention. On était pompier, on était censé être fort. C'était le fonctionnement de l'époque." Une culture du silence qui lui vaut d'être toujours hanté, 40 ans après, par ces souvenirs.

"C'est une intervention que j'aurai à l'esprit jusqu'à ma mort. C'est gravé à vie dans mon esprit et dans celui de mes collègues. En près de 40 ans de sapeurs-pompiers, ça reste l'intervention la plus difficile de ma carrière."

Ce samedi 30 juillet, une commémoration a lieu à Beaune-Merceuil, sur les lieux du drame. Le lendemain, une autre cérémonie est organisée à Crépy-en-Valois dans l'Oise, d'où étaient originaires la grande majorité des jeunes victimes.

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