La cohabitation entre le Grand Cormoran et les pêcheurs est compliquée. Ces oiseaux migrateurs se nourrissent de poissons au grand dam des pêcheurs qui les regardent comme des concurrents. En septembre 2022, le gouvernement a pris un arrêté ne renouvelant pas les dérogations pour tirer le Grand Cormoran en eaux libres, une espèce protégée prédateur de poissons. Une victoire pour la Ligue de Protection des Oiseaux qui se bat depuis des années pour faire arrêter ces tirs.
Les fédérations de pêcheurs n’en peuvent plus et elles l’ont fait savoir lors de leur conseil d’administration du 4 octobre 2022. Elles estiment que la décision des ministères de la Transition écologique et de l’Agriculture est un «coup de tonnerre ». De 2022 à 2025, il n’y aura plus de quotas qui donnaient la possibilité de tuer des Grands Cormorans en eaux libres. Seules les dérogations pour les piscicultures sont maintenues.
Jusqu’à cette décision gouvernementale, des dérogations pouvaient être accordées par les préfectures pour que le Grand Cormoran soit tiré par des agents spécialisés alors que c’est une espèce protégée. Une dérogation qui satisfaisait les pêcheurs, le Grand Cormoran étant un grand prédateur de poissons.
Les repas du Grand Cormoran en question
Son régime alimentaire est au cœur du débat. Le Grand Cormoran est-il amateur de poissons eux-mêmes menacées de disparaître, comme la truite ou l’ombre dans notre région en Franche-Comté, ou mange-t-il ce qu’il trouve en grande quantité comme les poissons blancs, moins affectés par la pollution des cours d’eau ?
Dans ce dossier, la fédération nationale de pêche met en avant son rôle dans la protection des milieux aquatiques.
La prédation par le Grand Cormoran sur les milieux aquatiques est avérée et susceptible de participer à la mise en danger de certaines espèces de poissons menacées ou protégées.
Fédération nationale de la pêche
Un point de vue que ne partage pas du tout la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO). Depuis 2017, l’association a engagé « de nombreux recours contre les arrêtés préfectoraux autorisant la régulation des Grands Cormorans sur les plans d’eau et cours d’eau, fondés sur la menace que ferait peser la prédation du Grand cormoran sur la conservation des poissons protégés ou menacés ». Des arrêtés généralement annulés par les tribunaux administratifs qui suivent ainsi l’avis de la LPO. Pour la justice administrative, « cette menace n’est pas démontrée ».
Bataille juridique
La Fédération de la pêche a attaqué la décision gouvernementale de septembre devant le conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative en France. Les juges ont suivi les recommandations de la LPO en rejetant la requête de la Fédération nationale de pêche.
Lors de l’audience au conseil d’Etat, la LPO est intervenue aux côtés du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires pour défendre l’arrêté gouvernemental, en déclarant que « les publications scientifiques étudiant les relations prédateurs-proies et portant sur les Grands Cormorans concluaient à l’absence d’impact significatif de la prédation sur les populations de poissons ».
Il ne ressort pas des pièces du dossier, ainsi que des éléments recueillis à l’audience, que la prédation des grands cormorans sur les plans et cours d’eau libres porte sur des espèces aquatiques protégées ou menacées une atteinte telle qu’elle imposait, à la date de l’arrêté litigieux, une telle dérogation.
Conseil d'Etat
Les Grands Cormorans ne seront donc plus tirer sur les rivières et les lacs jusqu’en 2025. La fédération nationale de la pêche reste mobilisée pour obtenir le retour des tirs. Les pêcheurs estiment que cette espèce protégée est en progression et qu’une partie de ces oiseaux migrateurs se sédentarisent.
Quoi de plus décourageant que de voir les projets de préservation et de restauration des milieux aquatiques et de leur biodiversité, anéantis par un prédateur dont il est possible de ralentir la progression.
Fédération nationale de la pêche
Le Grand Cormoran est-il un bouc-émissaire ?
Si les truites et les ombres de nos rivières franc-comtoises sont en péril, c’est aussi en raison du mauvais état de nos rivières. Des cours d’eau pollués par les activités humaines et fragilisés par le réchauffement climatique.
C'est évident que le Cormoran n'est pas la seule cause de destruction de nos rivières. On a une pression sur les milieux aquatiques qui vient des particuliers, de l'agriculture, de l'industrie.
Philippe Grosso, président de la fédération de pêche du Doubs
Quel est la réelle responsabilité du Grand Cormoran ? Faisait-il jusqu’à présent les frais de l’inefficacité des mesures pour sauver les rivières ? Sans compter qu’il n’est pas le seul oiseau à manger du poisson. L’harle bièvre et le héron sont aussi des prédateurs. La ministre de la Transition écologique Bérangère Couillard a demandé à l’OFB, Office Français de la Biodiversité, des études pour « travailler dans la transparence des données, des enjeux et dans un esprit de concertation.»
Séquestration de recettes à verser à l'Etat
Pour les pêcheurs, cette fin des quotas, c’est un peu la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La fédération a annoncé qu’elle n’allait pas verser à l’Etat la Redevance Milieux Aquatiques (environ 8 millions d’euros) et le règlement des baux de pêche publics.
Ce débat autour de la place du Cormoran dans le milieu naturel ressemble fort à ceux consacrés à d’autres prédateurs comme le loup ou le lynx. Comment organiser cette cohabitation entre grands prédateurs et l’homme ? Pour le représentant de la LPO en Bourgogne-Franche-Comté, il faut arrêter de tirer les animaux.
On commence à être révoltés. A chaque fois qu’une espèce soit disant menace, on pratique des tirs. Il faut arrêter de se dire « on tire », il faut se mettre autour d’une table et se demander ce qui fait que des espèces menacées ou protégées peuvent être détruites
Bernard Marchiset, représentant BFC à la LPO France
En Franche-Comté, il sera toujours possible de tirer sur les Cormorans qui ont jeté leur dévolu sur les poissons de piscicultures. Cela concerne tous les départements sauf le Doubs. Dans le Jura, 300 tirs annuels demeurent autorisés pour les piscicultures, 150 en Haute-Saône et 270 dans le Territoire-de-Belfort. En Haute-Saône, ces quotas spécifiques ont augmenté, ils sont passés de 390 pour les trois années précédentes à 450 pour 2022-2025. Quant aux Grands Cormorans des eaux libres, ils devraient être tranquilles pendant les trois prochaines années. De passage dans notre région d’octobre à mars avant d’aller se reproduire dans le nord de l’Europe, les Grands Cormorans choisissent des endroits poissonneux pour séjourner.