Pour la journée des droits des femmes le 8 mars, France 3 Franche-Comté donne la parole à deux militantes féministes franc-comtoises et un homme allié des féministes. Parce qu’il n’y a pas un féminisme mais des féminismes… Portraits croisés.
Je me situe du côté du féminisme pro-choix. C’est un féminisme qui laisse la parole aux personnes concernées et qui considère que chacun est légitime par rapport à son propre vécu.
Pour parler féminisme, nous avons rencontré Mélodie*, âgée d’une trentaine d’années. La Bisontine est travailleuse du sexe et fait partie de l’association PDA, dont le collectif existe depuis 10 ans (en savoir plus sur PDA). Installée dans la capitale comtoise, cette association s’attache à construire “une solidarité dans la profession et un rapprochement, un lien et de l’entraide” entre les travailleuses et travailleurs du sexe exerçant à Besançon, et dont le nombre reste difficile à évaluer notamment depuis l’avénement des réseaux sociaux.
L’engagement féministe de Mélodie n’est pas fondamentalement associé à des revendications concernant sa profession. Il est intimement lié à son vécu, à sa sensibilité. “On n’est pas forcément féministe lorsqu’on est TDS (ndlr, travailleuse du sexe). Cela n’implique aucune idée politique. On peut très bien être TDS et être pour la traite des femmes, ça existe...” nous explique-t-elle, tout en insistant sur le fait qu’elle se prostitue par choix et non pas par obligation financière. “Pour moi, et dès le début, c’était quelque chose de très neutre. Je mettais mon corps en jeu, mais pas plus qu’en faisant un autre travail manuel” ajoute-t-elle.
Mélodie s’est longtemps sentie incomprise, même au sein des milieux de gauche qu’elle fréquentait. Elle ne se reconnaissait pas suffisamment dans le mouvement féministe, notamment de par son statut de travailleuse du sexe, avant de découvrir telle une révélation l’autrice Virginie Despentes. “J’étais hyper contente de voir que oui, on peut être féministe et partager mes idées, ou en tout cas vivre les choses de cette façon. J’ai lu le livre ‘King Kong Théorie’, et j’étais tellement heureuse. J’ai regardé des trucs sur internet, et j’ai vu qu’une manifestation de TDS était prévue à Paris, du coup j’y suis allée en stop” se remémore-t-elle avec le sourire.
"Le féminisme a beaucoup évolué"
C’est à partir de ce moment-là qu’elle commence à entrer dans sa peau de militante. “Peu après, j’ai rencontré une collègue féministe escort. Cette rencontre m’a donné pas mal de puissance aussi. Et voilà, à partir de là, je me suis rendue compte qu’à Besançon, il n’y avait pas grand chose au niveau LGBT, féminisme, et rien au niveau TDS” détaille la jeune femme.
La Franc-Comtoise se réjouit de voir le féminisme se démocratiser, notamment dans les médias, et constate une évolution positive de ce courant de pensée. “Il y a des questions qu’on peut mettre sur la table plus facilement qu’avant. C’est super intéressant ce qu’il se passe depuis quelques années, et ça fait du bien que ces idées-là aient le vent en poupe. Le féminisme a beaucoup évolué, et plutôt en bien, parce qu’entre le féminisme de Louise Michel et aujourd’hui il y a eu tout un tas d’époques différentes, de vagues de féminisme différent et il y a des choses qui sont prises en compte maintenant, notamment concernant les lesbiennes par exemple”, énumère-t-elle, en citant également les enjeux entourant la transsexualité ou le racisme.
Le féminisme c’est se donner plus de pouvoir les unes aux autres, mais pas voler le pouvoir des autres.
La Bisontine cite deux militantes féministes inspirantes pour elle : Audre Lorde, poète noire, féministe, lesbienne, qui n'a cessé de combattre, dans sa vie et à travers ses textes, le racisme, le sexisme, l'homophobie et toutes formes d'injustices sociales mais aussi Bell Hooks, militante féministe afro-américaine née dans les années 50 dont les œuvres commencent seulement à être traduites en France, comme l’ouvrage “Tout le monde peut être féministe” ou encore “Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme.”
Pluriel, le mouvement féministe se nourrit de courants idéologiques et culturels variés, notamment du fait qu’il regroupe différentes minorités au sein même d’un grand ensemble : celui du genre féminin.
Pour Mélodie, cette particularité est importante et lui permet d’oeuvrer contre l’oppression dans son ensemble : “Il y a des actions politiques identifiables mais pour moi, le féminisme, c’est aussi une attitude d’entraide au quotidien et pas seulement avec les TDS, mais aussi les personnes autour de moi qui sont victimes de sexisme, d’homophobie, de transphobie, de racisme... J’ai du mal à dissocier le féminisme du reste. Pour moi, c’est une solidarité directe avec plein de gens, parce qu’on est plein à avoir intérêt à s’allier pour faire face à un système oppresseur.”
“C’est comme être myope et mettre des lunettes”
Morgane, 29 ans, fait partie de l’association Osez le féminisme 25 depuis 3 ans et demi. Contrairement à Mélodie, son engagement féministe est né à la suite d’un événement “déclencheur”. “Lorsque j’étais étudiante dans le sud, je me suis faite agresser” explique-t-elle. “En lisant des récits d’agression, j’ai commencé à mettre le doigt sur quelque chose. Un jour, j’ai eu un déclic, après la lecture du livre “Beauté Fatale” de Mona Cholet, qui explique comment l'industrie de la mode et de la beauté influe sur la vie des femmes. Est-ce que je me maquille ? Est-ce que je m’épile ? Et là, j’ai commencé à lire une quantité de bouquins assez impressionnante” précise la jeune militante.
Selon elle, le féminisme profite aux femmes mais aussi aux hommes, d’où la nécessité d’oeuvrer collectivement dans cette recherche d’égalité, quels qu’en soient les moyens d’action. “La masculinité et le patriarcat nuisent aussi aux hommes. C’est une cause qu’il faut faire avancer ensemble, pour arriver à l’égalité. Je ne comprends pas qu’on puisse accepter ce traitement différencié, ces violences sexuelles, ces violences économiques vis-à-vis des femmes. Quand on commence à s’intéresser au féminisme, c’est comme être myope et mettre des lunettes. D’un coup, on ne voit plus rien de la même façon” développe Morgane, tout en insistant sur le fait que s’intéresser au système patriarcal et tenter de le démonter permet d’appréhender les questions de violence de manière très large, notamment les violences économiques, le racisme ou encore l’homophobie.
“Tu te retrouves aussi à devoir penser le monde sous ce prisme-là, et à ouvrir ton esprit en prenant tout ça en compte” précise la presque trentenaire.
“On dit qu’il y a un système qui favorise la violence”
L’un des arguments favoris des détracteurs du féminisme est que cette forme de militantisme serait trop violente, trop radicale ? A cela, Morgane rétorque, non sans un sourire aux lèvres que : “Le féminisme c’est comme tout militantisme. Il y a des actions qui sont perçues comme violentes, mais personnellement je n’en ai jamais vu. Je n’ai jamais vu un mec se faire casser la gueule parce qu’il faisait un collage masculiniste. Je n’ai jamais vu des ‘mascus’ se faire casser la gueule par des féministes, alors qu’à Dijon, et très récemment, des militantes se sont faites agresser par des mecs qui avaient l’air organisé.” En effet, dimanche 31 janvier 2021, des militantes féministes ont été violentées par des nationalistes identitaires, en marge d’un rassemblement anti-PMA (lire notre article).
S’entendre dire que ton pote ou toi pouvez être des violeurs, oui ce n’est pas agréable. On dit qu’il y a un système qui favorise la violence, et que c’est ça qu’il faut péter : le patriarcat. La blessure que peut ressentir un homme à qui on sous-entend qu'il peut être un violeur, ce n’est rien comparé aux réelles agressions qui ont lieu tous les jours contre les femmes... ou les minorités d’ailleurs.
Depuis quelques années, le thème du féminisme s’est imposé dans la sphère médiatique, notamment grâce aux multiples dénonciations de viols et d’agressions subies par les femmes, que ces dernières aient une reconnaissance publique ou non. Le mouvement féministe s’est organisé et compte désormais de nombreuses ramifications, nées des multiples enjeux soulevés par la question des inégalités de genre. Cette plus grande visibilité des militantes féministes implique, dans le même temps, un risque plus élevé d’être les victimes d’attaques et de cyber-harcèlement.
“On a un gros souci et il y a un besoin pour tous de prendre conscience que cette forme de cyber-harcèlement existe et est très violente. C’est là que la nouvelle génération de militantes féministes m’impressionne, parce qu’elle ont une manière de résister par rapport à ça, qui est folle ! C’est incroyable” commente Morgane, qui avoue se sentir plus à l’aise avec le militantisme de terrain plutôt que le militantisme virtuel, qui reste néanmoins très important à ses yeux. La jeune femme ne cache pas son ras-le-bol face au prisme médiatique, qui donne la parole à l’une ou l’autre des parties, diamétralement opposées, d’autant plus quand il s’agit de parler de féminisme.
L’avenir du féminisme, elle le voit malheureusement très lié à la crise financière qui nous guette, en raison de la pandémie de coronavirus. “On a de la marge de manœuvre pour faire avancer les choses, mais il y a quand même quelque chose qui me fait peur, c’est ce vieil élan réactionnaire que je vois apparaître. Je pense qu’on va avoir un moment de moins bien avant que ça reparte, car on sait que dans toutes crises économiques les droits des femmes reculent” conclut-elle.
Des hommes alliés des féministes
Pour parler féminisme à l’occasion de la Journée des droits des femmes, j’ai également souhaité rencontrer un homme “allié” des féministes. En effet, la transformation nécessaire de la société ne peut avoir lieu qu’à moitié. Peha, un Bisontin de 33 ans, a commencé à s’intéresser au féminisme, au sexisme et à l’égalité homme-femme à travers son approche du scepticisme et de la zététique ou “l’art du doute”, pratique qui n'est pourtant pas connue pour s'intéresser à ce genre de problématiques. Sa chaîne Youtube baptisée “Un monde riant” et ses comptes sur les réseaux sociaux sont suivis par plus de 25 000 personnes.
Ce dernier a d’abord été réticent à l’idée de répondre à mes questions, soucieux de ne pas tirer la couverture à lui dans une cause qui n’est pas la sienne, du fait de son statut privilégié et dominant d’”homme blanc cisgenre (ndlr, une personne cisgenre est une personne dont l'expression de genre correspond à celle qui lui a été assignée à la naissance)”.
“Quand je me balade dans la rue, j’ai zéro peur”
Comment est-il venu à s’intéresser aux questions de genre et au féminisme de manière plus générale ? “Cela s’est fait progressivement. J’ai découvert le monde du scepticisme et de la zététique aux alentours de 2015 et la militance de gauche au même moment. Je me suis intéressé en même temps à l’économie, la politique et au social. Quand on scrute ce qu’il se passe, clairement il y a un problème” détaille-t-il.
Ce problème, il l’a d’abord matérialisé après des discussions avec des amies et connaissances, lorsqu’il s’est aperçu que certaines d’entre-elles avaient été violées par le passé et que ces violences contre les femmes étaient loin d’être anecdotiques. S’en sont suivies des recherches concernant les problématiques spécifiques rencontrées par les femmes. “Au fur et à mesure, je suis allé plus loin” explique-t-il. “A force qu’on me raconte des trucs, je me suis rendu compte que je n’avais jamais vécu ça moi, du fait d’être un homme. Comme le viol par exemple, ou les remontrances sur la manière dont je m’habille. Quand je me balade dans la rue, j’ai zéro peur. Je n’ai pas peur qu’on m’agresse, qu’on me siffle, qu’on me mette des mains je ne sais où... Je n’y pense même pas” poursuit-il.
Peha ne souhaite pas se définir comme pro-féministe ou féministe car cette lutte ne lui appartient pas, du fait qu’il soit un homme. Partant de ce constat, il préfère le terme “allié” des féministes. “L’idée d’être allié, je ne le fais pas pour mon camp. Je ne suis pas un allié pour dire qu’il existe des mecs biens. Si on me juge digne de confiance, ça m'intéresse d’essayer, sans être sauveur, d’être un relais parce que j'ai une petite visibilité qui peut être mise à profit” nous confie-t-il.
“Un litre de plus dans le réservoir d’essence du féminisme”
Est-ce important pour la lutte pour l’égalité homme-femme que des hommes soient vus comme alliés, selon lui ? “Je pense que c’est important, parce que, rappelons-le, ce n’est pas l’opposition entre les femmes et les hommes que veulent les féministes. Le but c’est que les gens vivent ensemble. Quand une femme passe 10 ans à expliquer des trucs et qu’au bout d’un moment elle se rend compte que des hommes ont compris, ou en tout cas sont dans la bonne direction, ça aide peut-être à entretenir la lutte” suggère-t-il.
Peha réfléchit et poursuit : “Un homme considéré comme allié, il y a au moins de bonnes chances que ce soit un homme à qui elles n'aient pas besoin de répéter 50 fois un truc, aussi basique soit-il.” Et de conclure : “Est-ce que je suis nécessaire ? Non. Je suis un litre de plus dans le réservoir d’essence du féminisme.”
On estime que quand à peu près un quart de la population prend le pas sur une nouveauté sociale ou politique cela favorise grandement la prise de conscience du reste de la population. Chaque allié qui va verbaliser les choses va participer éventuellement à ça.
* Le prénom a été modifié pour respecter l'anonymat.