Les squatteurs de Fontaine-lès-Dijon (Côte-d'Or) vont devoir partir. Mercredi 11 décembre, le tribunal judiciaire de Dijon a ordonné l’expulsion de la quarantaine de demandeurs d’asile de l'ancienne unité psychiatrique de la Chartreuse, d’ici 30 jours.
Ce pourrait bien être l'épilogue d'un feuilleton à rebondissements. Mercredi 11 décembre, le tribunal judiciaire de Dijon a rendu sa décision dans l'affaire du squat de l'ancienne unité psychiatrique de la Chartreuse de Fontaine-lès-Dijon (Côte-d'Or). La quarantaine de demandeurs d'asile est sommée de quitter les lieux dans un délai de 30 jours, soit à la mi-janvier au plus tard.
"La ville est satisfaite", se réjouit Maître Anne Geslain, avocate de la commune de Fontaine-lès-Dijon.
"Ils sont là depuis un an déjà et ces locaux ne sont sans doute pas très adaptés pour être habités."
Me Anne Geslain, avocate de la ville de Fontaine-lès-Dijon
Du côté des exilés, le délai accordé est un moindre mal, selon leur avocate. "Évidemment, je préférerais que ces gens ne soient pas expulsés. Mais on ne vit pas dans un monde idéal, a réagit maître Dominique Clémang. Je craignais que le tribunal ordonne une expulsion sans délai, donc quelque part je suis plutôt satisfaite". L'avocate avait plaidé pour une expulsion au minimum après l'hiver.
Le tribunal a, en effet, estimé que l’entrée dans les lieux est qualifiée de voie de fait, soit une atteinte au droit de propriété. Les squatteurs sont également condamnés solidairement à payer à la ville une somme de 300 euros pour frais d’avocat.
Pas de trêve hivernale
Les occupants devront donc quitter les lieux en pleine période de froid, car la trêve hivernale ne s'applique pas aux squatteurs. Mais leur avocate croise les doigts : "Jusque là, même dans des cas comme celui-ci où la trêve hivernale ne s'applique pas, le préfet n'a jamais expulsé en plein hiver."
Car pour les expulser, la mairie doit obligatoirement faire appel aux forces de l'ordre, mobilisées sur accord du préfet. "Généralement, il a attendu des périodes plus clémentes. Espérons qu'il fasse de même cette fois-ci", complète Me Clémang. L'avocate de la Ville affirme quant à elle qu'elle demandera le concours de la force publique au préfet dès les 30 jours passés.
"Il y a toujours urgence à récupérer sa propriété. C’est l'un des droits les plus protégés et sacralisés dans la législation."
Me Anne Geslain, avocate de la ville de Fontaine-lès-Dijon
"Surtout qu'ici, il y a un projet immobilier d'envergure qui porte sur création de logements d’habitations avec des logements sociaux. Il faut pouvoir avancer", affirme Me Geslain.
La ville de Fontaine-lès-Dijon, propriétaire du bâtiment depuis 2020, souhaite en effet le démolir pour construire de nouveaux logements. Mais aucune urgence, selon l'avocate des squatteurs, qui affirme que "le permis de construire n'a même pas été déposé".
"Il vaut donc mieux 40 personnes dans un local qui ne sert à rien que 40 personnes dans les rues de Dijon, me semble-t il."
Me Dominique Clémang, avocate d'une vingtaine de squatteurs
Bataille judiciaire
Depuis un an, Fontaine-lès-Dijon et les squatteurs se livraient à une bataille judiciaire. Tout commence le 19 octobre 2023, lorsqu'une quarantaine de demandeurs d'asile en situation de grande précarité investissent les locaux, à l'abandon depuis 2019. Ils avaient, quelques mois plus tôt, été expulsés du squat des Marmuzots à Dijon.
Quelques jours plus tard, le maire de Fontaine-lès-Dijon (LR) Patrick Chapuis et l'EPFL (établissement public foncier local) de Côte-d'Or portent plainte. Le 31 octobre, le préfet adresse aux exilés une mise en demeure, les sommant de quitter les lieux sous 13 jours.
Mais les squatteurs sont soutenus par plusieurs riverains, qui estiment qu'ils "ne gênent personne ici", ainsi que par le collectif Soutien Asile 21. Ce dernier dépose un recours devant le tribunal administratif, qui suspend l'expulsion en novembre 2023. Le maire de Fontaine-lès-Dijon, Patrick Chapuis, nous fait alors part de sa "déception" et son "incompréhension" face à "une décision qui favorise les comportements illicites".
Deux mois plus tard, en janvier 2024, le schéma se répète. Le tribunal argumente alors que des mineurs, deux adolescents selon nos informations, sont présents dans le squat. Conformément à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et à l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, une expulsion ne peut avoir lieu à partir du moment où il n’y pas de solution de relogement pour les mineurs.
Un bâtiment à l'abandon
Autre point de crispation : la nature du bâtiment. En mettant les squatteurs en demeure de quitter les lieux, la mairie souhaitait bénéficier de la procédure d'expulsion en 72h permise par la récente loi Kasbarian, dite "loi anti-squat".
Mais pour qu'elle s'applique, il faut que le bâtiment soit considéré comme un "local à usage d’habitation ou à usage commercial". Or, la justice a retenu la qualification de "bâtiment administratif à usage hospitalier" pour cet ancien centre thérapeutique. Un acte d'expulsion ne pouvait donc pas être prononcé par la préfecture.
Du côté des demandeurs d'asile, l'inquiétude est vive, comme le rapportait cet article du 25 décembre 2023.
"La mairie veut nous expulser, mais nous leur demandons : on va partir où ?"
Moussa, réfugié squattant le bâtiment
Arrivé à Dijon en 2020, le réfugié de Côte-d'Ivoire désespère : "On a essayé d'appeler le 115 pour qu'ils nous hébergent, mais il n'y a pas de place pour le moment. Ici, tout le monde n'est pas en bonne forme. "On n'a nulle part où aller, abonde un autre exilé. On ne gêne personne ici". Les associations ont désormais un mois pour leur trouver une solution.