La cour d'appel de Besançon a décidé de laisser en liberté sous contrôle judiciaire le médecin soupçonné de 24 empoisonnements dans des cliniques de Besançon (Doubs). Le parquet avait fait appel. Les parties civiles étaient venues en force.
En début d'après-midi, au terme de quatre heures d'audience et de délibéré, la cour d'appel de Besançon a maintenu le Dr Frédéric Péchier en liberté. Le médecin reste sous contrôle judiciaire comme il l'est depuis mars 2017 lors de sa première mise en examen dans cette affaire. Une victoire pour la défense du médecin qui redit haut et fort que "le Dr Péchier est présumé innocent (...), que c'est un dossier en l'état sans preuves, il y a encore beaucoup d'actes d'investigation à accomplir" selon les termes de l'avocat Me Randall Scwherdorffer. ► Lire notre article.
Le médecin s'est bien présenté à 9 heures ce matin devant les magistrats de la chambre d'instruction de la cour d'appel. Le Dr Frédéric Péchier pouvait à la fin de l'audience qui s'annonçait longue être placé en détention.
Les avocats du médecin avaient demandé à ce que l'audience soit publique. Elle s'est déroulée finalement à huis clos. La famille du médecin et la presse ont dû quitter la salle, une trentaine de victimes présumées ou de proches des victimes ont pu en revanche assister aux débats.
Pour la première fois, les parties civiles ont pu exprimer leurs arguments sur ce point sensible du placement en liberté ou non du médecin. Ce n'était pas le cas jusqu'à maintenant puisque le sort du médecin était entre les mains du seul juge de la liberté et de la détention.
Les images de l'entrée de Frédéric Péchier ce matin à l'audience de la cour d'appel qui doit statuer sur son placement en détention ou liberté sous contrôle judiciaire #anesthésiste #besancon https://t.co/lGkFj7lGVp pic.twitter.com/8S6t9lhXX7
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"Mon client attend sereinement l'audience...Je ne vous dirai pas qu'il est détendu, mais il fait confiance à la chambre de l'instruction" a déclaré ce matin l'un de ses avocats Me Randall Schwerdorffer.
Frédéric Péchier est revenu donc pour quelques heures sur Besançon, il vit depuis la dernière audience chez ses parents à Poitiers, loin du Doubs comme l'impose son contrôle judiciaire. La cour ne s'intéressera pas aujourd'hui au fond du dossier mais uniquement à la situation du médecin. Doit-il rester en liberté le temps que l'instruction se termine ? Sa place est-elle en détention provisoire dans l'attente d'un procès devant les assises comme le réclame le parquet ? Etienne Manteaux procureur de la République de Besançon a expliqué que selon la justice, le médecin était "le dénominateur commun" de tous ces incidents survenus dans deux cliniques de Besançon entre 2008 et 2017. Le parquet avait demandé initialement son placement sous mandat de dépôt, invoquant le trouble à l'ordre public.
"On ne souhaite pas qu'il reste libre"
Ce matin à son arrivée au palais, Me Stephane Giuranna avocat des parties civiles a de nouveau exprimé son souhait de voir le médecin placé en détention. "Il est difficile de comprendre que parce que le Dr Péchier a une assise financière importante, il soit toujours sous contrôle judiciaire... La cour tranchera" a-t-il dit.Ecoutez Me Stéphane Giuranna avant le début de l'audience. L'avocat réclame une instruction non polluée par la défense et des débats sereins qui passent selon lui par une détention provisoire du Dr Péchier #anesthésiste #besancon https://t.co/HPd2zWbe4f pic.twitter.com/nPzjD6PILH
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Les parties civiles sont présentes au palais de justice. Parmi elles, le père du petit Teddy 4 ans tombé dans le coma après une opération des amygdales. Elles réclament pour la plupart le placement en détention provisoire du médecin. "On ne souhaite pas qu'il reste libre", expliquait il y a quelques jours encore Sandra Simard, vice-présidente d'Avapolvi, une association qui regroupe la plupart des victimes ou leurs proches. Cette femme de 38 ans a passé cinq jours dans le coma début 2017 à l'occasion d'une opération du dos et en conserve des séquelles cognitives."Frédéric Péchier demande à garder sa liberté, mais au vu de tous les cas ajoutés aux sept premiers cas, on estime qu'il n'y a plus beaucoup de doutes sur sa culpabilité", explique t-elle.
Interdit de résider sur Besançon et d'exercer son métier
Le 17 mai 2019 à l'issue de sa garde à vue et de sa mise en examen pour 17 nouveaux cas d'empoisonnements, le médecin a été laissé en liberté mais placé toujours sous contrôle judiciaire avec interdiction de venir à Besançon et de résider à Montfaucon sa commune du Doubs. Le médecin n'a toujours pas le droit d'exercer. Frédéric Péchier, présumé innocent nie toute implication dans les faits, mais a admis lors de sa garde à vue qu'il y avait eu des empoisonnements dans la clinique où il travaillait.
La décision du juge des libertés de laisser le médecin sous contrôle judiciaire avait provoqué mi-mai, la colère des victimes. Elles "vivent depuis deux ans un véritable ascenseur émotionnel", ce maintien en liberté "est assez incompréhensible", avait alors déclaré Me Frédéric Berna, avocat de parties civiles qui sera à nouveau présent aujourd'hui à la cour d'appel. L'avocat a estimé ce weekend que le Docteur Péchier avait par plusieurs fois violé son contrôle judiciaire. "Le Docteur Péchier profite de la liberté pour nuire au bon déroulé de l'instruction", argumente l'avocat des parties civiles.
24 empoisonnements suspects et 9 morts au coeur d'une longue enquête
Qui sont les victimes présumées du médecin bisontin de 47 ans. Les victimes présumées sont âgées de 4 à 80 ans. Elles ont toutes fait des arrêts cardiaques, fatals dans neuf cas, à l'occasion d'opérations chirurgicales sans difficultés particulières.
Selon l'enquête, ces "événements indésirables graves" (EIG) auraient été causés par la pollution volontaire "de poches de soluté de réhydratation ou (...) de paracétamol avec des anesthésiques locaux ou du potassium". Certaines poches ont été saisies lors de l'enquête.
Les enquêteurs estiment que le Dr Péchier cherchait à provoquer des complications chez les patients de ses collègues pour les réanimer ensuite et apparaître en sauveur. L'enquête a révélé un "un contexte de conflit aigu avec ses collègues anesthésistes ou chirurgiens".
Dans cette affaire hors normes si les faits sont avérés, la clinique Saint-Vincent, où pratiquait l'anesthésiste, s'est constituée partie civile de même que le Syndicat national des anesthésistes-réanimateurs de France (Snarf). Victimes et parties civiles veulent connaître la vérité : un soignant a-t-il volontairement joué ou non avec la vie de patients ? Est-il innocent comme lui et sa défense l'expliquent ?
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