Cris de singe lors du match DFCO-Amiens : un supporter ultra condamné, quatre ans après les faits

Un Dijonnais de 26 ans était jugé ce lundi 4 septembre en correctionnelle pour une affaire qui avait défrayé la chronique à l'époque : les cris de singe adressés au joueur d'Amiens Prince Gouano, lors du match contre Dijon en avril 2019.

"Cette affaire a eu un retentissement absolument affolant dans les médias, tout le monde en parlait", rappelle le procureur. À l’époque, elle avait entraîné des réactions des plus hautes instances, à la fois de la FIFA et de la ministre des sports, Roxana Maracineanu. Le 12 avril 2019, le match de Ligue 1 Dijon-Amiens est interrompu à la 77e minute : le défenseur et capitaine amiénois Prince Gouano vient d'entendre des cris de singe derrière lui en tribune. Rapidement, le supporter mis en cause est identifié : Adrien O., membre des Lingon's Boys.

Interdiction de stade et amendes

Adrien O. comparaissait ce lundi 4 septembre 2023, soit plus de quatre ans après les faits, au tribunal correctionnel de Dijon. Après près de trois heures de débats, il a été reconnu coupable et condamné à deux ans d'interdiction de pénétrer dans une enceinte sportive (stade compris, donc) ainsi qu'à une amende de 1000 euros. En plus, il devra verser 2700 euros pour les parties civiles (LICRA, SOS Racisme et LFP) et un euro symbolique de dommages et intérêts à la Ligue de football professionnel. Le DFCO et le MRAF, qui s'étaient initialement portés parties civiles, se sont désistés.

Cette condamnation intervient après un délai particulièrement long. La raison : un non-lieu avait d'abord été prononcé, puis le procureur a fait appel et la chambre d'instruction a infirmé l'ordonnance de non-lieu, renvoyant le 3 mai dernier l'affaire devant le tribunal correctionnel.

Le suspect a-t-il oui ou non prononcé des cris de singe ?

Quatre ans après les faits, nous sommes loin du battage médiatique et politique de l'époque. Dans la salle du tribunal correctionnel, presque vide, c'est la dernière affaire jugée de la journée. On rembobine les faits : Adrien O, 22 ans en avril 2019, est à l'époque un membre actif des Lingon's Boys, club d'ultras de Dijon.

Adrien O. a-t-il oui ou non prononcé des cris de singe à l'encontre de Prince Gouano ? C'est tout le débat du jour. Les versions de chacun diffèrent : Prince Gouano identifie formellement Adrien O. sur les photos que la police lui présente. "Mais on ne lui présente pas de tapissage !" s'offusque l'avocate du prévenu. Le tapissage, c'est le fait de présenter plusieurs photos pour identifier un suspect parmi d'autres visages. En fait, le visage d'Adrien O. est le seul qui a été présenté à Prince Gouano.

Interrogé également : Thomas Montconduit, coéquipier amiénois de Prince Gouano. Il confirme avoir entendu les cris de singe, mais avoue être incapable de reconnaître Adrien O. lorsqu'on lui présente, à lui, un tapissage.

Autre témoignage important : celui de Ludovic T., stadier et habitué du DFCO, qui dit avoir vu Adrien O. proférer des cris de singe. 

Les preuves matérielles, elles, sont pauvres : il n'existe qu'un extrait vidéo, pris en plan large depuis le terrain, où l'on voit effectivement les ultras des Lingon's Boys derrière le but au moment du corner amiénois. Mais, sur le grand écran du tribunal, on ne peut que constater qu'il est difficile de distinguer les gestes précis que chacun fait, et difficile également d'entendre distinctement qui crie quoi.

"Que s'est-il passé ce soir-là ?" questionne le président.

- "Il y a eu de l'agitation, parce qu'Amiens avait une action et comme d'habitude dans le sport collectif, on essaie de déconcentrer, de huer, de crier... pour essayer de faire perdre un but à l'adversaire. Après, c'était un match tout à fait normal pour moi, comme j'ai pu en faire des centaines partout. J'étais passionné de foot à l'époque", relate Adrien O.

"Est-ce qu'il y avait une idéologie particulière, des idées un peu extrémistes chez les Lingon's Boys ?" demande le président. "Non, le groupe a toujours accepté tout le monde. On aime le foot, on aime se retrouver entre amis, on aime se déplacer partout", affirme Adrien O. "Vous comprenez que ces cris puissent être assimilés à des cris racistes ?" "Oui et non, ça dépend de l'interprétation des gens."

S'ensuit un débat sur le cri en lui-même. A-t-il fait "Hou, hou, hou", imitant un singe, ou "Aou, aou, aou", "un cri imitant les Spartiates", comme le dit Adrien O. ? Une autre explication est avancée : s'il a dit "ou, hou, hou", c'était un diminutif de "Hooligan", un "cri de ralliment" des Lingon's Boys, comme l'expliqueront certains ultras en auditions. 

"Les "Hou, hou, hou", ça fait partie de vos chants ?" demande le président.

"Oui."

"Les "Aou, aou, aou", aussi ?"

"Ça, c'est les Spartiates."

Difficile de tirer des conclusions. Adrien O. dit avoir crié "Aou, aou", certains ultras disent avoir entendu "Hou, hou" pour "Hooligans" ; de toutes façons, les deux cris seraient communs dans tous les stades de foot... Le débat tourne vite en rond. L'avocat de la Ligue de football professionnel, maître Benjamin Peyrelevade, tranche : 

"J'avoue que je ne comprends pas la notion des "Hou, hou" ou "Aou, aou", qui seraient des chants de stade habituels. Quand le stadier vous identifie, lui qui est un habitué du terrain, qui est là toutes les semaines, son interprétation c'est : des cris apparentés à des cris de singe."

Benjamin Peyrelevade

avocat de la LFP

L'avocat de SOS Racisme, maître Guillaume Traynard, embraie : "Qu'est-ce que c'est, un cri de singe ? J'ai posé la question à monsieur Adrien O. et il n'a pas su me répondre. Un cri de singe, c'est imiter le cri d'un singe en désignant une personne de couleur, pour imiter un singe. Mais tout le monde sait ce que c'est un cri de singe, à part monsieur O."

"Toute personne qui connaît le milieu du football sait pertinemment ce que c'est, un cri de singe ! Les "hou, hou, hou" dans les stades, c'est des cris de singe ! Quand on dit "hou, hou, hou" en regardant un joueur noir, c'est un cri de singe et tout le monde le sait ! Il le sait, Prince Gouano le sait, le stadier le sait."

Guillaume Traynard

avocat de SOS Racisme

Guillaume Traynard rappelle qu'à l'époque, le "fléau" du racisme dans le football était déjà présent. Quelques jours plus tôt, le joueur de l'équipe de France Blaise Matuidi était victime lui aussi de cris de singe, lancés par de nombreux ultras italiens, à Cagliari. "Et quand 10 jours après Adrien O. fait "Hou, hou, hou" en regardant un joueur noir, ça n'a aucun rapport ? Les cris de singe, c'est la plaie du football aujourd'hui."

"Prince Gouano, la soi-disante victime"

L'avocate du prévenu, Hirminia Garcia, s'emploie à démonter toutes les affirmations des parties civiles. "Prince Gouano, la soi-disante victime. Il ne dépose pas plainte, parce qu'il n'est pas sûr de lui !" Elle argue le fait que le joueur était de dos et n'a pas pu voir distinctement les supporters. Et de repartir sur le débat des cris en eux-mêmes :

"Comment pouvez-vous dire que ce n'est pas "Aou, aou, aou" mais "Hou, hou, hou" et que "Hou, hou, hou", c'est forcément des cris de singe ?"

Hirmina Garcia

avocate du prévenu

"Aucun autre joueur à côté, chez les Dijonnais, ne dit qu'il a entendu des cris de singe. Pourquoi mon client ne devrait pas être cru ?" questionne l'avocate, rappelant que son client "a des amis de toutes nationalités".

Elle demande la relaxe, pour les cris et pour l'autre délit qui est reproché à Adrien O. : être entré au stade en état d'ivresse. De fait, il confirme avoir bu deux pintes de bière légère avant de pénétrer à Gaston-Gérard, puis deux autres pintes une fois en tribune.

Le procureur, lui, réclame 2000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction de pénétrer dans une enceinte sportive (donc au stade). Alors que la cour se retire pour délibérer, l'un des avocats lâche : "Une affaire pareille qui n'aurait pas été médiatisée, il serait relaxé..." Mais de fait, l'affaire a été médiatisée. Reconnu coupable, Adrien O. a dix jours pour interjeter appel. 

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