Les comptes d'apothicaire des laboratoires Urgo, au cœur de l'enquête visant la ministre Agnès Firmin-Le Bodo

La nouvelle ministre de la Santé Agnès Firmin-Le Bodo est suspectée d'avoir reçu, sans les déclarer, plus de 20 000 euros de cadeaux de la part d'Urgo, dans le cadre de ses fonctions de pharmacienne. C'est le second volet d'une enquête tentaculaire qui a ébranlé le géant pharmaceutique implanté à Dijon, en Bourgogne.

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C'est une enquête en cascade, qui ruisselle sur des milliers de professionnels de la santé depuis juin 2021. Au départ, un émetteur : les laboratoires Urgo, condamnés en janvier 2023 par le parquet de Dijon à près de 7 millions d'euros d'amendes et de confiscations. Puis, des receveurs : selon une source proche de l'enquête, pas moins de 8 000 pharmacies disséminées dans toute la France sont concernées... y compris l'officine d'Agnès Firmin-Le Bodo, toute nouvelle ministre de la Santé. Son implication vient d'être rendue public par Mediapart, dans une enquête parue ce 21 décembre 2023.

Qu'est-ce qui pose problème ?

Il est reproché à ces milliers de pharmacies d'avoir accepté des cadeaux de la part des laboratoires Urgo, en échange d'une mise en avant des produits de la marque. "Lorsque le pharmacien achète de produits Urgo au prix fort, sans remise commerciale, il reçoit des "points" sur une cagnotte, équivalant au montant non remisé", explique à France 3 Bourgogne une source bien informée. En clair, si un pharmacien renonce à une remise de 40 % sur des compresses Urgo, il les paiera "plein pot", mais les 40 % seront ajoutés à sa cagnotte.

"Plus la cagnotte est élevée, plus elle permet de recevoir des cadeaux chers, voire extrêmement chers", Plus en détails, le montant non remisé est cagnotté sur le solde du pharmacien. Par exemple, dans le cas de la ministre Firmin-Le Bodo, Mediapart évoque des magnums de champagne Taittinger, des iPhones, une montre Omega d'une valeur de 1 400 euros... Alors que le plafond de cadeaux autorisé par la loi est de 30 euros.

Or, cette pratique est totalement interdite par la loi "anti-cadeaux", historiquement mise en place pour mettre fin à la corruption des laboratoires sur les médecins. Ces pratiques pouvaient conduire les médecins à prescrire des produits, non pas dans le meilleur intérêt thérapeutique de leurs patients, mais pour bénéficier d'avantages des laboratoires. Quelque temps après la mise en place de cette loi, "le législateur a voulu la dupliquer à toutes les professions de santé", détaille notre source.

► À LIRE AUSSI : Scandale au laboratoire Urgo : 8000 pharmaciens auraient accepté des cadeaux de la société pharmaceutique

Plusieurs centaines de pharmacies visées en Bourgogne-Franche-Comté

Les révélations sur la ministre de la Santé ? "Ce n'était qu'une question de temps pour que ça sorte", lance notre informateur, assurant que la répression des fraudes savait depuis plusieurs mois qu'Agnès Firmin-Le Bodo était mêlée à cette affaire. Mais elle est loin d'être la seule : sur les quelque 20 000 pharmacies implantées en France, les enquêteurs en ont identifié 8 000 ayant reçu des cadeaux irréguliers d'Urgo.

En Bourgogne-Franche-Comté, la source que nous avons contactée évoque "plusieurs centaines d'officines visées", principalement de taille moyenne. C'est une caractéristique du dossier : d'après les éléments mis en lumière par l'enquête, Urgo ne ciblait pas les grosses officines.

À l'échelle de la France, les régions les plus concernées sont l'Auvergne-Rhône-Alpes, la région Paca et l'Île-de-France.

Des années d'enquête qui aboutissent

Ces révélations sont le fruit d'un long travail de l'ombre, mené par la répression des fraudes de Dijon depuis deux ans et demi. Comment les enquêteurs procèdent-ils ?

Après identification des cas suspects, chaque pharmacien est entendu en audition pénale libre. Il est interrogé sur ses relations commerciales avec Urgo, la nature des cadeaux dont il a bénéficié. "Certains bénéficient d'avantages utilisés dans le cadre de la pharmacie, par exemple des nouveaux bureaux, ce qui est moins problématique", détaille une source. "Mais certains se font livrer directement chez eux, avec des cadeaux qui n'ont rien à voir avec leur métier : du champagne, des bijoux, des voyages..."

Ensuite, les enquêteurs rédigent un procès-verbal d'audition qui est transféré au procureur local. Le parquet décide des suites à donner en fonction de la nature des infractions : les moins problématiques écoperont d'amendes ou de contribution citoyennes... Les cas plus sérieux pourront passer en CRPC (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité) qui permet d'éviter un procès - à Aurillac, 15 CRPC ont ainsi eu lieu. Les plus gros dossiers pourront même aller jusqu'à une audience, face à un juge.

Les premières auditions ont été menées à Dijon, d'où est partie l'enquête. Puis les investigations se sont étendues à l'ensemble des régions, mobilisant plus d'une centaine d'enquêteurs. Selon nos informations, Agnès Firmin-Le Bodo, la ministre de la Santé, n'a pas encore été entendue.

Quelles conséquences ?

Les clients des phamacies n'ont pas de souci à se faire, selon notre informateur. "Les produits Urgo, principalement des compresses, sont des produits de très bonne qualité. Il n'y a pas de risque pour leur santé. Le problème se situe plutôt au niveau concurrentiel."

"Urgo a mis en place un système qui lui permet d'évincer la concurrence"

source proche de l'enquête

Et cette affaire n'en restera pas là. La DGFIP (direction générale des finances publiques) se charge du volet fiscal de l'enquête : elle s'intéresse à tous ces cadeaux qui, accessoirement, n'ont jamais été déclarés au fisc... Puisqu'ils étaient, par nature, interdits.

Enfin, les pharmaciens ne sont pas les seuls visés par la répression des fraudes. Petit à petit, les enquêteurs élargissent le spectre. Après les officines, d'autres professionnels de santé risquent d'intéresser les enquêteurs. Il devrait y avoir du nouveau dans le courant de l'année 2024.

► Contactés par France 3 Bourgogne, les laboratoires Urgo ont fait savoir ce 22 décembre par le biais de leur service communication : "Nous ne souhaitons pas apporter de commentaire."

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