L’établissement du groupe Korian situé près de Besançon (Doubs) a été le premier Ehpad fortement touché en Bourgogne Franche-Comté. L’Ehpad nous a ouvert ses portes. Résidents et soignants se confient sur ce qu’ils ont vécu de l’intérieur.
Dans cette résidence médicalisée pour personnes âgées dépendantes, le Covid-19 a fait irruption début mars. C'est un des premiers établissements touchés en Bourgogne-Franche-Comté. Le coronavirus est entré dans l'établissement via une aide-soignante qui avait été contaminée après avoir participé au rassemblement évangélique à Mulhouse. L'établissement comme les autres Ehpad de France n'était pas encore en confinement.
En six semaines, 50 des 79 pensionnaires vont être infectés par l’épidémie. 26 sont décédés.
Les soignants que nous avons pu rencontrer racontent ce combat qu’il a fallu livrer de l’intérieur, dans leur établissement confiné. Pendant que la presse pointe du doigt l’hécatombe à Thise.
confie Stéphane Rozet, infirmier.
Voir partir nos résidents, certains étaient là depuis de nombreuses années, a été difficile, pour les soignants et pour les familles
Dans cet établissement, l’équipe souligne une solidarité sans faille des personnels. « Cela a été difficile, mais on a eu la chance d’avoir tout ce qu’il fallait au niveau du matériel et des renforts humains » ajoute l’infirmier.
A Thise, il a fallu accompagner les personnes en fin de vie. Autoriser une dernière visite aux familles qui le souhaitaient. «Je suis fière d’avoir été là, d’avoir apporté tout mon amour à ces personnes qui sont parties » explique Christelle Arbez-Cottet, infirmière . « On a essayé d’être là au mieux pour eux, leur donner de l’amour, de la tendresse, de les apaiser pour que ce soit le moins douloureux possible » ajoute-t-elle. «On sait comment on a travaillé » ajoute une aide-soignante. « On a apporté de la dignité, on a essayé d’être là, on a fait des heures supplémentaires, malgré la fatigue » complète sa collègue.
La moitié du personnel a eu le Covid-19
Dans cet établissement, 25 membres de l’équipe, soit la moitié du personnel, ont contracté le covid-19. Partis en quarantaine, ils sont ensuite revenus travailler, dès que c’était possible. « On a des eu des renforts, je n’ai jamais vu une telle solidarité » souligne Stéphane Rozet. Des personnels sont venus de Bordeaux ou Marseille pour aider. Une aide-soignante venue d’une autre région dormait dans son camping-car près de l’établissement.
Au départ, on était vus, nous soignants comme des pestiférés
Durant six semaines, les personnels vont se battre contre le Covid-19. Dire que l'on travaille à l’Ehpad de Thise, est parfois douloureux. Une aide soignante se souvient des gens qui reculent alors. Même sur un contrôle routier. « Au départ, on était vus, nous soignants comme des pestiférés, on avait l’impression de porter la peste, si je puis dire » explique la jeune femme derrière son masque. Les salariés se sont sentis par moments rejetés. La Poste ne voulait plus livrer les colis. Les poubelles de l’Ehpad n’étaient plus ramassées.
Thérèse, 92 ans a survécu au Covid mais perdu plusieurs voisines
Alors que « la vague » est passée dans cet établissement, la vie continue. Il faut entourer les 54 résidents désormais comme Thérèse, 92 ans. Elle a été malade. Par chance, le Covid-19 lui a laissé une chance.
Cette résidente a appris au fil des jours que ses voisines de table « étaient parties » comme elle dit. «Cette maladie là, me restera jusqu’à la fin de mes jours…avec le temps, on espère qu’ils trouveront un vaccin » confie la résidente dans sa chambre. Des moments d’angoisse, des larmes qui montent, elle en a eu. «Le personnel a été merveilleux. Ils savent nous comprendre, nous consoler, je les remercie de tout mon coeur, on ne doit pas les critiquer, ils ont été merveilleux » dit-elle.
Je me bats pour ceux qui restent
Habitués à gérer la fin de vie, les personnels ont été confrontés à des décès très nombreux, sur un temps restreint. Comment ont-ils tenu psychologiquement ? « On en parle beaucoup, avec les collaborateurs, les équipes de l’hébergement ou des soignants » explique Mme Arbez-Cottet. Elle dit avoir cette force, toujours, de venir au travail pour ceux qui restent. Malgré 26 décès, « moi j’en ressors pleine de dynamisme, il faut qu’on avance, qu’on donne cette joie de vivre à ceux qui restent. Après oui, c’est difficile, on pense à ceux qui nous ont quitté, mais ils nous donnent la force de continuer, d’avancer….On a choisi ce métier, aujourd’hui ce métier là prend tout son sens » estime-t-elle. « Bien sûr que tout cela change une personne, je sais que ça m’a changé, je ne verrai plus mon travail comme avant » conclut l'infirmière.
Au sein des 300 établissements Korian en France, le bilan est de 356 décès à ce jour. Dont 26 sur le seul établissement de Thise. Aucune famille n’a déposé plainte dans cet Ehpad du Doubs où tous les salariés ont repris le travail.