Depuis un an, Claire Naudin, vigneronne à Magny-les-Villiers (Côte-d'Or) expérimente une taille tardive de ses vignes en Pinot noir et en Chardonnay. Une expérimentation ménee avec l'Institut Universitaire de la Vigne et du Vin Jules Guyot dans le cadre de recherches de lutte contre le gel.
A la fin de l'épisode de gel intense qui a touché la Bourgogne, Claire Naudin est l'une des rares viticultrices à rester optimiste. "Décidément notre expérimentation de date de taille a toutes les chances de réussir cette année", se rejouit-elle sur les réseaux sociaux ce 8 avril. "Entre nous, j'aurais préféré un échec pour absence de gelées. Mais ce serait oublier que les solutions de demain se cherchent aujourd'hui..." Un travail auquel elle participe depuis quelques années.
Comme beaucoup de ses confrères et consoeurs dans le vignoble bourguignon, Claire Naudin a souffert des aléas climatiques ces dernières années. "Nous avons encaissé la grêle en 2012, 2013 et 2014, la sécheresse en 2015, le gel en 2016. Ce fut à peu près normal en 2017 et 2018, mais nous avons replongé en 2019 avec une demi-récolte." Cette année encore, ses vignes n'ont pas échappé à l'épisode de gel intense qui a touché toute la Bourgogne en début de semaine.
Des vignes plus hautes et plus larges
Depuis 1994, Claire Naudin est la tête du Domaine Naudin-Ferrand, situé dans le village de Magny-les-Villiers, à la frontière des Hautes Côtes de Beaune et des Hautes Côtes de Nuits. Claire produit 80% en appellations régionales dont une partie en vigne hautes.
Depuis trois ans, elle s'est lancée dans une expérimentation en lien avec l'Institut Universitaire de la Vigne et du Vin Jules Guyot (IUVV), basé à Dijon. "Je cherchais à comprendre comment l’air froid arrive dans les vignes et comment l’empêcher d’arriver."
Pour résoudre cette question, elle fait appel à Benjamin Bois, chercheur en agroclimatologie viticole à l'IUVV. Sur un demi-hectare de parcelle de vignes hautes de Pinot noir et de Chardonnay, ils décident ensemble de lancer une étude sur la modélisation des mouvements de masse d’air en installant notamment une série de capteurs à différentes hauteurs. "Cet endroit est planté en vignes hautes et larges. Et ça, c’est déjà un début de solution par rapport à la problématique du gel. En 2016, lors de l'épisode de gelées noires, ce qui sauvé le domaine, ce sont les vignes hautes qui avaient quasiment partout échappé au gel." Le plus souvent, c'est à proximité immédiate du sol que se trouve l'air le plus froid. Un défi pour les vignes basses du vignoble bourguignon.
La taille tardive, solution pour lutter contre le gel ?
En complément de cette étude, il y a un an, les chercheurs de l'IUVV proposent à la Claire Naudin de coupler une expérimentation de date de taille de la vigne à différentes dates, toujours dans le cadre d’autres recherches pour lutter contre le gel. "Dans cette expérimentation, on a commencé par envisager trois dates de taille, fin février, fin mars et fin avril, donc une taille normale, une taille tardive et une taille très tardive de la vigne" détaille la vigneronne.
L’idée est de tailler en deux fois avec d'abord le gros du travail à réaliser pendant l’hiver. Le viticulteur laisse alors davantage de longueur que nécessaire sur les bois qu’il garde. "Pour la mise en oeuvre, il y a eu un prétaillage" explique Claire Naudin. "Quand on dit taille tardive, il reste les coups de sécateurs à mettre sur le courson et la baguette, la rameau de vigne. Tout le reste est nettoyé."
C’est une taille longue et rébarbative, mais qui permet de conserver un sous-bourgeon en dessous du bourgeon principal. Un bourgeon de secours, qui en cas de gel de son grand frère devient fructifère comme l'explique Benajamin Bois, climatologue à l'IUVV. "On essaie de feinter la vigne. On ne la taille pas. On laisse les branches très longues sans coups de sécateur. Comme cela les bourgeons situés à l’extrémité vont éclater en premier et ceux de la base sont protégés car ils n’ont pas encore éclaté."
Cette technique de taille tardive a déjà fait ses preuves dans d'autres vignobles comme celui de Chablis ou à l'étranger, notamment en Nouvelle-Zélande comme l'explique Benjamin Bois. "Nos collègues néo-zélandais montrent parfaitement l’interêt de la technique pour éviter le risque de gel."
"On va évaluer très précisément les dégâts du gel et là, on pourra mesurer statistiquement et évaluer l’intérêt de décaler la date de taille et l’attache des baguettes."
Cette période de gel fort comme vient de connaitre le vignoble de Bourgogne du 5 au 8 avril va dans tous les cas permettre à Claire et aux chercheurs de l'IUVV d'avancer et donner un sens à cette première expérimentation.
Les premières conclusions attendues en juin
Une fois que la période de gel sera passée, la productrice et le chercheur vont relever les données enregistrées par les capteurs. "On saura quelle température on aura eu et à quels endroits. Et en parallèle on va observer les bourgeons" explique Claire Naudin. "On va évaluer très précisément les dégâts du gel et là, on pourra mesurer statistiquement et évaluer l’intérêt de décaler la date de taille et l’attache des baguettes."
Il faudra laisser ensuite un peu de temps aux chercheurs pour analyser les données et tirer les premières conclusions. "On va attendre la fin du mois d’avril et dès le mois d’avril on pourra déjà regarder si cela a été efficace ou pas. Aujourd’hui, c’est prématuré", explique Benjamin Bois.
Un moyen peu onéreux et plus respectueux de l'environnement
Claire Naudin est une viticultrice engagée dans la préservation de l'environnement et qui se sent concernée par la dimension écologique. Elle a accepté de participer à cette expérimentation car elle souhaite à terme trouver des solutions moins pollutantes pour lutter contre le gel. Cette semaine, certains domaines ont parfois mis en oeuvre des moyens très importants pour tenter de contrer le froid : bougies, aspersion d'eau, cables chauffants, éoliennes, voire même hélicoptère pour brasser l'air froid au sol.
"Je suis inquiète des solutions mises en oeuvre comme le brûlage des bougies" témoigne la viticultrice. "Brûler des bougies qui polluent beaucoup, cela me gêne par la pollution que cela génère et encore plus par les perturbations générées pour la population." Dans certains vignobles, comme dans le Bordelais, les riverains ne cachent pas leur inquiétude contre ces pratiques.
Aujourd'hui, elle a des raisons d'espérer que cette expérimentaiton puisse donner des résultats probants. "Les solutions pertinentes et durables pour la vigne et pour la population, on ne les a pas encore et il faut les inventer."
D'autres expérimentations de taille tardive ont été également lancées en Champagne ou dans le Val de Loire.