Y-a-t-il un acharnement contre les manifestants depuis la crise des gilets jaunes ? Oui, selon l’ONG Amnesty International qui accable la France. Plus de 40.000 personnes ont fait l’objet d’une condamnation en 2018 et 2019.
Brice, Frédéric, Odile. Trois prénoms, trois visages qui symbolisent à eux seuls l’acharnement judiciaire à l’encontre de milliers de manifestants ces derniers mois.
Durant 18 mois, Amnesty International a mené l’enquête, recoupé les informations et témoignages. Conclusion : Depuis la fin 2018, la répression des manifestants en France a été d’une ampleur inédite. Selon Amnesty, les autorités ont instrumentalisé des lois contraires au droit international pour verbaliser, arrêter arbitrairement des gens qui n’avaient commis aucune violence.
En France, des milliers de manifestants, notamment des Gilets Jaunes, ont été arrêtés, placés en garde à vue, poursuivis, voire condamnés alors qu’ils n’avaient pas commis de violences.
— Amnesty France (@amnestyfrance) September 29, 2020
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Le rapport de 56 pages de l’ONG a fait les comptes : En 2018 et 2019, plus de 40.000 personnes ont été condamnées pour divers infractions et délits "sur la base de lois vagues", fréquemment "utilisées pour restreindre illégalement les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'expression", affirme l'ONG. Gilets jaunes, manifestations contre les retraites. De nombreuses personnes en sont reparties avec des convocations judiciaires.
"C'est vrai que j'ai une grande gueule et que quand je parle au mégaphone, on m'entend, mais ça ne fait pas de moi un criminel, je n'ai jamais commis aucune violence"
Dans le Doubs, le visage de Frédéric Vuillaume, 48 ans est bien connu. Le syndicaliste de Force Ouvrière est en tête de toutes les manifestations de gilets jaunes à Besançon. Pas une manifestation à Besançon sans le voir dans son blouson noir.
Il raconte dans le rapport sa descente aux enfers et celle de sa famille. L’homme et ses proches n’avaient jamais eu à faire à la justice par le passé. La découverte est brutale. Et les convocations ont été régulières.
"C'est vrai que j'ai une grande gueule et que quand je parle au mégaphone, on m'entend, mais ça ne fait pas de moi un criminel, je n'ai jamais commis aucune violence", explique Frédéric Vuillaume, agent d'entretien dans un lycée.
"Je ne faisais que relayer des messages sur Facebook appelant à la mobilisation, comme tout le monde", dit-il. Mais la préfecture et le parquet ne l'ont pas entendu de cette oreille. Accusé d'être un des "meneurs" du mouvement dans sa ville, il aurait dû, selon eux, déclarer les rassemblements.Gardes à vue, perquisitions à leur domicile, convocations au tribunal... Un long cycle de "coups de pression" et d'"intimidations" qui va durer deux ans a alors démarré pour le militant et ses proches.
Jugé trois fois pour entrave à la circulation et outrage à personne dépositaire de l'autorité publique - il avait crié "Castaner assassin" lors d'un déplacement du ministre de l'Intérieur de l'époque - Frédéric Vuillaume a été interdit de manifester et condamné à payer au total huit amendes.
Sa femme a été mise en examen à deux reprises et son beau-fils de 22 ans, au casier judiciaire vierge, a écopé en février 2019 d'un an de prison dont six mois ferme pour avoir lancé un pétard mortier.
Il y a eu des moments difficiles. "Voir partir mon beau-fils en prison, ce n'est pas facile" confie le Bisontin. "Mais quand on a des convictions, je le fais, manifester, on est dans notre droit" assure Frédéric Vuillaume.
11.203 personnes placées en garde à vue durant la crise des gilets jaunes
Selon Amnesty, les autorités françaises ont particulièrement réprimé le mouvement des gilets jaunes. Des centaines de personnes dont des manifestants ont été reconnues coupables de participation à un groupement en vue de la préparation de violences. Certaines parce qu’elles portaient un masque ou des lunettes de natation pour se protéger des gaz lacrymogènes et des tirs de LBD.En avril 2019, l’interdiction de dissimuler son visage lors d’une manifestation a été décrétée. La peine peut aller jusqu’à 15.000 euros d’amende et un an d’emprisonnement.
Les violences lors des manifestations sont une préoccupation légitime, mais il y a une volonté politique de faire des exemples et dissuader les gens de descendre dans la rue
Les infractions, souvent formulées "de manière trop vague", amènent la justice à prononcer des sanctions "disproportionnées" contre des manifestants pacifiques, estime le chercheur.
Le Covid a restreint la liberté de manifester
Selon Amnesty, la crise sanitaire que nous connaissons depuis le début 2020 a été l'occasion d'étendre davantage les restrictions au droit de manifester: selon l'ONG, 85 personnes ont été condamnées à des amendes pour avoir manifesté en mai et juin.C’est pour nous empêcher d’être dans la rue, le gouvernement ne veut plus qu’il y ait de contestation sociale
Le Bisontin Frédéric Vuillaume estime que les autorités profitent de la pandémie pour réduire la contestation sociale. “Avec le virus, on nous demande de limiter nos relations sociales, nos amis, par contre, pas de souci pour le boulot. Là, on peut voir du monde” argumente le syndicaliste sur sa page Facebook. “Dans les transports en commun, pas de problème, par contre tout ce qui est social, ils n’en veulent pas. Ils profitent de la pandémie pour que l’on ne puisse pas se voir” lance le Bisontin.
"Ce rapport d'Amnesty est une pierre à l'édifice"
Le syndicaliste FO de Besançon explique avoir accepté de témoigner pour Amnesty pour montrer la dérive autoritaire du gouvernement français. “J’attends de ce rapport qu’il mette la pression sur le gouvernement au niveau international.Amnesty demande un changement sur les interdictions de manifester. La France est le pays des droits de l’homme, quand je vois cette dérive autoritaire, c’est inquiétant” explique le Bisontin.
“Ce rapport est une pierre à l’édifice. Il y déjà eu le défenseur des droits. Il n’y aura peut-être pas de changement, mais cela va faire pression sur le gouvernement. J’espère un jour que les autorités répondront de leurs actes” ajoute Frédéric Landry.
“On va continuer à manifester, nous ne faisons que réclamer un monde meilleur” conclut le syndicaliste qui manifestera à nouveau samedi 3 octobre à Besançon.