Nous partons au grand air avec Anthony, éleveur de brebis et passionné de chiens de conduite. Un berger "à l'ancienne", qui déplace ses troupeaux à pied grâce à ses meilleurs collègues : ses chiens.
La journée commence avec les premiers rayons du soleil. En ce matin de novembre, Anthony débute sa tournée habituelle dans le bâtiment qui abrite les brebis gestantes, qui vont bientôt donner naissance aux nouveaux agneaux. "Je fais le tour, je vois si tout le monde va bien. Ensuite, je ferai le tour des pâtures." Il distribue le foin à la fourche. "Je ne suis pas mécanisé, et je ne veux pas l'être !" explique-t-il. Le foin, il le produit lui-même sur ses parcelles : 70 hectares, dont 30 à 40 hectares de foin.
Les patous, gardiens des troupeaux
C'est l'heure de partir aux prés. Nous nous rendons sur une parcelle d'une soixantaine de brebis. Immédiatement, deux masses de fourrure blanche se détachent du troupeau et nous accueillent avec d'impressionnants aboiements : ce sont les patous.
"Il y a la femelle, Rasta, 4 ans. Tant qu'elle est dans son troupeau et qu'on lui fiche la paix, tout va bien. C'est mon premier chien ; dans son éducation, j'aurais pu être plus efficace pour qu'elle soit plus proche de l'humain", explique Anthony. C'est vrai que Rasta, avec son unique œil (elle a perdu l'autre à la suite d'une maladie) et sa grosse voix, ne nous incite pas à venir la caresser... Mais son compère est plus coopératif.
"À son contraire, on a Tyson, qui a bientôt un an. C'est un gros bébé de 50-60 kilos. C'est un chien très sociable, peut-être un peu trop ! Il est un peu collant." C'est vrai que Tyson, dès qu'il a compris que nous n'étions pas une menace pour ses brebis, vient réclamer des câlins qu'il est bien difficile de refuser.
Ces deux gardiens, des montagnes des Pyrénées, ont jusqu'à présent permis à Anthony d'éviter les attaques sur son troupeau d'environ 250 têtes, dans ce Morvan où le loup commence à avoir ses habitudes.
"J'ai vécu des attaques de loup et de chiens deux ans de suite. Depuis que j'ai les patous et que j'ai installé des clôtures électriques, plus rien."
Bien sûr, c'est beaucoup de travail. Mais le jeu en vaut la chandelle. "Sans ça, tu n'es pas serein, tu ne dors pas la nuit et tu te dis que même le jour, ça peut "taper". Si je n'avais pas mis en place ces moyens, je n'aurais pas la force de me lever le matin pour trouver encore un carnage."
Transhumance entre collègues
Une fois les présentations faites, on se met en route. Le boulot du jour : déplacer le troupeau vers une autre parcelle, à 5 kilomètres d'ici. Et là non plus, pas de mécanique : on fait tout à pied !
Heureusement, nous ne sommes pas seuls. Pour conduire sa petite troupe, Anthony est accompagné de son fidèle collègue : Rafale, un berger de Savoie. "C'est un chien de conduite, fait pour déplacer le troupeau. C'est mon chien à tout faire, mon chien de tête. C'est vraiment le collègue sur qui je peux compter. Je ne peux pas me passer de lui."
"Je pourrais aller aux brebis sans mes pompes, mais pas sans mon chien !"
C'est vrai que Rafale est impressionnant : il semble connaître parfaitement son métier et ce qu'Anthony attend de lui. "Gauche", "droite", "amène", "non !", les ordres sont brefs mais précis. "Le plus important est d'y arriver avec des animaux calmes et pas stressés."
Nous marchons sur les petites routes de campagne, traversant les hameaux. Anthony salue les automobilistes de passage. Il faut dire que la petite troupe ne passe pas inaperçue. Quand nous croisons une voiture, Rafale se positionne entre le véhicule et les moutons. "Le chien fait "barrière", ça évite les accidents, les râleries au volant, ça limite le stress pour les animaux", explique le berger.
"Le but est de déplacer les animaux naturellement, à l'allure bergère. Une allure où les brebis peuvent brouter en marchant."
"Hors cadre familial"
Anthony a appris le métier sur le tard. Fils d'un ouvrier et d'une nourrice, ses frères sont menuisier et expert-comptable, sa soeur est nourrice aussi. "Je suis hors cadre familial !", s'amuse Anthony.
"J'ai toujours été proche des animaux. Rapidement, j'ai été un enfant de la campagne." Né à Avallon, il grandit en étant plus à l'aise dehors que sur les bancs de l'école. Au départ, Anthony, amoureux des chevaux, devient maréchal-ferrant. Puis ouvrier agricole. Ensuite, il installe son premier élevage de chèvres. Il vend son fromage sur les marchés, puis pendant le covid, choisit finalement les brebis : "Je suis plus à l'aise avec les moutons. Et surtout, je crois que les brebis sont aussi un prétexte pour vivre ma passion des chiens..." sourit-il.
Travailler avec d'anciennes races de chiens de berger
Car en plus de ses brebis, Anthony a... 12 chiens ! Certains sont à lui, d'autres en pension pour apprendre les bases du métier. Anthony est en effet relais local pour l'IDELE, l'institut de l'élevage. "Ma grosse passion, c'est de dresser des chiens de conduite continentaux. On a, en France et sur le continent, des races qui étaient faites pour ça et qui ont été détournées car plus "difficiles à utiliser", explique-t-il.
Aujourd'hui, la majorité des éleveurs travaillent avec des border collies, des chiens extrêmement vifs. Anthony en possède un, mais il travaille avec d'autres races plus anciennes : il y a Tyson le berger allemand, Urbinu le cursinu (berger corse), également des bergers hollandais... "Ce sont des races qu'on n'a pas l'habitude de voir, mais qui méritent d'être encore dans les troupeaux, pas seulement en chien de famille ou en chien de garde." Grâce à ce travail, Anthony commence à se faire connaître et des éleveurs commencent à lui confier des chiens à éduquer.
Encore en début d'activité, Anthony ne se dégage pas tout à fait de salaire pour l'instant. "Mais j'aime mon métier, j'en ai jamais assez. Je n'ai pas l'impression d'être au charbon tous les jours."
"Si je devais changer de métier ? Je triche, mais j'arrêterais l'élevage à proprement dit pour me déplacer dans les régions et bosser sur des troupeaux pour les gens, mettre en place des chiens. J'ai envie d'être là pour rendre service. J'ai encore envie de croire au bon sens paysan."
► Avec Alexandre Debray et Noé Leduc.