"Je vais crever tes enfants" : pourquoi les pompiers sont de plus en plus agressés par les personnes qu’ils vont aider ?

Injures, crachats, coups de pied, coup de poing, menaces... Les agressions contre les pompiers se multiplient partout en France. La Bourgogne-Franche-Comté fait partie des régions les plus touchées. Nous avons recueilli des témoignages des pompiers de Côte-d'Or. 


"Je vais crever tes enfants", c’est la menace qu’a reçue un jour David Camus, pompier de Côte-d’Or, lors d’une intervention.

"Par la suite, cette personne s’est excusée, mais j’ai rempli un dossier et je n’ai pas laissé passer cet incident", dit-il. "Mais, tous mes collègues ne le font pas : certains disent qu’ils ne veulent pas remplir de la paperasse pour rien et d’autres refusent par peur de représailles. Mais, il faut faire remonter ces informations. Si on ne dit rien, ça ne changera jamais", ajoute-t-il.

 

 

Les plaintes déposées ne sont que la partie émergée de l’iceberg

Depuis le début de l’année 2019, il existe une procédure de déclaration officielle. Les pompiers qui sont agressés dans l’exercice de leur métier doivent remplir un formulaire. "C’est pour cette raison que les chiffres d’agression sont en augmentation. Mais, en fait, ces données sont largement en-dessous de la réalité, car un grand nombre d’incidents ne sont pas déclarés", précise le lieutenant-colonel Olivier Roy, chef du groupement des systèmes d'information et de la communication au Service départemental d’incendie et de secours de Côte-d’Or.

 


Pour l’année 2019, à la mi-décembre, 24 incidents ont été déclarés par le personnel. Dans la plupart des cas, ce sont des agressions verbales (menaces, insultes) ou des violences physiques (coups de pied ou de poing, morsures, crachats…). Viennent ensuite les dégradations de véhicule (par des objets, des coups de pied…) ou des tentatives de dégradation de véhicule (jets de cailloux, de bouteilles…). Il y a même eu un jet d’engin incendiaire (cocktail Molotov) et un guet-apens (un faux appel et quand les pompiers arrivent, ils trouvent une rue bloquée avec des gens qui sont là pour en découdre).
Par chance, ces agressions ont entraîné une seule journée d’ITT (interruption temporaire de travail) pour un pompier.

Sur ces 24 incidents, il y a eu :
-10 dépôts de plainte faits par un ou plusieurs agents
-8 dépôts de plainte faits par le SDIS.

"Quand il s’agit d’agressions physiques ou verbales, on incite les agents à porter plainte. Par ailleurs, quand il y a un dommage, le SDIS porte plainte", dit le lieutenant-colonel Olivier Roy.

Ces actions en justice donnent lieu parfois à des dommages et intérêts payés aux pompiers. Cela peut aussi aboutir à des peines de TIG (travail d’intérêt général), voire à de la prison ferme pour les agresseurs. En mai 2019, par exemple, un homme a été condamné à 3 mois de prison ferme et 10 mois avec sursis pour avoir agressé des pompiers à Dijon.
 

 

Comment les pompiers sont devenus la cinquième roue du carrosse ?


"Les services publics disparaissent les uns après les autres : on ferme les gendarmeries, les hôpitaux, il n’y a plus de médecins, etc. Résultat : il ne reste plus que les pompiers qu’on peut appeler. On est la dernière roue du carrosse", explique le pompier David Camus, qui est aussi vice-président du syndicat autonome SPP-PATS 21.

"Se faire cracher dessus en plein visage, ce n’est pas rare. Les tirs de mortier contre les pompiers, cela fait une dizaine d’années que ça existe. Avant, on arrivait à avoir une patrouille de police pour assurer notre sécurité dans les quartiers sensibles. Mais aujourd’hui, c’est laborieux, car eux-aussi sont débordés par toutes sortes de tâches administratives notamment. Résultat : le rapport de forces s’inverse. Les gens se sentent plus forts", dit le syndicaliste.
 

« Ces agressions traduisent une misère sociale et un manque d’éducation », complète le lieutenant-colonel Olivier Roy. « Il y a aussi un changement de mentalité : beaucoup de gens ne voient plus les pompiers comme un service public, mais comme un dû. « Je paie des impôts, donc j’ai le droit de vous demander de faire telle chose », ils ont un comportement de clients. »

Conséquence : ces agressions rendent le métier de pompier moins attractif. Certains s’en vont car ils n’ont pas choisi cette profession pour affronter une telle agressivité ou pour réaliser des interventions qui ne dépendent pas d’eux (transports ambulanciers, destruction de ruches, ouverture des portes pour ceux qui ont oublié leurs clés à l’intérieur, etc.)

 

 

A la ville comme à la campagne, personne n’est à l’abri de ces agressions


"Notre métier a beaucoup changé. Personne n’est à l’abri de ces agressions qui surviennent partout maintenant, à la ville comme à la campagne.
C’est de plus en plus difficile de garder la foi. Beaucoup de mes collègues se sont reconvertis", raconte Julien, qui travaille dans un centre de secours de Côte-d’Or.

A 35 ans, il a déjà été agressé deux fois. 
La première fois c’était dans le sas des urgences d’un hôpital. "On venait pour déposer une victime qui était sous l’emprise de l’alcool et cette personne nous a sauté dessus. On était un équipage de quatre pompiers et trois d’entre nous ont été blessés. Un jeune pompier volontaire a été mordu relativement gravement et il a arrêté suite à cela. Pour ma part, j’ai été blessé aux cervicales et j’ai déposé plainte. J’avais alors 26 ans. Dans ces cas-là, on se dit qu’on aide une personne qui nous agresse et que ce n’est pas logique. On n’est pas préparé à ça. Suite à cela, je suis devenu beaucoup plus méfiant, notamment vis-à-vis des personnes qui ont des problèmes psychologiques."
 


Mais, même si on est prévenu, parfois on ne peut rien faire, reconnaît Julien. "La deuxième fois que j’ai été agressé, j’ai reçu un coup de poing dans la figure de la part d’une personne qui avait des problèmes psychiatriques. J’ai dû passer des examens médicaux, un scanner et j’ai eu plusieurs jours d’ITT. J’ai eu la chance d’être accompagné par des collègues et je leur en suis très reconnaissant."

En effet, au-delà des blessures physiques, "il y a tout le stress judiciaire : la famille qui essaie de minimiser les faits pour que les pompiers ne portent pas plainte. Ensuite, il faut aller au tribunal où on n’est pas épargné par l’avocat de la défense qui tente de mettre la faute sur les pompiers. On entend alors des choses qui blessent. Personne n’est préparé à ça."

 
 

Comment enrayer ce climat d’incivilités permanentes ?

Voir la victime ou un proche de la victime se transformer en agresseur, cela a lieu partout, en ville comme à la campagne. Ces actes sont commis par des hommes, des femmes, des jeunes, des personnes âgées...
Dans ces conditions, que faire pour permettre aux pompiers de travailler dans des conditions normales ?

"Des expériences sont en cours dans certaines régions de France avec des caméras piétons", explique le lieutenant-colonel Olivier Roy. "Si une situation dégénère, un pompier dit à la victime : "Je vous informe que la scène est filmée".
Cela permet de désamorcer la crise. Par ailleurs, cela apporte des éléments de preuve en cas de procédure judiciaire.
 


Il y a aussi les gilets pare-lames pour faire face aux coups de couteau, de cutter… Faut-il que chaque pompier en ait un ou faut-il une dotation collective ? Faut-il le porter tout le temps ou seulement pour certaines opérations ? Ces questions sont à l’ordre du jour dans de nombreux SDIS (services d’incendie et de secours).

Mais, ces propositions sont loin de faire l'unanimité. "Les caméras on est contre, car ça filme devant alors que les caillassages arrivent par derrière", argumente David Camus, vice-président du syndicat autonome SPP-PATS 21. 
"Et les gilets pare-lames, on n’en veut pas, car on a peur que ça augmente le niveau de violence. Après, ils nous donneront un gilet pare-balles, et ensuite ? Si on se protège, cela veut dire qu’on accepte les coups. On n’est pas devenus pompiers pour porter des gilets pare-balle !"
 

"Il faut plus de monde dans les camions et pas dans les bureaux"

En revanche, tout le monde s'accorde sur un point qui est jugé primordial : la mise en place d'une véritable synergie entre les forces de l'ordre. 
"Au niveau de l’organisation, il faut essayer de détecter les situations dangereuses dès qu'un appel arrive au standard. Pour cela, on doit mieux se coordonner avec la police, la gendarmerie et le Samu pour qu’une équipe rejoigne les pompiers sur le terrain le plus rapidement possible", insiste le lieutenant-colonel Olivier Roy.

"Il faut que l’Etat nous donne les moyens d’assurer notre mission : on veut davantage de moyens humains dans les camions et pas dans les bureaux", résume le syndicaliste David Camus.
"Ils recrutent des pompiers professionnels et des volontaires tous les ans, mais quand on fait le compte avec ceux qui démissionnent, on est en sous-effectifsÇa ne peut pas continuer comme ça !"

 
Ce qui est sûr, c'est que cette situation provoque de très nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. 
 
 
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