Dimanche 22 septembre, le Premier ministre Michel Barnier a annoncé son souhait de faire de "la santé mentale" la "grande cause nationale" en 2025. Une volonté accueillie avec beaucoup de prudence par les professionnels. Ils demandent "des actes" pour un secteur "en plein effondrement".
Cette annonce, les professionnels du secteur l'ont tous accueilli avec surprise. Certains avec joie. Beaucoup d'autres avec méfiance. Invité du 20h de France 2 dimanche 22 septembre, le nouveau Premier ministre Michel Barnier l'a annoncé tambour battant : en 2025, il souhaite que "la santé mentale" devienne "la grande cause nationale". Quelques jours à peine après la nomination de ses ministres, le chef du gouvernement français semble vouloir s'emparer à bras-le-corps d'un sujet majeur dans la société française.
Et alors que chaque année, 13 millions de personnes en France, soit 1 personne sur 5, développe un trouble psychique (dépression, troubles anxieux, alimentaires, bipolaires, schizophréniques…) selon l'association "Santé mentale grande cause 2025", c'est tout un secteur en souffrance qui attend de pied ferme de vrais changements.
"Jusqu'à maintenant, les moyens ont plus baissé qu'augmenté"
"On a justement peur que cette annonce reste au stade d'effet d'annonce" assure Jan Szoblik, infirmier en pédopsychiatrie et responsable CGT à l'hôpital psychiatrique de Novillars (Doubs). "Il faut que les actes suivent la parole. Justement, et c'est paradoxal, sous la présidence Macron, nos moyens ont plus baissé qu'augmenter jusqu'à présent".
A Novillars, on est un peu moins de 50 équivalents temps pleins médicaux. Il nous faudrait une augmentation des effectifs d'au moins 25 % pour bien travailler.
Edgar Tissot.président de la Commission médicale d'établissement (CME) et de la commission santé mentale à l'hôpital psychiatrique de Novillars
Des moyens en baisse, alors que les demandes de la population augmentent. "Elles explosent même" assure Edgar Tissot, président de la Commission médicale d'établissement (CME) et de la commission santé mentale à l'hôpital psychiatrique de Novillars. "Et on n'arrive pas à y répondre. En 2023, on a environ 10 000 patients qui sont passés par notre établissement pour une demande de soin psychiatrique. C'est 1 000 de plus qu'en 2022. Et ça augmentera encore en 2024. Le système s'engorge".
Edgar Tissot va plus loin. Pour lui, les soins psychiatriques publics en France sont même "au bord de l'effondrement". "On appelait pour un plan national" confie-t-il. "On a été entendu. Maintenant, on va voir quelles seront les premières mesures. Dans un premier temps, il faudra un réel effort financier".
Difficultés de recrutement chez les internes
Voilà le nerf de la guerre. Pour Jan Szoblik, de la CGT, un vrai effort serait d'abord à faire lors de la formation. "Il y a actuellement une désaffection des jeunes pour la psychiatrie" expose-t-il. "On arrive plus à recruter des professionnels. Il faut rétablir les spécialités psy chez les infirmiers et informer en interne sur les enjeux de ces métiers, où il est aujourd'hui compliqué de se projeter".
Exemple, à Novillars "et pour la première fois depuis des années", "nous avons une baisse des internes en 2024" raconte Philippe Dubreuil, directeur par intérim de l'établissement et directeur. "Pour ce dernier, il est urgent de valoriser toutes les personnes qui dédient leur temps aux soins mentaux, notamment par une revalorisation salariale". Et il y a urgence.
Au travail, on est toujours sous tension. Faute de personnels, nous avons une vingtaine de lits qui sont gelés, alors que les besoins en soins augmentent. Ça favorise les départs, les collègues ont l'impression de perdre le sens de leur travail. Beaucoup vont en Suisse, où les salaires sont meilleurs.
Jan Szoblik,infirmier en pédopsychiatrie et responsable CGT à l'hôpital psychiatrique de Novillars
D'où la nécessité "d'un véritable plan Marshall" reprend Edgar Tissot. En plus de la formation, le praticien met l'accent sur le besoin de "développer le maillage territorial des soins mentaux". "Il faut garantir un accès aux soins rapides, efficaces et surtout, de proximité" argue-t-il. "Aujourd'hui, dans le Doubs, il faut entre trois mois et un an pour obtenir une consultation avec un psychiatre, à l'hôpital ou en ville. Et nous ne sommes pas les moins bien lotis. C'est irréel. Il faut que ça change".
Remodeler le système d'attribution de financements
Et cet effort va de pair avec la formation, selon Edgar Tissot. "Plus, on assurera de bonnes qualités de travail, plus il y aura de professionnels". Mais que s'est-il passé pour que le chantier soit aussi grand ? "Justement, rien" renchérit Jan Szoblik. "Depuis 10 ans, on réclame des changements qui ne sont jamais arrivés. Même malgré la vague Covid, qui a brisé le tabou de la santé mentale et après laquelle les troubles ont explosé".
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Et le syndicaliste pointe du doigt les dernières décisions de l'État, coupables selon lui d'avoir fait plonger le secteur. "En 2021, le gouvernement a modifié le dispositif d'attribution des financements. En gros, les établissements psychiatriques situés dans un bassin de population où il y a une forte présence de praticiens reçoivent moins d'argent. Et vice-versa". Logique, non ? Pas si facile.
"Avant cela, on travaillait avec les autres établissements spécialisés. Maintenant, cela crée de la concurrence entre hôpitaux et de vraies disparités par régions au niveau des soins.
Jan Szoblik,infirmier en pédopsychiatrie et responsable CGT à l'hôpital psychiatrique de Novillars
Autre coup de poignard, la tarification à l'acte. "Comme pour les soins généraux, une partie de nos financements est aussi liée aujourd'hui à notre activité" continue Jan Szoblik. "Plus on fait d'actes médicaux, plus on a d'argent. On va donc multiplier les séjours courts, pour libérer de la place et multiplier les actes".
"En psychiatrie, c'est un cercle vicieux" nous dit l'infirmier, représentant CGT à Novillars. "Le patient partira trop tôt, il sera obligé de reconsulter car sa pathologie n'aura pas disparu, l'attente sera énorme donc les troubles vont empirer et il reviendra à l'hôpital dans un état de décompensation générale".
Aucune précision sur de potentielles mesures
Pour les syndicats du secteur, une bonne manière de faire de la santé mentale la "grande cause nationale" serait, en plus d'améliorer la formation et la revalorisation des salaires, de revoir complètement les dispositifs d'attribution de financement, jugés "inégalitaires" et "délétères".
Seront-ils entendus ? Après son annonce, Michel Barnier n'a rien précisé concernant un éventuel plan national, des groupes de consultations ou la date des premières mesures. Pour rappel, un Conseil national de la refondation (CNR) consacré à la santé mentale était programmé cet été, mais a été annulé après la dissolution de l'Assemblée nationale. Une mauvaise nouvelle qui reste toujours en travers de la gorge de nombreux professionnels d'un secteur en souffrance.