Les vins de Bourgogne ne cessent de voir leurs prix augmenter. En ce début 2023, de nombreux bars à Dijon ont augmenté leurs tarifs ou choisissent de se tourner vers d'autres appellations.
"Je vous fais goûter ça, c'est un Languedoc. J'essaie d'habituer mes clients à d'autres cépages car les vins de Bourgogne, ça devient trop cher !" Cette réflexion d'une patronne de bar à Dijon nous a mis la puce à l'oreille. C'est vrai qu'en tant que clients, impossible de ne pas voir que les vins de Bourgogne avaient augmenté ces derniers temps. Alors nous avons voulu en savoir plus, et prendre la température dans plusieurs établissements du centre-ville.
"6 euros le mâcon rouge, 7,40 euros le saint-véran"
"C'est vrai qu'il y a une hausse constante des Bourgogne depuis quelques années", note Murat Tunc, le gérant du Rabelais. À sa carte, essentiellement des vins de la région.
"Le problème, c'est que les touristes de passage veulent boire du Bourgogne : on ne peut pas vendre du Bordeaux ou du vin chilien."
Murat TuncLe Rabelais
Il a donc fallu composer avec l'augmentation des prix. "On a baissé notre marge, mais on a quand même augmenté nos prix. On vend des appellations villages, les verres sont à minimum 5 euros."
Non loin de là, place de la Libération, un serveur nous montre les prix de son établissement : "6 euros le mâcon rouge, 7,40 euros le saint-véran. Je suis dans le métier depuis 20 ans : vous prenez des vins comme les Chorey-lès-Beaune, ils ont doublé depuis !"
"Le Rhône prend toute la place"
Cette inflation sur les bourgognes, Lucie Poirson, responsable du bar à vin Simone, la constate aussi : "On fait le verre de pinot noir à 5,60 euros alors que dans le passé, c'était plutôt 3,50 euros. Le maranges, il est à 7,90 euros alors qu'il coûtait environ 5 euros avant."
"On constate vraiment cette hausse des prix, surtout en sachant qu'en Bourgogne, les vins viennent d'à côté, donc il n'y a pas de coût de logistique et de transport."
Lucie PoirsonChez Simone
Le bar à vin dispose d'une cave dans laquelle les clients peuvent aller chercher directement leur bouteille pour la déguster sur place. "Ici, tous les bourgognes débutent autour de 30 euros. Par contre, on a des côtes-du-rhône à 13 euros. Aujourd'hui, le Bordelais est en chute libre mais le Rhône prend toute la place."
Languedoc, Roussillon, Beaujolais : les nouvelles régions à la carte
Se tourner vers d'autres régions viticoles pour proposer des vins moins chers, c'est aussi le choix fait par le café de l'Industrie, une institution dijonnaise. "Chez nous, on vient pour s'encanailler mais il faut que les prix restent raisonnables", décrit le patron Fabrice Gérard.
"À l'achat, certains vins de Bourgogne ont augmenté d'un euro la bouteille entre décembre et janvier. Donc, depuis quelques mois, on s'est ouvert à d'autres régions."
Fabrice GérardL'Industrie
Il nous montre son ardoise : on trouve du maranges, du hautes-côtes-de-nuits, du pinot noir... Mais aussi du brouilly, du languedoc, du beaujolais. Il y a du maury et du tautavel, des vins du Roussillon. "Il faut s'habituer à ces autres cépages, qui produisent des vins plus tanniques", indique le patron. En revanche, pas de bordeaux à sa carte : "On a essayé, mais le clivage Bordeaux-Bourgogne est vraiment trop fort !"
"On ne peut pas suivre" face à la spéculation
Alors comment expliquer cette hausse des prix ? C'est en partie dû aux épisodes de gel qui ont ravagé les vignes bourguignonnes ces dernières années. "Avec les gelées de 2021, on a eu 50% de récolte en moins dans la région", explique Marc Verdy, agent commercial aux Clés de la cave, distributeur de vins de domaines pour l'hôtellerie-restauration à Dijon.
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"Ça devrait aller mieux avec le millésime 2022, mais ça ne se verra pas avant deux ans", note-t-il. Il explique aussi que de fait, les restaurateurs sont soumis à des quotas. "On ne peut pas livrer tout le monde." Certains établissement essaient d'obtenir davantage d'allocations en proposant des prix d'achat plus élevés. Les autres se tournent vers d'autres régions.
"Le pic-saint-loup marche très bien, le faugères aussi (Languedoc), les terrasses-du-larzac... Les gens commencent à s'y intéresser. C'est la même dynamique qu'avec le brouilly à Paris il y a quelques années."
Marc VerdyLes clés de la cave
Mais outre le gel qui a drastiquement diminué le volume de vin récolté, les cafetiers que nous avons rencontrés s'interrogent sur les autres raisons de cette hausse des coûts : l'augmentation des prix des matières premières, l'inflation générale... Mais aussi, beaucoup de spéculation.
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"Le Bourgogne a le vent en poupe à l'international. Je connais un revendeur qui achetait des vins de Nuits-Saint-Georges à 45 euros la bouteille et les revendait 700 euros à Singapour ! Les clients étrangers ont trois fois plus de pouvoir d'achat qu'en France. Nous, on ne peut pas suivre", regrette l'un des patrons que nous avons interrogés.