PHOTOS. Maison d'arrêt de Besançon : "Un moyen de s'évader", des détenus peignent une fresque géante

Alors que les conditions d'incarcération des détenus en France sont particulièrement difficiles, notamment en raison de la surpopulation carcérale, une initiative originale a eu lieu à la maison d'arrêt de Besançon (Doubs). Accompagnés de deux artistes francs-comtois, des détenus ont apporté de la couleur au mur de l'une des cours. On vous raconte.

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Le soleil frappe fort ce jour-là et la chaleur est pesante. Le rendez-vous m'a été donné devant la maison d'arrêt de Besançon, dans le quartier de la Butte à 15 h, mardi 27 juin. À l'heure exacte, la porte s'ouvre et mon interlocuteur, Dan Nicolle, coordinateur Culturel des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) du Doubs et du Jura, m'invite à entrer dans l'enceinte surprotégée. C'est la première fois que je mets les pieds dans une maison d'arrêt.

Je laisse ma carte d'identité à une agente pénitentiaire installée dans un sas vitré, à l'accueil. Elle me fait préciser le contenu de mon sac et j'en profite pour indiquer que je ne dispose pas de téléphone portable sur moi. Je dépose mon sac pour qu'il passe dans un scanner à rayons X puis je traverse ensuite un portique de sécurité. Après une première cour, un couloir puis trois grandes portes à barreaux, j'entre enfin au cœur de la maison d'arrêt.

Ce bâtiment impressionnant a été construit en 1885. Il a depuis été rénové, mais force est de constater qu'il reste "dans son jus". Il dispose de 4 ailes : A, B, C et D disposées en rayon de soleil autour d'une coursive circulaire dans laquelle se trouve un agent. Il scrute de nombreux écrans de surveillance. 430 détenus sont actuellement incarcérés à Besançon. À la différence d'une prison, une maison d'arrêt accueille des personnes en attente de jugement ou dont la condamnation n'est pas définitive. À Besançon, le taux d'occupation est de 155%, contre environ 140% au niveau national. L'établissement est touché de plein fouet par la surpopulation carcérale. "Nous n'avons pas de matelas au sol", tempère Matthieu Frasco, adjoint chef de la maison d'arrêt de Besançon, tout en précisant que cette situation est évidemment compliquée à gérer. 

Une transformation visuelle de la cour du bâtiment D

Dans cet endroit surpeuplé et alors que la promiscuité est extrême en raison du manque d'espace, l'activité culturelle à laquelle je m'apprête à assister fait office de véritable bol d'air pour les détenus autorisés à y participer. Ce sont ceux du bâtiment D, "ceux qui ont un travail le matin, en cuisine ou pour des sociétés extérieures qui nous fournissent des missions pour les détenus", m'indique la responsable de cette aile. Les participants sont évidemment tous volontaires.

Nous traversons le long couloir ponctué de petites portes marron sans fenêtres. Ce sont celles des cellules installées de chaque côté des couloirs. Arrivé au bout du couloir, la gardienne pioche dans son imposant trousseau de grosses clés à l'ancienne et ouvre une porte qui ressemble à celle d'une cellule. C'est le passage pour se rendre dans la cour du bâtiment D. On avance et une intense lumière naturelle jaillit. Le soleil réfléchit sur toutes les parois et nos yeux se plissent instantanément. "Vous n'avez pas pris de lunettes de soleil ? Car il éblouit beaucoup ici", me demande sympathiquement l'agente pénitentiaire. Je ferai sans, mais je comprends mieux, en quelques secondes seulement, à quoi ressemble les "promenades" des détenus en plein été. L'atmosphère est pesante, même dehors.

La cour est un espace entièrement bétonné. Seule une barre de traction et quelques bancs en béton sont disposés dans cet espace entouré d'un immense mur et de barbelés à de nombreux endroits. Une petite dizaine de détenus s'affère autour du mur situé face au bâtiment. Une immense fresque, colorée et très graphique, est en train d'être peinte.

"Ça va me marquer"

Les deux artistes à l'origine de ce projet viennent à ma rencontre. Vincent Jacquin et Félix Lafay sont là pour accompagner la douzaine de détenus qui participe à ce projet artistique hors du commun en milieu carcéral. Il a fallu plus d'un an pour pouvoir réaliser cette action à visée sociale et culturelle. "Ce que je voulais, c'est que l'on puisse profiter de deux approches artistiques différentes. Je trouvais ça bien que l'on soit deux pour encadrer les groupes. On est parti sur une semaine de conception suivie d'une semaine de peinture", m'explique Vincent Jacquin, artiste muraliste, qui a notamment réalisé une fresque géante sur le terrain de sport d'Isenbart, proche du centre-ville de Besançon, en 2021. Plus habitué au public scolaire, c'est la première fois qu'il travaille avec des personnes incarcérées. "Je suis entré dans la prison avec plein de biais. Ils sont hyper investis, hyper bienveillants, tout de suite. Une vraie dynamique s'est créée, explique-t-il. Ce qu'il s'est passé ici, ça va me marquer. Je vais y repenser souvent".

Ils ont besoin de dire des choses. Ils se sont livrés.

Vincent Jacquin, artiste

Félix Lafay a déjà travaillé plusieurs fois avec des jeunes délinquants mineurs (relire notre article). Il découvre lui aussi le travail avec des adultes incarcérés. Il partage le point de vue de son binôme. "C'est intense. Il y a des choses qui doivent sortir, poursuit-il. Le rapport au temps qui passe est aussi quelque chose qui est revenu plusieurs fois chez les participants."

Derrière nous, certains hommes observent attentivement un croquis affiché sur le mur. Ils repèrent les endroits qu'il reste à peindre. L'un d'eux est perché sur un escabeau et effectue des finitions, grâce à un rouleau à perche. De l'orange, du bleu, du jaune et du blanc viennent apporter un peu de douceur à cet espace plutôt hostile. Le travail de conception a débuté sur des maquettes en papier. Les détenus ont imaginé des formes et ont pensé les dispositions, les couleurs, comme des symboles de leur histoire. 

"L'idée de pouvoir laisser une trace"

Je propose à quelques détenus de répondre à mes questions. Plusieurs acceptent sans aucune retenue. L'administration pénitentiaire ne m'autorise pas à connaître leurs parcours personnels, ni la raison pour laquelle ils ont été emprisonnés. Gaël*, détenu participant au projet, détaille sa démarche : "J'ai bossé sur les griffes en jaune et bleu. Pour moi, ça représente un étau. Chacun y a mis de sa personnalité". Le dessin, qu'il pratique régulièrement de son côté, est pour lui une manière de s'échapper un peu du quotidien de sa cellule. "C'était l'idée de pouvoir laisser quelque chose aussi, une trace. C'est une première pour moi de dessiner sur une façade. Et, c'est aussi intéressant d'échanger avec des personnes venues de l'extérieur. Dans la situation dans laquelle on se trouve, c'est très important."

L'un des autres participants est quant à lui issu du milieu du bâtiment. Plutôt dans la retenue au début, il a petit à petit pris du plaisir à participer à l'activité, malgré les nombreuses heures passées sous un soleil de plomb. "Ce qui m'a plu, c'est la découverte de la peinture. On est tous contents. On a été bien encadrés", témoigne Fabrice*, qui considère ces instants de création comme "un moyen de s'évader". 

C'est au tour de Lionel* de s'installer à côté de moi sur le petit mur de béton désormais bariolé de couleur. Il me confie qu'il est toxicomane et qu'il prend la prison "pour un bien". L'activité lui permet de penser à autre chose qu'à son incarcération. "Ce n'est que du bon du début à la fin. Ça me plait de participer à quelque chose en groupe. J'ai un penchant pour l'art en général. Je faisais un peu de graff. Là, ça nous permet de sortir de notre cellule et de pouvoir nous rassembler", précise-t-il, visiblement content d'avoir pu mener ce projet. Et, de conclure avant de retourner face au mur : "Celui qui refuserait de participer, je ne le comprendrais pas". Tous, sans distinction, aimeraient que plus d'activités de ce genre puissent avoir lieu en maison d'arrêt. 

"Le mur devient un espace d'émancipation"

La privation de liberté est particulièrement éprouvante pour les détenus. De plus, la surpopulation carcérale participe grandement à accroître la détresse des prisonniers. En 2020, la France a été condamnée pour "traitements inhumains et dégradants" dans les établissements pénitentiaires par la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Il arrive en moyenne un décès tous les deux ou trois jours en prison, la plupart du temps par suicide. En 2021, deux personnes se sont suicidées le même jour à la maison d'arrêt de Besançon.

Les projets culturels, les activités et les moments de vie collectifs sont extrêmement précieux. Ils sont une véritable bouffée d'air. Le projet de fresque sur le mur de la cour est soutenu par la direction de l'établissement. Cette dernière aimerait pouvoir "donner des activités à tout le monde". "Cela leur permet d'échapper un peu au quotidien de la prison. Ici, le mur devient un espace de réflexion et d'émancipation", précise Matthieu Frasco. Dan Nicolle, coordinateur Culturel des SPIP Doubs - Jura ainsi que la Ville de Besançon, et plus précisément l'adjointe à la culture Aline Chassagne (PCF), sont à l'origine de ce projet, financé en partie grâce à la DRAC Bourgogne-Franche-Comté et la Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires de Dijon.

Si les détenus sont la plupart du temps plus enclins à participer à des activités rémunérées, l'accès à la culture est pour lui primordial. "C'est un véritable vecteur de réinsertion, au même titre que le travail". L'inauguration officielle de la fresque doit avoir lieu le 5 juillet. 

* Les prénoms ont été changés pour garantir l'anonymat des détenus.

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