Un vide juridique entoure cette molécule dérivée du cannabis, le HHC. En vente libre dans certaines boutiques de Dijon, ce nouveau produit pourrait relancer la polémique, après la longue bataille judiciaire autour du CBD.
"Vous auriez du HHC ?" Ces trois lettres reviennent sans cesse dans la bouche des clients de Weecl, une boutique dédiée aux dérivés du chanvre, dans le centre-ville de Dijon. Un jeune homme, bob vissé sur la tête, masque chirurgical couvrant le visage, demande : "Et pour les tests salivaires ? Ça passe ?" A la caisse, Tomy répond par l’affirmative : "Mais cela peut causer des endormissements et une perte d’attention, donc c’est à consommer chez vous. Ne prenez pas le volant après, cela peut être dangereux", prévient le vendeur.
De même pour ce quadragénaire, intimidé par la présence d’un journaliste : lui consommera son HHC en e-liquide, dans une cigarette électronique. "Pour certains fumeurs de cannabis, il est quasi impossible d’abandonner le THC du jour au lendemain, observe le responsable du réseau de boutiques Weecl, Tomy. Donc on leur propose de s’orienter vers le HHC avant de passer progressivement vers du CBD et, un jour, arrêter totalement si c’est leur souhait."
THC, CBD, HHC… Trois acronymes pour trois molécules contenues dans une même plante, mais soumises à trois législations différentes. Le THC, d’abord, désigne la principale substance active du cannabis : son usage et sa vente sont interdits en France. Le CBD a lui été autorisé à la vente en France après une âpre lutte entre les fabricants et l’Etat, qui avait conduit à la fermeture de nombreux magasins. Le HHC, pour sa part, n’est ni interdit, ni autorisé.
Un vide juridique
La France a axé sa réglementation autour de la prohibition du THC : les produits issus du chanvre ne peuvent pas en contenir plus de 0,3%. Or, les fleurs à base de HHC vendues par la boutique ne présentent pour certaines que 0,07% de THC.
C’est donc dans un vide juridique que se sont engouffrés bon nombre de magasins dijonnais, comme partout en France. "Nous respectons la législation et nos avocats y veillent scrupuleusement", assure le responsable de Weecl, qui pointe le QR code présent sur chaque paquet d’herbe vendu dans son magasin. "Cela vous renvoie directement vers les autorisations des douanes. Tout est transparent."
Si le HHC attire tant les clients de Weecl, c’est qu’il est réputé plus fort que l’autre molécule issue du chanvre, le CBD. "Les effets sont semblables au cannabis à certains égards, confirme Tomy. Mais vous n’avez pas la lourdeur musculaire, l’abrutissement et le côté, à terme, désocialisant du THC."
Le responsable Weecl nous confie même que des mères d’adolescents accros au THC lui auraient confirmé les bienfaits du HHC, comme un palliatif au cannabis : "Elles viennent nous voir parce que leur enfant commence à vivre reclus, à perdre toute motivation. Mais, avec le HHC, il retrouve de l’énergie tout en atténuant les effets du manque."
D'autres viennent pour trouver des alternatives aux antalgiques, après des années à souffrir de leurs effets secondaires et de l'addiction qu'ils génèrent. "On a des personnes qui souffrent de sclérose en plaque, d'épilepsie, de troubles du sommeil", détaille Tomy.
Une molécule méconnue
Les supposées vertus du HHC ne sont pas confirmées par la recherche à ce stade. La molécule demeure méconnue, bien que ses particularités chimiques en fassent un cousin du principe actif du cannabis. Un récent rapport de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (en anglais) pointe bien les similitudes entre HHC et THC, mais reconnait l’absence de recherches sur les effets psychotropes de ce dérivé du cannabis et sur l'éventuelle dépendance qu'il pourrait occasionner.
C’est dans les années 40 que des chercheurs se penchent pour la première fois sur cette molécule. Le HHC n’a cependant pas passionné la recherche depuis et c’est donc à l’aveugle que chacun avance dans cette affaire.
Selon franceinfo, les services d’addictovigilance du ministère de la Santé ont recensé ces derniers temps quelques complications psychiatriques dues au HHC, dans des cas dits de "bad trip". Mais les données manquent, reconnait la direction générale de santé.
De l’herbe toujours plus forte dans la rue
A Dijon, chaque vendeur a son avis sur la question. "Si le HHC se développe, c’est à cause de l’interdiction du cannabis : on est le principal pays consommateur en Europe malgré la loi, constate le PDG de Weecl, Guillaume Richard. Nos consommateurs cherchent seulement des alternatives plus saines et légales à ce produit." L’entrepreneur insiste également sur la nocivité des produit en vente "sur le marché noir", comme il nomme le trafic de stupéfiants : "Les trucs qu’achètent les gens dans la rue montent à 30 voire 40 % de THC. A ce stade, c’est une drogue dure."
"Clairement, avec le HHC, on sort de la détente et on rentre dans la défonce."
Un vendeur de CBD
Des données, dévoilées par Libération, confirme cette tendance à l’augmentation du taux de THC dans les produits alimentant les réseaux de criminalité français : "Si les taux moyens des saisies analysées par le SNPS en 2020 étaient de 28% pour la résine et 13% pour l’herbe, les records sont de 52% et 34% cette même année", précisent nos confrères. Selon une étude de l’observatoire français des drogues et des tendances addictives, la concentration de THC tournait autour de 5% dans l’herbe en 2000.
Le HHC serait-il alors un moindre mal ? Un vendeur de CBD dijonnais se montre méfiant. Il nous confie s’être rendu chez un chimiste de son entourage pour "tester le produit". "On a pas de parano, pas d’effets sur la mémoire, pas de sentiment de fatigue comme avec le THC", confirme-t-il. "Mais clairement, avec le HHC, on sort de la détente et on rentre dans la défonce." Il préfère, de fait, ne pas en proposer dans sa boutique. "Je recale deux commerciaux par jour, ils essaient tous de m’en vendre !"
Les vendeurs de HHC dans le brouillard
Ce sont aux vendeurs eux-mêmes de se donner une ligne de conduite, en l’absence de réglementation. Par exemple, à Weecl, le maximum de HHC est fixé à 50% : "On ne souhaite pas aller au-delà", confirme le PDG, Guillaume Bernard.
Pour un autre vendeur de CBD dijonnais, ce n’est pas tant l’effet psychotrope du HHC qui le rebute, mais son procédé de fabrication. Ces produits sont "semi-synthétiques" parce que, pour produire une plante à base de HHC, il est nécessaire de synthétiser la molécule, présente naturellement dans le chanvre, avant de la mélanger à un solvant (de l’eau, par exemple) et de la vaporiser sur des plants de CBD. Ainsi, la teneur en HHC monte artificiellement.
"Nos produits sont parfaitement maîtrisés, hydrogénés à l’eau, sans aucune trace de solvants chimiques."
Guillaume RichardPDG de Weecl
Et cela dérange certains partisans du "tout-naturel" : "Nous, on ne veut pas jouer à ça. Les vendeurs de CBD proposent aujourd’hui plein de produits qui s’éloignent nettement de la plante d'origine."
Le PDG de Weecl l’assure : "Nos produits sont parfaitement maîtrisés, hydrogénés à l’eau, sans aucune trace de solvants chimiques." Mais certains vendeurs nous confient que tous les acteurs du marché n’auraient pas autant de scrupules, selon Guillaume Richard : "Il m’arrive de goûter des trucs… Avec une odeur de distilla dégueulasse ! Les gens ne savent vraiment pas ce qu’ils fument."