Depuis 45 ans, Lucienne Haese, plus communément appelée "Lulu du Morvan", se bat contre la monoculture de pins et d'épicéas dans le massif morvandiau. Un engagement qui vient de son enfance, passée à jouer dans ce milieu si familier.
"Le Morvan, c'est l'idéal ! On n’a pas besoin de partir en vacances je ne sais où. On a tout, la forêt, les lacs, les rivières, la biodiversité..." Lucienne Haese parle toujours de sa terre natale du sourire dans les yeux. Depuis 45 ans, "Lulu du Morvan", son surnom affectueux, se bat contre la monoculture d'épicéas et de pins Douglas dans ce massif à cheval sur les quatre départements bourguignons.
Cet engagement lui a valu d'être faite chevalière de l'ordre national du mérite. Mais revenons en arrière, là où tout a commencé. "Je suis né à Couhard (Saône-et-Loire), un petit village à côté d'Autun. Mes parents se chauffaient au bois. Mon père allait donc en couper dans la forêt de Montmain, situé juste au-dessus du village et il m'y emmenait quand j'étais très jeune." Petit à petit, le silence et le paysage de cette forêt la passionnent. "Je croyais être dans les nuages."
Des débuts loin de ses combats
Mais, à 12 ans, elle est obligée de quitter Couhard, car ses parents n'avaient pas les moyens de racheter la maison où ils habitaient. Direction Autun, et plus précisément le quartier Saint-Jean, dans les tout premiers HLM. "Ce n'était plus du tout la nature comme je l'avais lors de mon enfance. C'était vraiment très très dur pour moi, se retrouver dans un milieu si différent, sans poule, ni jardin, ni forêt... Tout ce qui animait mon enfance avait disparu."
Lorsqu'elle devient adulte, Lulu suit son mari et décide de partir en région parisienne. Mais, rapidement, elle n'a qu'une idée en tête : retrouver son Morvan natal. Lucienne Haese économise assez pour pouvoir s'acheter une maison sur ce territoire en 1964, avant d'y poser définitivement ses valises en 1979.
Le retour n'est pas celui qu'elle imaginait. "Ce n'est plus le territoire que j'avais connu. Il n'y a plus de paysans ou de haies, le type d'élevage réalisé a également changé..." Mais surtout, l'écosystème forestier s'est fortement transformé.
"Au fur et à mesure, je m'apercevais que la forêt traditionnelle que je connaissais disparaissait sous mes yeux ! Les coupes à blanc [La récolte de tous les arbres d'un peuplement forestier] se multipliaient et à la place des belles forêts de feuillus, on plantait des épicéas et des pins Douglas."
Selon une étude réalisée par trois chercheurs, dont deux venant de l'université de Bordeaux, les insectes herbivores causent en moyenne 20 % de dégâts en plus dans les monocultures d'arbres. En ce qui concerne les coupes rases, de nombreux experts pointent l'appauvrissement des richesses des sols forestiers suite à ce phénomène. L'écosystème a donc de plus en plus de mal à se développer dans ces endroits.
Mais, à l'époque, des investisseurs institutionnels, comme AXA, la Caisse des dépôts et des consignations ou Groupama, ont décidé de racheter des parcelles de forêts pour faire de la productivité.
"Ils ont ratiboisé la majorité des feuillus car ils ne poussaient pas assez vite, et ils ont planté des monocultures de pins Douglas."
Lucienne Haese
Ils décident de s'organiser pour racheter des forêts
Pour s'organiser et alerter sur ce phénomène, Lucienne Haese décide de rejoindre Autun Morvan écologie. "J'ai essayé de me battre seule, mais seul on ne va pas loin. Cette association permettait de me battre contre cette situation forestière mais aussi ailleurs." Très rapidement, elle décide de faire des stands dans les communes avoisinantes ou dans les fêtes de village.
"Les gens se disaient que les monocultures de pins sont belles. On ne parlait pas beaucoup des conséquences écologiques de ces exploitations industrielles. On me disait : un Douglas c'est un arbre, donc pourquoi pas."
Pour autant, le problème de ces exploitations empirait. En 2003, Lucienne et d'autres membres d’Autun Morvan Ecologie ont décidé de créer le groupement forestier pour la sauvegarde des feuillus du Morvan (GFSFM). " Au départ, on l'a créé pour racheter 270 hectares du grand domaine de Montmain, qui était voué à la coupe rase et à l'enracinement."
Aujourd'hui, le GFSFM est propriétaire de 24 parcelles dans toute la région bourguignonne. "Lorsque j'étais encore présidente de ce groupement, et que j'allais dans les instances, on me disait que je n'y connaissais rien car je n'étais pas propriétaire. Avec ce groupement, on a prouvé que l'on pouvait faire une bonne gestion forestière, économique et écologique."
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Un engagement toujours présent
À 82 ans, Lulu a aujourd'hui fortement réduit ses activités, à cause d'un staphylocoque qui a failli lui coûter la vie en 2019. "Les docteurs m'ont dit que j'étais une miraculée, qu'il y avait peu de chances que je marche de nouveau. Donc je ne me plains pas." Pour autant, elle continue de se battre pour la forêt du Morvan.
En novembre 2022, le journaliste Hugo Clément l'avait invitée à participer à l'émission « Aux arbres citoyens », diffusée sur France 2. Elle avait alors discuté avec le ministre de la Transition écologique de l'époque, Christophe Bechu. "Je l'ai interpellé gentiment. J'ai parlé de l'état de la forêt et je lui ai demandé de venir voir une bonne gestion de parcelle. Il m'a dit qu'il le ferait mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit le cas".
"Une semaine après, il est venu. Et cela a été génial car il a reconnu que ce qu'on faisait pour la forêt était formidable." Elle a d'ailleurs gardé contact avec le ministre, comme avec d'autres politiques qui connaissent la situation dans le Morvan. Elle ne comprend pas l'action politique de certains. "On est à un tournant, il faut absolument modifier les codes forestiers pour faire correspondre la loi à l'intérêt général."
"Un élu que je connais bien est député. J'ai travaillé dans le cadre de débats avec une personne qui est maintenant sénatrice. Je leur en veux beaucoup. Je me demande les raisons pour lesquelles ils ne se battent pas plus pour ce territoire, car ils le connaissent !"
En attendant ce changement de loi, Lucienne lance un appel à tous les citoyens, avec la même ténacité qu'à ses débuts : "soyez vigilants, regardez ce qu'il se passe en forêt, si vous voyez une coupe rase, allez vérifier s'il s'agit d'une forêt publique ou privée, allez interpeller votre maire ! Faites-le sans agressivité, mais ne restez pas indifférent. C'est ça la clé."