Dépression, scarification, tentative de suicide... La jeunesse face à l'impression de "ne plus servir à rien"

Confinements, écoles et universités fermées, cours en visio, incertitudes quant à la valeur du diplôme... Les adolescents et étudiants ont vécu une année difficile. Quelques mois après le pic de la crise du Covid-19, le mal-être demeure. Illustration en Bourgogne.

Rien ne prédisposait Marie, étudiante de 21 ans en première année de master, à tomber en dépression. Bonne élève, avec une situation financière plutôt stable et le soutien de sa famille, elle avait bien vécu le confinement de mars 2020. Pourtant, suite au reconfinement d'octobre 2020, c'est tout son monde qui s'écroule progressivement.

La jeune femme pense alors rentrer une semaine chez ses parents en Saône-et-Loire, pour les congés universitaires d'automne. "Le reconfinement m'a beaucoup angoissée. J'ai été coupée de mes amis, mon copain... Les cours et les projets à la fac qui me motivaient ont été mis en pause. Tout s'est arrêté d'un coup." De peur de s'ennuyer, elle se plonge dans le travail. Cela devient également un moyen pour ne pas affronter son mal-être.

J'avais l'impression de ne servir à rien. C'est là que les pensées suicidaires sont arrivées.

Marie, étudiante

"J'ai pris un job étudiant dans la grande surface où je travaillais l'été", raconte-t-elle. "A côté de ça j'avais mon poste de correspondante de presse pour un journal local et le travail pour la fac."

Le cumul de deux jobs étudiants et de cours parfois mal organisés devient vite chaotique. Le rythme est trop soutenu. Marie ne renouvelle pas son contrat au supermarché. Elle perd progressivement tout intérêt pour ses études. "Malgré tout ce que j'ai pu faire à ce moment, j'avais l'impression de ne servir à rien. C'est là que les pensées suicidaires sont arrivées."

La jeune femme tente alors de consulter un psychologue, mais elle ne parvient pas à obtenir suffisamment de rendez-vous. Très rapidement, son état se dégrade. Elle consulte une psychiatre aux urgences de Mâcon le 4 décembre. Celle-ci lui conseille une hospitalisation, ce que la jeune femme accepte. Elle est alors emmenée au Centre Hospitalier La Chartreuse à Dijon (CHLC).

"Au début, j'avais beaucoup d'idées préconçues sur les hôpitaux psychiatriques", avoue-t-elle. "Ça a été un grand soulagement de pouvoir tout couper, même si l'hospitalisation était loin d'être parfaite." Ses journées au service psychiatrie se résument à attendre la prise de médicaments et les repas.

"Heureusement que je recevais souvent des visites, car je n'avais rien d'autre à faire. Les patients et les soignants sont vraiment impactés par le manque de moyens."  

La dépression, c'est un combat contre soi-même qu'on ne peut pas soigner seul.

Marie, étudiante

A sa sortie du CHLC deux semaines plus tard, la jeune femme ne va pas beaucoup mieux. Jusqu'à la mi-février, elle doit parfois affronter l'incompréhension de ses proches. Elle estime qu'ils ne réalisaient pas qu'elle allait encore mal. "J'ai pu compter sur le soutien de ma belle-famille, qui a veillé à ne pas me laisser seule et à me faire faire des activités. Petit à petit, j'ai repris les cours et passé les partiels alors que je m'en sentais incapable. J'avais vraiment besoin d'aide."

Malgré ses progrès, l'étudiante pense en avoir encore pour quelques mois. "La dépression, c'est très insidieux. C'est un combat contre soi-même qu'on ne peut pas gagner seul et ça prend du temps pour s'en débarrasser."

Une augmentation des troubles psychiques et psychiatriques chez les jeunes

Marie n'est pas un cas isolé. Au Centre Hospitalier La Chartreuse, la proportion de jeunes de moins de 30 ans par rapport au nombre total de personnes hospitalisées a doublé. "En décembre 2019, 15% des patients hospitalisés en psychiatrie étaient des jeunes", précise Juliette Martin, psychiatre et cheffe du Centre Référent de Réhabilitation Psychosociale de Bourgogne (C2RB). "Un an plus tard, on en comptait 30%."

Une recrudescence du mal-être des étudiants a été constatée suite à l'annonce du reconfinement fin 2020. "À la sortie du premier confinement, il n'y avait pas forcément l'idée qu'il y en aurait un deuxième", explique-t-elle. "La prise de parole du Président de la République au mois d'octobre a été un coup de massue pour beaucoup."

En janvier 2021 un sondage Odoxa réalisé notamment pour France Info révèle en effet que plus d'un tiers des jeunes de moins de 30 ans avait consulté pour des questions psychologiques depuis le début de la crise sanitaire.

Le risque chez un jeune qui déprime, c'est qu'il y ait une perte d'estime de soi.

Juliette Martin, psychiatre

Beaucoup de jeunes n'ont en effet pas bien vécu les confinements. L'absence de vie sociale voire amoureuse et la difficulté de suivre les cours derrière un écran sont les principaux facteurs invoqués.

Juliette Martin évoque à ce sujet une "surcharge cognitive". Le fait de passer des journées devant l'ordinateur et le manque de contact ont fait perdre aux élèves toute envie de persévérer. "Le risque chez un jeune qui n'est plus motivé pour travailler, qui ne sort plus, qui déprime, c'est qu'il y ait une perte d'estime de soi", indique-t-elle. "Or plus on attend, plus il sera difficile de sortir de cette situation."

Selon Pierre Besse, pédopsychiatre et président de la commission médicale d'établissement du Centre Hospitalier La Chartreuse à Dijon, la crise du Covid a abattu les résistances de beaucoup de personnes fragiles. Des jeunes qui n'avaient pas d'antécédents psychiques ou psychiatriques ont manifesté des troubles mentaux.

Scarifications, tentatives de suicide... Ces comportements dangereux chez les adolescents qui préoccupent

Si les étudiants ont largement subi les restrictions liées à la crise sanitaire, une autre population inquiète particulièrement : la tranche d'âge des 12-18 ans. Ces adolescents n'ont pratiquement jamais été au collège ou au lycée pendant un an et demi. "Pourtant c'est à cet âge que se déroulent beaucoup de rencontres, ça a été difficile pour eux de voir leurs libertés restreintes et de ne plus pouvoir sortir", détaille le docteur Besse. "D'autant que cette période de la vie est un bouleversement pour l'individu. La crise a été un deuxième bouleversement pour les ados, qui ont vu tous leurs repères secoués."

Après le deuxième confinement, on a vu une large augmentation des consultations aux urgences de Dijon pour des tentatives de suicide ou des scarifications.

Pierre Besse, pédopsychiatre

Le pédopsychiatre signale que chez l'adolescent, la détresse interne se manifeste de deux façons différentes. Soit il se replie sur lui-même ce qui ne facilite pas la détection du mal-être, soit il exprime "bruyamment" sa détresse, par des troubles comportementaux ou alimentaires, des scarifications voire en dernier recours une tentative de suicide.

"Après le deuxième confinement on a vu une large augmentation des consultations aux urgences de Dijon pour des tentatives de suicide ou des scarifications. Avec la crise, les gens commencent à remarquer que les jeunes aussi ont une psychologie et peuvent être déprimés."

Le médecin met également en cause la culpabilisation dont ont été victimes les populations les plus jeunes. "On a beaucoup dit au début que c’étaient eux qui transmettaient le virus aux plus âgés. Mais il ne faut pas non plus oublier qu’une majorité de jeunes était inquiète pour leurs parents ou grands-parents."

Il essaie cependant de voir le verre à moitié plein. Le Covid pourrait avoir l'effet d'une prise de conscience de la responsabilité de chacun envers l'autre. Selon lui, il aurait au moins permis à certains adolescents de se rendre compte que la vie est précieuse.

Quelles mesures pour les jeunes en Bourgogne ?

Au Centre Hospitalier La Chartreuse, en ce mois de juin 2021, la proportion de jeunes hospitalisés en psychiatrie semble désormais être revenue à la normale. Mais cette tendance ne se vérifie pas partout. Le Centre Médico-Psychologique Upsilon de Dijon, établissement affilié au CHLC qui accueille des adolescents de 12 à 18 ans, a vu les demandes de consultation augmenter considérablement. Depuis janvier 2021, pas moins de 200 demandes supplémentaires ont été recensées.

De son côté, le service de santé universitaire (SSU) a embauché deux psychologues supplémentaires début avril à cause de la demande accrue des consultations. En cette fin d’année scolaire, le nombre de rendez-vous reste important. Le docteur Juliette Martin signale tout de même que beaucoup d'étudiants rentrent chez leurs parents l’été, ce qui va engendrer une baisse des consultations. La réouverture des secteurs culturels et de la restauration influe cependant positivement sur leur moral.

Même si une diminution des consultations étudiantes se profile pour l'été, un Bureau d'Aide Psychologique Universitaire (BAPU) a reçu l'approbation de l'Agence Régionale de Santé pour s'installer dans les locaux du SSU. Il s'agira d'une structure supplémentaire dédiée à l'accueil des jeunes ressentant le besoin d'être écoutés. L'ouverture est prévue en septembre 2021.

Des moyens insuffisants pour appuyer la psychiatrie

A l'échelle nationale, le Président de la République Emmanuel Macron avait annoncé en début d'année la création d'un "chèque psy". Celui-ci permet aux étudiants en situation de détresse psychologique de bénéficier gratuitement de trois consultations renouvelables auprès d'un professionnel.

"Des psychologues qui participent à cette initiative ont signé une convention avec l'université", précise Marien Lovichi, coordinateur du service de santé universitaire. "On reçoit régulièrement des appels de jeunes restés chez leurs parents qui cherchent à consulter ces professionnels.Mais le dispositif n’a pour l’instant pas totalement convaincu.

Les moyens ne sont pas à la hauteur de la tâche pour la psychiatrie.

Pierre Besse, pédopsychiatre

Selon Juliette Martin, la réponse des institutions est arrivée trop tard. Le secteur de la psychiatrie n'a pas disposé des moyens nécessaires pour répondre à tous les besoins. Un avis partagé par Pierre Besse : "Ce n'est pas qu'il n'y a pas de moyens pour l'hôpital, c'est qu'ils ne sont pas du tout à la hauteur de la tâche. Pour nous, la masse silencieuse des psys, c'est encore pire. Mais on est obligé de faire avec." Il reste en revanche réservé sur les séquelles que la crise sanitaire aura sur le long terme. Il estime que les conséquences du Covid seront visibles dans le secteur de la psychiatrie jusqu'à au moins décembre 2021.

Pour Marie, qui a fait partie de ces étudiants hospitalisés, il est nécessaire de libérer la parole autour des troubles psychiatriques. "La santé mentale est encore un sujet tabou en France, surtout quand il s'agit des jeunes. Mais il ne faut pas les stigmatiser en disant que c'est dommage d'en arriver là à cet âge. Il n'y a pas de honte à se faire hospitaliser : ça permet de sauver des vies.

Aujourd'hui, la jeune femme réalise un stage en entreprise de deux mois et commencera une alternance en septembre, dans le cadre de sa dernière année d'études. Elle est cependant sujette à un suivi psychiatrique et se voit toujours prescrire des antidépresseurs.

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