Le journaliste "Toufik de Planoise" et Frédéric Vuillaume, représentant syndical FO ont été entendus ce vendredi 30 juin 2023, à la barre du tribunal correctionnel de Besançon. Ils sont accusés, notamment, d’avoir entravé la circulation des trains le 20 avril dernier, lors d’une manifestation contre la réforme des retraites. On vous raconte.
Les bancs de la salle d'audience sont pleins à craquer. Ils sont nombreux à s’être déplacés ce vendredi matin pour assister à l'audience, qui a débuté à 10h40. Le journaliste indépendant, dont le pseudo est ”Toufik de Planoise” et Frédéric Vuillaume, secrétaire général Force Ouvrière (FO) du Conseil Régional Bourgogne-Franche-Comté, sont tous les deux accusés d'entrave à la circulation ferroviaire. Ils avaient été mis en garde à vue le 26 avril dernier. La SNCF ne s’est pas portée partie civile dans ce dossier.
La Cour s’est penchée plus particulièrement sur la journée du 20 avril 2023, durant laquelle une opération de tractage contre la réforme des retraites s’est soldée par une occupation des voies de train de la Gare Viotte à Besançon. Les deux prévenus sont accusés d’entrave à la circulation ferroviaire, “notamment en se couchant sur les voies”, concernant Frédéric Vuillaume.
Maître Jean-Michel Vernier, avocat du syndicaliste, commence par préciser que son client n’a jamais été condamné auparavant, malgré de nombreuses comparutions. “Il est poursuivi pour avoir manifesté en tant que représentant syndical, avec son gilet FO, contre cette loi [des retraites]”. ”Ne pas reconnaître un caractère politique aux manifestations nationales pourrait être curieux”, plaide l’avocat bisontin. Ce à quoi le procureur de la République, Etienne Manteaux, répond : “Pour qu’il y ait un caractère politique, il faut que l’exercice de ces manifestations soit fait dans un État de droit”. Or, ajoute-t-il, “on est dans le cadre d’une manifestation non déclarée”.
Il s’agit d’une manifestation spontanée et pas déclarée, qui a engendré des perturbations majeures [pour les citoyens qui circulaient].
Etienne Manteaux, procureur de la République de Besançon
Frédéric Vuillaume, la cinquantaine, une veste en cuir sur le dos, s’avance à la barre. Il lui est également reproché d’avoir entravé la circulation au rond-point des Mercureaux à Besançon, le 7 mars 2023. “La seule chose que je fais, c'est que je porte haut et fort les revendications. Il y a des milliers, des millions de personnes qui ont participé à des actions contre la réforme des retraites”, s’exclame-t-il. “Notre syndicat a suivi l’appel de l’intersyndicale”, à mettre le pays à l’arrêt.
“Vous n’êtes pas un black bloc ?”, lance alors Maître Vernier à son client, dans un grand sourire. Rires dans l’assemblée. “Non”, répond Frédéric Vuillaume.
"Je faisais mon travail de journaliste"
Le président de la Cour montre plusieurs photographies aux prévenus en leur demandant s’il s’agit bien d’eux. Le magistrat s’adresse ensuite à "Toufik de Planoise" : “Qu’est-ce que vous faisiez ?”. “Je faisais mon travail de journaliste”, répond ce dernier. “J’ai suivi et couvert cet événement”. Il précise : “J’étais missionné par un média indépendant, Radio Bip, pour un reportage”.
On était 9 journalistes, reporters ce jour-là sur les rails et je m’étonne étrangement que ça tombe sur moi.
Toufik de Planoise
La légitimité du journaliste est ensuite remise en cause, devant une assemblée jugée trop bruyante par la Cour. Le reporter se défend. Il explique qu’il était pigiste pour Média 25, qu’il possédait une carte internationale de presse, qu’il était affilié au syndicat national des journalistes et qu’il avait reçu un ordre de mission concernant le reportage du 20 avril 2023. “Il n’a pas le statut de journaliste français”, déclare Etienne Manteaux, précisant que le journaliste n’est pas détenteur de la carte de presse française.
"Je continuerai à revendiquer le droit de manifester"
Son avocat, Maître Fabien Stuckle, commence sa plaidoirie en se disant avoir été "sidéré" puis "inquiet" à la lecture du dossier. “Comment est-ce possible qu'on renvoie un journaliste, un correspondant local de presse, pour avoir couvert une manifestation ?”. “Ce serait presque drôle si l’atteinte à la liberté [d’expression] n’était pas aussi grave”. Selon lui, son client n’a fait “que son travail de journaliste” et “subir une garde à vue, pour un journaliste, dans le contexte actuel, ça n’est pas rien”.
Quel honneur ont les journalistes de continuer leur travail dans ces conditions ?
Maître Fabien Stuckle
Les prévenus adressent un dernier mot aux juges avant la fin de l’audience. Frédéric Vuillaume l’affirme : “Malgré les pressions morales, financières, les heures passées en garde à vue, je continuerai à revendiquer le droit de manifester”. “Je trouve ça extrêmement problématique de remettre en cause ces éléments. Trois-quart des journalistes en France n’ont pas de carte de presse. Et ce sont pourtant eux que vous lisez tous les jours”, conclut, de son côté, "Toufik de Planoise".
Le procureur de la République, Etienne Manteaux, a requis finalement une amende de 3 000 euros, dont la moitié en sursis à l’intention du syndicaliste Force Ouvrière. 1 500 euros ont été requis contre Toufik.
Le jugement a été mis en délibéré au jeudi 13 juillet 2023 au Palais de Justice de Besançon. “La décision sera rendue à ce moment-là”, conclut le président de la Cour, avant de clore l’audience.
Un rassemblement en soutien
À partir de 8 heures ce matin, une cinquantaine de personnes a bravé la pluie devant le Palais de Justice, en soutien aux deux prévenus. Certains venaient de Dole, ou même de Chalon-sur-Saône.
Céleste, 16 ans, était présente pour "défendre Fred et Toufik“, parce que "c’est important de soutenir ses camarades“. "C’est cibler des leaders“, nous a expliqué quant à lui Lionel Chatelain, représentant syndical FO Action Sociale. "Cette action [en justice] s’inscrit dans la répression syndicale d'ensemble“.
"Le droit de manifester est bafoué depuis très longtemps“, a déclaré Denis Braye, militant bisontin. "Tout est fait pour censurer, pour museler“. Et de conclure : "On n'a pas le droit le laisser passer ça“.