Depuis l’annonce de la garde à vue du chef, accusé par une ex-employée de harcèlement moral et sexuel et d’agression sexuelle, des langues se délient autour du restaurant Origine. Nous avons pu joindre plusieurs anciens salariés, qui dénoncent ce qu'il se passe en cuisine.
Que se passe-t-il dans les coulisses d'Origine ? Le célèbre restaurant dijonnais, récompensé en 2022 d'une étoile au guide Michelin, est au coeur d'une affaire qui fait grand bruit dans le milieu feutré de la haute cuisine.
Le chef Tomofumi Uchimura, 44 ans, a été placé en garde à vue ce lundi 25 novembre à 8h30, après l'ouverture d'une enquête pour harcèlement moral et sexuel et agression sexuelle. Il en est sorti ce mardi soir, après plus de 30 heures d'interrogatoire et une confrontation avec la plaignante.
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Cette plaignante est une ex-salariée d’Origine. À nos confrères du Bien Public, elle dénonce notamment : “Il adoptait un jeu de séduction avec moi, avait constamment un regard lubrique, il y avait des compliments, il me disait des petits mots salaces, se frottait subtilement à moi.”
"C'est un très bon patron"
Tomofumi Uchimura, par le biais de son avocat, “conteste vivement” ces accusations et crie à une “cabale”. Des accusations également contestées par un salarié du restaurant, rencontré cet après-midi, et qui défend son chef. “Je suis très surpris par ce que j’entends. Pour moi, c’est un coup monté.”
Pour moi, c’est un coup monté
un salarié d'Origine
“Pour moi, c’est un coup monté. C’est un très bon patron, ce qu’on entend ne représente pas du tout le chef. C’est quelqu’un de très correct avec ses salariés, qui fait son service comme il faut le faire, il faut de la rigueur dans un étoilé Michelin. Je n’ai jamais vu aucune violence qu’elle soit verbale, morale ou physique”, assure ce salarié qui tient à garder l’anonymat.
"Tu vas la baiser"
Mais en parallèle, d’anciens salariés du restaurant que nous avons pu joindre tiennent un tout autre discours, accablant pour le chef. Propos graveleux, insultants, mais aussi épuisement professionnel, horaires à rallonge et fausses fiches de service : la liste est longue.
“Il n’a jamais eu d’actes physiques envers moi, mais énormément de paroles déplacées, obscènes”, raconte Delphine (prénom d’emprunt), qui a travaillé chez Origine en 2019. À cette époque, le restaurant vient juste d’être racheté à Stéphane Derbord, autre grand nom de la gastronomie bourguignonne, et Tomofumi Uchimura n'a pas encore d’étoile.
Delphine précise. “Au début, je m’entendais très bien avec le chef, ça avait ‘matché’. Et au fur et à mesure, j’ai eu l’impression qu’il ne me prenait pas pour ce que je valais, mais pour ce que j’étais physiquement."
Ça lui arrivait de me sous-entendre que j’aimais faire l’amour, que j’aimais le sexe, que je devais être quelqu’un de torride… Des fois, ça lui arrivait de me demander ce que j’avais fait avec mon copain, si on faisait encore l’amour.
Delphineex-salariée d'Origine
Des remarques toujours faites, selon Delphine, à l’insu de l’épouse du chef qui travaillait aussi au restaurant. “C’était toujours très discret, elle n’a jamais entendu une seule remarque qu’il a pu me faire.”
Employé d’Origine pendant trois ans, Hugo (prénom d’emprunt) confirme avoir été témoin de ces remarques déplacées à plusieurs reprises. “C’était des blagues salaces pour les femmes. Des fois, le chef regardait par la vitre entre la cuisine et la salle et quand il voyait une cliente jolie, il nous disait : “Regardez cette femme, elle a des gros seins !” Dès qu’une femme jolie était en cuisine, il nous disait : “Tu vas la baiser, tu vas la baiser…” C’était hyper malaisant.”
"Injures racistes, violences, chantages et menaces"
Au-delà des remarques sexistes, les ex-salariés que nous avons contactés dénoncent plus globalement un climat délétère au sein du restaurant.
“C’est un excellent chef, mais les relations humaines étaient horribles, la gestion des salariés infâme”, juge Hugo. "Au bout d’un an et demi, j’ai commencé à être vraiment pas bien. Je me prenais des ‘cartouches’ tout le temps, c’était invivable.” L'ex-apprenti décrit “des insultes, des tapes derrière la tête, des propos dégradants, racistes…"
Avec son adjoint, ils nous insultaient en japonais, disant qu’on était des fainéants, des branleurs, ils se moquaient de nos prénoms.
Hugoex-salarié d'Origine
“Il hurlait tout le temps”, corrobore Delphine. “Il était insupportable, ça n’allait jamais, les cuisiniers étaient tous à sa merci comme si c’était le messie et qu’il fallait tout faire pour lui.”
“Je ne compte plus le nombre d’apprentis, de pauvres gosses de 17-18 ans, que j’ai vu se barrer en pleurant”, ajoute Hugo. Max (prénom d’emprunt) est l’un de ces apprentis. Par écrit, il détaille : “Le chef m’a poussé plusieurs fois lors de colères incontrôlées.” Il évoque “une pression énorme mêlant injures racistes, violences, chantages et menaces”. Notamment sur les emplois du temps.
“80 heures par semaine pour 1500 euros”
“Je commençais à 8 heures du matin jusqu’à 16 heures, et je revenais à 17 heures pour terminer à minuit-1 heure, ce qui fait 16 heures par jour”, témoigne Max. Des horaires confirmées par les autres salariés que nous avons contactés. Hugo : “On faisait 80-90 heures par semaine, payés au lance-pierre.”
“Plus de 80 heures par semaine pour 1500 euros”, déclare aussi Marie (prénom d’emprunt), la mère d’un jeune qui a passé un an et demi au restaurant. “Le chef lui demandait de venir sur ses jours de repos, sans être payé, pour participer à des dégustations et des réunions.”
Son fils, actuellement hospitalisé, a quitté le restaurant à la suite d’un problème médical, confie Marie. “Il a été opéré, et devait ralentir le rythme pendant deux mois pour sa convalescence. Il a demandé au chef de lever le pied sur les horaires. Il lui a répondu qu’il devait travailler comme les autres.” Delphine aussi est partie à cause de cela. “Je faisais trop d’heures, je n’avais plus de vie en fait.”
Mais comment le restaurant a-t-il pu rester dans la légalité en accumulant autant d’heures ? Les ex-salariés que nous avons interrogés tiennent le même discours :
Le chef nous faisait signer de faux plannings d’horaires et nous menaçait si on refusait de signer.
Hugoex-employé d'Origine
Delphine corrobore ces propos. “Il nous obligeait à les signer, il nous mettait la pression." Max raconte la même chose, et ajoute : “Il nous obligeait à venir faire du nettoyage sur nos congés, il nous obligeait à venir travailler les soirs et le week-end sur nos semaines d’école.”
"Je me disais : c'est la haute gastronomie, c'est normal"
Pourquoi ces faits, s’ils sont avérés, n’ont-ils pas été dénoncés plus tôt ? Difficile de parler dans le milieu restreint de la grande cuisine, confient nos sources. “C’était ma première expérience en restauration", explique Hugo, "donc au début, je me disais : c’est la haute gastronomie, c’est normal, il faut que tu t’adaptes…"
Dans le même registre, Marie se souvient des déclarations de son fils apprenti. "Moi, il me disait : 'je travaille dans un étoilé', pour lui c'était très bien, c'était normal."
Et puis, tout n'était pas noir dans le tableau d'Origine. "Le chef avait un contact très convivial avec le personnel, il faisait goûter ses plats..." se remémore Delphine. "Et j’avais un énorme respect envers lui. Même moi, je me disais : “on veut l’étoile”, c’est gratifiant de se dire qu’on participe à tout cela."
Le chef avait quand même travaillé avec monsieur Pras [chef triple étoilé de la maison Lameloise]. Monsieur Uchimura, ce n’est pas personne. Mais il en joue. Il en abuse même.
Delphineex-salariée d'Origine
Sur les nombreuses remarques sexistes que Delphine dit avoir subies en 2019, la jeune femme explique : “Je n’ai jamais vu le mal sur le coup, parce que les chefs en restauration sont souvent comme ça. Ils aiment faire comprendre aux femmes qu’elles sont agréables à voir, et ce n’était pas le premier que je rencontrais à faire ça." Depuis, elle a changé d'employeur et a découvert une toute autre ambiance en cuisine. "Jamais un propos déplacé, un respect total, pas de rapport au physique ni au sexuel... C'est là qu'on se rend compte que le rapport qu'on avait avec le chef Uchimura n'était pas sain du tout."
Aujourd'hui, le dépôt de plainte et l'ouverture d'une enquête qui en découle ont créé un séisme. "Je pense que ça a ouvert une porte immense", juge Delphine. "On ne peut pas tout mettre sur le compte de la 'rigueur japonaise' dont on parle tant dans le monde de la gastronomie", tance Hugo.
Comment réagit le chef à ces nouvelles accusations ?
Nous avons fait part de l'existence de ces témoignages à l'avocat de Tomofumi Uchimura, maître Fabien Kovacs, ce mardi soir, à la sortie de garde à vue de son client. Il reste sur la même ligne de défense et conteste les accusations.
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"Il ne faut pas oublier d'abord, que si vous posez la question dans n'importe quel étoilé, on va vous dire que : oui, on fait des heures - c'est d'ailleurs prévu dans la convention collective -, oui, on est dur en cuisine. Quand vous avez en plus un chef japonais qui ne parle pas très bien français, la communication est forcément restreinte."
Toutes ces déclarations sont sujettes à interprétation, mais ne constituent pas nécessairement une infraction pénale de harcèlement moral, d'agression ou de harcèlement sexuel. Il faut faire la part des choses.
maître Fabien Kovacavocat de Tomofumi Uchimura
Les fausses fiches d'horaires ? "Il n'a pas été question de cela lors de la garde à vue, et ce n'est absolument pas ce qui est reproché à mon client", souligne Fabien Kovac. "Si les salariés ont effectivement rempli des fiches et renseigné de mauvais horaires, j'ai envie de dire qu'ils n'avaient pas d'intérêt à le faire puisque justement, les heures supplémentaiers sont payées."
Plus globalement : "Il faut voir dans quelles conditions ces ex-salariés sont partis. Aujourd'hui, c'est facile de parler, maintenant que le chef est en garde à vue, chacun veut mettre son grain de sel."
Les chefs japonais, de toutes façons, sont réputés pour ça. Cette rigueur, c'est ce qui leur permet d'avoir aujourd'hui les compliments des critiques gastronomiques un peu partout en France, il n'y a pas de mystère.
maître Fabien Kovacavocat de Tomofumi Uchimura
► En l'état, Tomofumi Uchimura n'est visé que par une seule plainte. Il conteste toujours vivement les faits. Le parquet de Dijon se laisse le temps d'analyser le dossier avant de décider des suites à donner : relaxe, mise en examen ou complément d'informations.