Attaque au lycée d'Arras. "Trois ans après Samuel Paty, rien n'a changé" : en Franche-Comté, l'émotion et la colère des enseignants

Vendredi 13 octobre, un ancien élève du lycée Gambetta, à Arras (Pas-de-Calais), s'introduisait dans son ex-établissement par effraction et assassinait à coup de couteau un professeur. Sous le choc, les enseignants de Franche-Comté accusent le coup. Et cherchent à comprendre comment, trois ans après Samuel Paty, un tel drame a-t-il pu avoir lieu.

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Un vendredi noir. Ce 13 octobre 2023, Dominique Bernard, professeur de français au lycée Gambetta, à Arras (Pas-de-Calais) a été assassiné dans l'enceinte de son lieu de travail par un ancien élève, de plusieurs coups de couteau. Un autre enseignant a été légèrement blessé alors qu’un agent de sécurité a été hospitalisé "en état d’urgence absolue".

Presque trois ans jours pour jours après le meurtre de Samuel Paty (16/10/2020), cet acte a profondément choqué la France entière, et plus particulièrement les membres de l'Education nationale. "Là, tout de suite, c'est l'émotion qui prédomine" explique Nathalie Faivre, secrétaire académique du syndicat SNES-FSU dans le Doubs, présente ce vendredi 13 octobre dans la manifestation intersyndicale pour la hausse des salaires et contre l'austérité, à Besançon.

Le temps du deuil... et des questions

"On ressent un vrai sentiment d'effroi, trois ans après Samuel Paty. Sauf que cette fois-ci, il y a trois victimes" réagissait-elle au micro de nos journalistes Patricia Chalumeau et Denis Colle. Dans le cortège bisontin, l'ambiance était ainsi morose. "On est catastrophé, c'est un drame atroce" reprenait Amélie Lapprand, membre du syndicat SNUIPP-FSU du Doubs. "On pense à l'équipe éducative, aux enfants, aux familles, aux enseignants. Nous sommes vraiment sous le choc".

Dans toutes les bouches résonnent les mêmes mots : "sidération", "consternation", "extrême tristesse". Une émotion légitime. "Encore une fois, c'est un établissement scolaire et un enseignant qui sont visés. On ne compte plus les intimidations sur les lieux dédiés à l'éducation depuis 2015" souligne Laure Flamand, professeur d'histoire-géographie au lycée Jean Michel, à Lons-le-Saunier (Jura) et co-secrétaire départemental SNES-FSU. 

L'ambiance est très lourde aujourd'hui. Mais je ne pense pas que la réponse sécuritaire soit une bonne option. La vraie question à se poser est : comment faire en sorte que l'école restaure la confiance dans notre société ? Comment la faire redevenir ce lieu de la République qui transmet des valeurs contraires à l'obscurantisme que représente le terrorisme ?

Laure Flamand,

professeur d'histoire-géographie au lycée Jean Michel, à Lons-le-Saunier (Jura) et co-secrétaire départemental SNES-FSU

En effet, pour de nombreux professeurs, l'heure est ainsi aux questions. "Il faudra réfléchir à tous ce qui n'a pas été fait depuis trois ans et l'assassinat de Samuel Paty" s'exclame Benoit Guyon, professeure de Sciences économiques et sociales au lycée Courbet, à Belfort, et représentant syndical SNES-FSU. "On n'est pas mieux formé à la laïcité, on a des baisses de budget tous les ans, on a supprimé 8 500 postes dans les collèges et lycées depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir". Son constat est implacable."On a toujours moins d'adultes, et on s'occupe de plus en plus d'élèves. Ce qui a des conséquences sur l'encadrement". 

Une meilleure prise en charge des élèves pour éviter les drames

Malgré tout, Benoît Guyon réfute le sentiment de peur. "On s'identifie à notre collègue assassiné. Mais notre engagement auprès de nos élèves est plus fort. Dominique Bernard est mort en protégeant ses lycéens. Sans lui et les deux autres blessés, les victimes auraient sans doute été plus nombreuses. J'y vois là aussi un symbole fort".

La peur, Nathalie Faivre, secrétaire académique SNES-FSU dans le Doubs l'assume. "Nous nous disons que finalement ça peut arriver n'importe où, n'importe quand et à n'importe qui". Mais malgré cela, elle refuse de tomber dans la rhétorique sécuritaire. "La vraie question à se poser est la question de la prise en charge de tous nos élèves, pédagogiquement mais aussi psychologiquement".

Les élèves souffrant de troubles psychologiques graves devraient pouvoir être pris en charge. Ceux qui, dans leur passé, ont vécu des traumatismes, des guerres, devraient pouvoir être pris en charge. Mais cela présuppose des moyens humains. Et, dans l'Éducation nationale, nous constatons un manque criant dans ce sens-là.

Nathalie Faivre,

secrétaire académique SNES-FSU dans le Doubs

Derrière le drame, c'est un vrai coup de gueule d'une profession pour qui la situation aurait pu être évitée. "Depuis trois ans, on fait des hommages pour Samuel Paty. Mais il ne faut pas oublier que dans ce drame, tout est parti d'une situation en cours d'Enseignement moral et civique (EMC, ndlr)" déplore, amer, Benoît Guyon.

"Hors, aujourd'hui, l'EMC, c'est seulement 30 minutes par semaine" conclut-il. "Ce n'est pas la meilleure manière d'inculquer les valeurs de laïcité, d'humanisme, qui font le sel de notre profession et que le gouvernement renvoie sans arrêt dans ses éléments de langage. Assez de discours de façade. On n'avance pas. Trois ans après Samuel, rien n'a changé".

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