Depuis le 28 mars et jusqu'à la veille du premier tour de la présidentielle, nous recevons dans nos boîtes aux lettres les programmes de chaque candidat en version papier. Mais la propagande électorale est-elle encore efficace à l'heure du numérique ?
Artifice démodé à l’ère du numérique ou réel outil démocratique ? Depuis le lundi 28 mars et jusqu’à ce samedi 9 avril, veille du premier tour de l’élection présidentielle, les propagandes électorales déboulent dans nos boîtes aux lettres. Enfin, quand elles ne sont pas en proie à des soucis d'acheminement. Selon La Poste, chargée de leur distribution, près d’un tiers des Français n’ont pas encore reçu les professions de foi des candidats.
Mais alors que les électeurs ont accès aux programmes directement sur Internet et que les politiques eux-mêmes usent et abusent de plus en plus des réseaux sociaux et des nouvelles technologies, à l’image d’un Jean-Luc Mélenchon capable de mener en même temps un meeting dans 12 villes différentes, non pas grâce à ses dons d’ubiquité, mais grâce à un hologramme, communiquer ses idées sur papier a-t-il encore un sens ? Les propagandes démocratiques sont-elles vraiment lues par les citoyens français ou finissent-elles tragiquement au fond de nos poubelles sans même avoir été consultées ?
Julie, 35 ans : "Je ne les regarde pas"
Dans les rues de Dijon (Côte-d’Or), les électeurs semblent se répartir en deux camps. Ceux qui ne se sentent pas représentés par les différents candidats et qui ne liront donc pas leurs programmes. Et les curieux pour qui les professions de foi sont un véritable appui au moment de choisir.
Dans la première catégorie, on retrouve par exemple Julie, 35 ans. Nous la croisons à la terrasse d’un café près de la rue de la liberté, chocolat chaud dans une tasse, pluie et froid oblige. "Je m’intéresse à la politique mais je ne voterai pas. Je n’ai pas envie de voter contre quelqu’un mais pour", lance-t-elle. La Dijonnaise n’a pas reçu les propagandes des prétendants à l’élection. Mais elle sait déjà qu’elle ne les lira pas.
"Je ne regarde pas. J’écoute beaucoup la radio, notamment les grands entretiens sur France Inter. Les propagandes sont ciblées. Si je reçois le programme d’Éric Zemmour, c’est lui qui l’a rédigé et ce n’est pas objectif", estime Julie.
Maryse, 66 ans : "Ça va m'aider à faire la différence"
Maryse brave le mauvais temps en cette fin de semaine pour aller faire son marché sur les Halles de Dijon. La retraitée de 66 ans rejoint le camp des partisans des professions de foi. "Je me base sur les programmes pour choisir. Ça va m’aider à faire la différence", souffle celle qui a reçu les programmes version papier ce jeudi.
"Je vais tous les lire, c’est un devoir ! La télé et internet, c’est non, ça ne m’intéresse pas. Le papier, je suis tranquille, je réfléchis, je compare, je prends le temps", confie-t-elle.
Mais le degré d’appréciation des professions de foi ne semble pas être une question de générations.
Amélie, 22 ans : "Les débats télé, ce n'est pas là où les candidats sont pertinents"
Alors qu’elle patiente avant un rendez-vous dans une pharmacie, Amélie, 22 ans, nous confie vouloir lire les propagandes électorales avant le premier tour de la présidentielle.
"Je trouve que ça donne une idée, même résumée, de ce que chacun propose". La jeune étudiante ajoute qu’elle utilise tout de même d’autres ressources pour découvrir les propositions des prétendants à l’Élysée.
"Je vais aller jeter un coup d’œil sur les sites des candidats ou me rendre sur des médias qui vont comparer les programmes ou aller chercher un peu plus loin, voir si c’est faisable ou non".
Mais comme Maryse, la retraitée que nous avons croisée plus tôt, Amélie ne regarde pas les émissions politiques à la télévision. "Les débats sont anxiogènes. Il y a souvent des cris, des insultes. Ce n’est pas là où les candidats sont les plus pertinents".
La propagande électorale, mode d’emploi
Près d’un siècle après sa création, la propagande électorale semble donc avoir encore de l’avenir. C’est la loi du 20 octobre 1919 qui ancre le lancement de la pratique, vue alors comme une avancée démocratique, car elle permet d’assurer le principe d’équité entre candidats.
Toutes les professions de foi doivent par exemple respecter les mêmes dimensions (210 X 297 millimètres pour être précis) et le papier utilisé doit faire le même poids (70 grammes au mètre carré).
Depuis 1924, la propagande électorale est remboursée aux candidats qui obtiennent plus de 5 % des suffrages exprimés. Quant à son envoi, c’est l’État qui le prend en charge. Non sans certains couacs, comme en 2021, lors des élections départementales et régionales où près de 21 000 électeurs à travers la France ne les ont pas reçues.
En cause, les défaillances du prestataire privé Adrexo, chargé de la distribution des programmes avec la Poste. "Les taux de non-distribution des plis au second tour des élections départementales et régionales dans les zones gérées par le distributeur Adrexo s’élèvent respectivement à 27% et 42%. La Poste présente des taux de non-distribution nettement moins élevés, à hauteur de 8,7% pour les départementales et 8,9% pour les régionales", selon un rapport de l’Assemblée nationale. Gérald Darmanin parlera ainsi de "dysfonctionnements inacceptables".
Quel impact environnemental pour la propagande ?
Ces dernières années, les gouvernements des pouvoirs Hollande puis Macron ont tenté de dématérialiser la propagande électorale pour des raisons administratives mais aussi écologiques.
Selon une étude de l’Inspection générale de l’administration, "l’impact environnemental est estimé, rien que pour la présidentielle, à 360 millions de feuilles papiers qui ont été utilisées. L’équivalent de 24 000 arbres, 90 terrains de football". Autre chiffre, pour l'élection de 2012, 9 000 tonnes de papier ont été envoyées aux citoyens à travers la propagande électorale.
Pour autant, l'impact environnemental des professions de foi est à nuancer. Les candidats qui veulent se faire rembourser par l'État pour leur envoi doivent en effet utiliser du papier recyclé ou originaire de forêts dédiées et gérées durablement.
Inscrite aux projets de Loi de finances pour 2014, 2015 et 2017, la suppression de l’envoi des propagandes en version imprimée est rejetée à chaque fois par l’Assemblée nationale. En 2018, le projet de loi de réforme constitutionnelle propose également des professions de foi dématérialisées mais consultables en mairie et par voies électroniques. Nouveau refus de l’Assemblée nationale.
La propagande papier constitue pour d'innombrables foyers, le seul moment de l'élection où est présentée l'intégralité des candidat-e-s à égalité
Bastien Lachaud, député LFI
"C'est l'occasion d'un moment d'éducation républicaine, où les parents apprennent à leurs enfants l'importance du vote, la fonction des élus et élues, et expliquent le choix qu'ils font.", lançait alors le député LFI Bastien Lachaud au moment de la discussion de ce projet.
Forte de l’égalité de traitement entre candidats et entre citoyens qu’elle offre, la propagande électorale n’a depuis plus jamais été discutée par le pouvoir en place. Face au numérique, l’imprimé fait de la résistance.