Après une première journée sous haute surveillance devant le tribunal correctionnel de Besançon, le procès de six membres présumés du clan "Picardie", jugés pour un trafic de drogue particulièrement violent dans le quartier Planoise, se poursuivait ce mardi. Relisez la deuxième jour de ce procès dans cet article.
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17h10 : L'audience est suspendue. Elle reprendra mercredi 22 mars à 9h15. Les réquisitions de madame la procureure auront lieu ainsi que les plaidoiries de la défense. Le jugement est attendu jeudi matin.
"Même les animaux, on ne les tue pas comme ça !"
16h45 : Les deux avocats des parties civiles plaident désormais. Me Bernard parle du courage de son client venu témoigner "au milieu de tous, pour vous dire 'je suis victime'. C'est un acte de résistance !". "L'humanité est absente de ce procès. Les prévenus n'ont une once d'humanité que pour eux-même, pour sauver leur peau", lance Me Bernard d'une voix forte.
Ce ne sont pas des malfaiteurs, ce sont une bande de terroristes ! Les victimes le ressentent comme telle !
Me Bernard, avocat des parties civiles
L'un des prévenus s'agite, certains baissent la tête quand d'autres écoutent attentivement l'avocat des parties civiles dans sa démonstration. "18 impacts retrouvés, arrosés, du sol à deux mètres de haut, le jour de Noël ! Même les animaux, on ne les tue pas comme ça !", s'offusque l'avocat, rappelant que la balle d'une arme de guerre a traversé un appartement et la chambre d'un enfant. "Cela, ils n'en ont rien à faire !! Il n'y a pas de prix de la vie, la vie ne vaut rien pour eux ! Il n'y a aucune responsabilité assumée."
16h30 : Julien B., partie civile, s'approche de la barre. Il a été victime de tirs à l'arme à feu, le 25 décembre 2019 au soir alors qu'il était sur un point de deal pour se fournir en drogue. C'est un individu cagoulé muni d'un fusil à pompe qui lui a tiré dessus, lui provoquant un incapacité permanente. En effet, il a subi une fracture complète du fémur droit et la section complète du nerf sciatique. Il n'est pas en mesure d'identifier un tireur. "C'était juste une silhouette", dit-il. L'électricien de profession parle à voix basse et donne peu de détails.
16h05 : Le casier de Mohamed M., âgé de 30 ans et actuellement en fuite, est lui aussi bien chargé : vols avec violence, transport d'arme de catégorie B, violences aggravées, dégradation en réunion, outrage... "Monsieur M. a été mis en cause par des témoignages anonymes qui le placent à la tête du clan "Picardie", avec monsieur Melk G. Il est surnommé 'Amo' ou 'Amou'", débute la présidente Karine Renaud. Il lui est attribué par les enquêteurs deux téléphones PGP cryptés.
"Parmi les messages envoyés par ces PGP, il y a des plans de 'descentes'", exprime la présidente. C'est aussi depuis ce PGP crypté que Mohamed M. est soupçonné de gèrer l'arrivée d'un convoi de stupéfiants. C'est aussi depuis ces téléphones que le prévenu aurait donné des consignes et des instructions concernant les modes opératoires de représailles, ainsi que pour enterrer les butins de la drogue. S'agissant des tirs du 26 février, la qualification le concernant vise la fourniture du scooter et les instructions données pour éviter les caméras et supprimer les traces.
15h35 : La situation de Mohamed M. soupçonné d'être le leader du clan "Picardie", va désormais être abordée en l'absence du prévenu, juste après une suspension d'audience. Ensuite, les parties civiles, dont l'une des victimes de tirs, prendront la parole.
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"Vous êtes soupçonné d'être à la tête d'un trafic de stupéfiants extrêmement lucratif"
15h25 : Sur le volet concernant les tirs et les violences attribuées au clan "Picardie" contre le clan de "La Tour", des messages émanent du téléphone attribué à Melk G. : "Ce PGP envoie des consignes à monsieur Nadjib Z.. Ensuite, il est question de trouver une 406 pour faire une descente et 'foncer dans le tas'. Et à la suite des tirs du 26 février, ce PGP espère que celui qui a tiré 'a touché fort' et dit qu'il 'faut recommencer si jamais ils ne comprennent pas'", relate la présidente, énumérant une longue liste d'échanges dans lesquels les protagonistes s'organisent pour des représailles sanglantes contre le clan adverse.
Ils vont revenir, tant qu'on en tue pas un.
Message crypté attribué à Melk G. par la justice
"Toutes les personnes qui sont là, sont toutes majeures. Elles n'ont pas besoin de moi. Moi je suis un trafiquant madame, je l'avoue ! Où est mon intérêt de revenir ici pour faire des violences ? Je n'ai jamais tiré sur quelqu'un ! Tout le monde le sait. Prouvez-le moi, s'il vous plait madame. Je suis désolé, je m'emporte un peu, je suis complètement désolé, mais à un moment donné...", déroule Melk G. qui dit vivre de son trafic depuis l'Espagne et de son RSA. Ce dernier refuse de dire combien il a gagné exactement avec son trafic. "Moi je suis là pour l'argent, ma vie me coûtait grave chère. J'étais obligé madame. J'étais obligé c'est tout !", conclut le jeune homme originaire de Besançon.
Comme les autres prévenus, plusieurs condamnations sont mentionnées sur son casier judiciaire. "J'ai travaillé toute ma vie, jusqu'à octobre 2017 (ndlr, une condamnation pour violence). Ça a bousillé ma vie. J'ai jamais pu retravailler. Alors je suis parti en Espagne", dit Melk G, en réponse aux questions sur son histoire personnelle et sa personnalité. "Est-ce que cette cavale ne vous arrangeait finalement pas ? Cette cavale est un drôle de choix. Vous êtes soupçonné d'être à la tête d'un trafic de stupéfiants extrêmement lucratif", rappelle la présidente Karine Renaud. Le jeune homme rappelle ses difficultés en prison avec une certaine émotion, notamment quand il aborde son désir d'enfant avec sa compagne, grâce à une PMA engagée il y a plusieurs années mais freinée par son incarcération. "Je viens seulement de sortir d'isolement il y a quelques mois. Je n'ai pas pu travailler. J'ai même fait un début d'AVC", fait valoir le prévenu qui dit ne pas comprendre pourquoi il subit de telles décisions.
14h45 : Depuis le début du procès, l'attitude des prévenus est la même ou presque, à l'exception de Nadjib Z., plus coopératif. Lui seul a reconnu être "gérant" d'un point de deal spécialisé dans le cannabis sur Planoise et avoir été le conducteur d'un scooter utilisé pour une fusillade contre des membres du clan de "La Tour", le clan rival. Les autres nient l'association de malfaiteurs en vue d'un trafic de stupéfiants et toute implication dans des violences. L'omerta demeure et cela complique fortement la tâche du tribunal. Comme la veille, la salle d'audience s'est remplie par rapport à la matinée. Une importante présence policière est également bien visible avec une quinzaine d'agents, dont trois lourdement armés et cagoulés autour des deux prévenus dans le box.
14h09 : L'audience reprend avec l'interrogatoire du dernier prévenu présent : Melk G., depuis le box. Les faits reprochés sont transport, détention et offre de stupéfiants, association de malfaiteurs en vue de commettre un trafic de stupéfiants et association de malfaiteurs en vue de commettre des violences en réunion. Il reconnait en partie les faits. "Je reconnais le trafic, je ne peux pas le nier. Tout ce qui est des violences, association malfaiteurs, je ne le reconnais pas", dit-il.
Il a été interpellé en Espagne, suite à une condamnation à son encontre pour des faits de 2017. Il était alors en cavale avec plusieurs faux passeports. Il confirme avoir déjà transporté des valises pesant entre 30 et 40 kilos pour les livrer à Besançon. Il dit n'avoir aucun contact avec les fournisseurs et ne pas savoir si des membres présents dans cette salle participaient au trafic. Plusieurs témoignages anonymes et conversations PGP lui attribuent le surnom de "Laser". Ce dernier nie être surnommé ainsi. "Quels sont vos liens avec Mohamed M. (ndlr, le chef de clan potentiel) ?". "On se connaît, c'est tout", répond Melk G., que tout le monde appelle Bilel. Il ne souhaite pas non plus répondre aux questions de la présidente concernant les téléphones PGP cryptés qui lui sont attribués par la justice. Dans ce téléphone, des conversation de son propriétaire présumé Melk G. apparaissent pourtant, permettant à la justice de penser qu'il est l'un des bras droits de Mohamed M., le chef la bande "Picardie" en fuite.
"Je ne suis pas concerné par ça"
11h50 : l'audience est levée jusqu'à 14h.
11h30 : Elias B. se lève à présent dans le box pour répondre aux questions de la présidente. Le Belfortain conteste lui aussi les faits qui lui sont reprochés et dit ne pas porter le surnom "Microbe". La justice pense qu'il est l'une des têtes fortes du groupe de trafiquants de drogue surnommé "Picardie" et plusieurs témoignages et écoutes lui attribuent le surnom de "Microbe". Il admet seulement avoir fait de la sous-location de véhicules et d'appartements mais dit ne pas avoir cherché à savoir qui étaient ses clients, non déclarés officiellement.
"À un moment donné les enquêteurs se sont intéressés à un véhicule DS3 acheté par votre neveu avec son entreprise. Ce véhicule a été sonorisé et géolocalisé. Il est utilisé par vous à plusieurs moments. Vous avez fait le plein de la voiture qui partira le lendemain au Pays-Bas pour un aller/retour très rapide. Par ailleurs, le téléphone portable que vous utilisiez fait alors le même trajet. Est-ce vous qui êtes allés là-bas ?". "Oui, je suis allée au Pays-Bas pour aller consommer de la qualité", répond Elias B. qui nie être allé chercher de la drogue. La justice le soupçonne, grâce à la mise sous écoute du véhicule, d'avoir transporté trois kilos de cocaïne. "Je ne suis pas concerné par ça", nie le prévenu.
Votre neveu vous a-t-il servi de prête-nom pour que vous disposiez de voitures pour vos activités ?
Présidente du tribunal correctionnel à Elias B.
La présidente poursuit ses questions mais le prévenu nie tout en bloc, malgré les éléments en possession de la justice à son encontre. Il refuse également de répondre aux questions concernant l'exploitation des conversations cryptées sur les téléphones PGP, sur lesquelles les malfaiteurs organisent des représailles et notamment une attaque armée contre des membres de la bande adverse de "La Tour". "Je ne suis pas concerné par ces discussions", dit-il.
Son casier judiciaire porte trois mentions : usages, transport et offre de stupéfiants, blanchiment et violences aggravées et association de malfaiteurs. Il est en détention depuis deux ans et demi. "Je suis des formations, je participe à toutes les activités sportive... Je suis un détenu exemplaire, je me permets de le dire. Bon c'est vrai que j'ai eu des saisies dans la cellule, mais rien de méchant, deux trois trucs (ndlr, téléphone portable, carte sim)", explique le prévenu de 23 ans, qui a replongé après sa sortie de prison en juin 2019. "J'aimerais pouvoir travailler, me marier, avoir des enfants".
10h12 : L'audience est suspendue, elle reprendra à 10h30.
95 000€ et 200g de cocaïne retrouvés dans une voiture
10h : "Aujourd'hui, je suis devant vous pour une histoire de guerre de terrains. J'aimerais bien qu'on me dise ce que j'ai fait", explique Mamadouba T., qui fait preuve d'une certaine désinvolture face à la présidente. Cette dernière rappelle que le 30 novembre 2022, le prévenu a été condamné à 2 ans d'emprisonnement pour des faits de détention, offre et transport de drogue. "Dans une voiture stationnée devant le domicile de votre concubine, ont été retrouvés 95 000€ et 200g de cocaïne. Est-ce le même contexte que ce que vous nous racontez là ?", relance la présidente. "Ouais, ouais...", répond le jeune homme à la barre, interpellé par la police le jour de la naissance de sa fille.
Concernant la personnalité du prévenu. Dès 14 ans, il écope de ses premières condamnations pour détention et offre de stupéfiants. S'en suivent des condamnations et des peines de prison pour vols, violence, vente de drogue, plusieurs conduites sous l'emprise d'un état alcoolique ou encore violences avec arme et en réunion. "Dites-nous ce que vous êtes capables de faire quand vous n'êtes pas en prison ?", l'aide la présidente. "J'ai du mal à m'exprimer un peu", admet le prévenu qui a eu plusieurs jobs, en vente et dans le bâtiment. "Qu'est-ce qui fait que vous replongez dans le trafic ? Cela vous rapporte combien ?", interroge la présidente Karine Renaud. "Je ne sais pas... 2000 euros par mois", répond Mamadouba T. Quand il sortira de prison, il souhaite "partir loin d'ici" avec sa compagne, pour s'occuper de sa fille.
Peut-être qu'il a fallu qu'il m'arrive tout ça pour que je comprenne.
Mamadouba T., membre présumé du clan "Picardie"
9h46 : Toute la difficulté pour la justice réside dans sa capacité à établir des faits précis et à les attribuer avec certitude aux prévenus. Dans un univers aux codes spécifiques, où règne l'omerta, les témoignages anonymes sont la norme. Personne ne souhaite donner de noms et surtout pas ceux des têtes pensantes du réseau. L'exploitation des conversations des téléphones cryptés "PGP" est précieuse mais la plupart des dealers présumés refusent de s'exprimer à ce sujet. Mohamed M., soupçonné par la justice d'être le chef du clan "Picardie" est absent à l'audience. Il est en cavale.
9h30 : Mamadouba T. débute à la barre ce matin. Il n'est pas loquace. Celui surnommé "Mams" reconnait tout de même une partie des faits qui lui sont reprochés. La justice le soupçonne de transport et détention de stupéfiants ainsi qu'association de malfaiteurs en vue d'un trafic de stupéfiants. "Je reconnais avoir récolté de l'argent qui provient du trafic, auprès de gens dont je ne dirai pas le nom", dit le jeune homme originaire de Besançon.
"Combien d'argent récupériez-vous le soir ?", demande la présidente. "Je ne sais pas, je ne comptais pas", dit Mamadouba T., mis en cause par des témoins sous X. "Les témoignages disaient que vous teniez les équipes en l'absence de Mohamed M. (le chef de bande présumé actuellement en fuite)". Des photos de Mamadouba T. ont été retrouvées dans un téléphone. Sur ces dernières, on le voit avec l'un des autres prévenus, présent dans le box, Melk G. Le prévenu ne souhaite pas parler de Melk G. "Je ne veux pas répondre aux questions sur le téléphone PGP", répond aussi Mamadouba T, interrogé par la présidente qui tente de connaître le rôle exact du Bisontin dans le trafic de drogue du clan "Picardie".
Il faut traiter le dossier, on est trop gentils. Il faut sa tête sur un plateau.
Propos attribués par la justice au téléphone de Mamadouba T.
"Vous êtes plutôt modérateur dans les conversations. Mais en même temps, votre PGP, en tout cas celui qui vous est attribué, donne des conseils sur des tirs à blanc, s'obstine la présidente. On a le sentiment que celui qui possède ce PGP a une vision globale, donne les informations et donne des idées sur la façon dont on gère les points de deal". "Je n'ai jamais donné d'ordres, ni de conseils, ni rien", ferme le prévenu.
9h : L'audience doit reprendre à partir de 9h dans la salle A du tribunal correctionnel de Besançon. Les prévenus ne sont pas encore dans la salle, sauf l'un d'eux, qui comparaît libre.
Après une première journée de procès particulièrement tendue et surveillée, durant laquelle trois prévenus se sont exprimés à la barre, c'est au tour de trois autres hommes d'être interrogés (relire le compte-rendu de la première journée). C'est le deuxième acte judiciaire concernant "la guerre de territoire, opposant les dealers actifs rue de Fribourg (la Tour) et rue de Picardie (Norma)", comme l'a qualifié en préambule la présidente.
Neuf prévenus de cette session sont soupçonnés d'être des membres actifs du clan "Picardie". Six sont présents. Le juge d'instruction considère qu'ils exploitent certains points de deal de drogue du quartier Planoise, au coeur duquel une impressionnante série de règlements de compte a eu lieu depuis novembre 2019. Plusieurs victimes, dont certaines qui n'avaient rien à voir avec le trafic, ont été gravement blessées ou sont mortes sous les balles, parfois tirées en plein jour à l'arme de guerre. Le délibéré est attendu jeudi.
En 2021, une partie du clan "De la Tour", la bande rivale avait été jugée dans cette même salle. Les peines prononcées étaient allées jusqu'à 10 ans de prison, notamment pour les deux frères à la tête de ce réseau de narcotrafic.
Les agissements des malfaiteurs provoquent la peur, l'indignation et la colère des 20 000 habitants du plus gros quartier de la région, et ce depuis plusieurs années maintenant. Ces derniers, pris en otage au coeur d'une violence qui semble sans fin, espèrent que le calme revienne dans le quartier le plus peuplé de la cité comtoise.
>> Relire le déroulé complet de la première journée de procès des membres présumés du clan "Picardie".