Le parquet de Nanterre a requis ce mardi 18 juin six mois de prison avec sursis contre Sophie Montel, une ex-membre du Front National (FN) pour complicité de provocation à la discrimination, dix ans après la publication d'un "Guide de l'Élu FN" prônant la "priorité nationale" pour les logements sociaux.
Il aura fallu dix ans pour que le procès de la "préférence nationale" ait lieu. Après plusieurs reports, l'audience n'aura duré qu'une journée au tribunal correctionnel de Nanterre ce mardi 18 juin 2024. Et cette fois-ci, le procès tombe en pleine campagne des législatives anticipées après l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale par le président de la République, Emmanuel Macron.
Aucun des prévenus ne s'est déplacé au tribunal. "Nos avocats devaient plaider le renvoi, je me suis déjà déplacée deux fois", Sophie Montel justifie ainsi son absence. La Bisontine n'a plus de mandat politique depuis 2021 et elle a quitté en 2017 le FN, devenu ensuite le Rassemblement National. Sophie Montel a été députée européenne et conseillère régionale en Bourgogne-Franche-Comté.
Plainte pour incitation à la discrimination
C'est la quatrième fois que les parties étaient convoquées pour ce procès qui fait suite à une plainte pour incitation à la discrimination déposée par "La maison des potes". L'association lutte contre le racisme et les discriminations. Elle avait porté plainte en 2014 contre des responsables du Front National pour avoir incité les élus FN à pratiquer la "préférence nationale" dans les attributions de logement en publiant le "Petit guide pratique de l'élu municipal Front national" lors de la campagne des municipales de 2014.
Il y aurait pu avoir de nouveau un renvoi de nouveau à la demande des prévenus sous prétexte que "cette idée (celle de la "priorité nationale", ndlr) est soumise au vote de millions d'électeurs français", mais le tribunal de Nanterre a rejeté en début d'audience ce report.
Le "tribunal estime qu'un nouveau renvoi nuirait davantage à l'œuvre de justice", a tranché le président du tribunal en référence aux précédents renvois de cette affaire.
Un guide pour des élus FN
Quel est le rôle de Sophie Montel dans la rédaction dans ce guide ? En 2014, la Franc-Comtoise est secrétaire nationale aux élus du Front National. Dans le cadre des élections municipales, le parti de Marine Le Pen veut publier un guide de l'élu. C'est Sophie Montel qui sera chargée de la rédaction de ce guide.
En 2014, le parti d'extrême droite conquiert plus d'une dizaine de mairies en France dont celle d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) remportée par Steeve Briois. Comme Sophie Montel, le maire est poursuivi pour complicité de provocation à la discrimination. Le tribunal de Nanterre a requis pour ses deux cadres six mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende.
Autre prévenue, Marie-Thérèse Costa-Fesenbeck (actuelle adjointe au maire de Perpignan) est soupçonnée d'avoir mis le document en ligne sur le site internet de la fédération des Pyrénées-Orientales du FN. Le procureur a requis une amende de 10 000 euros. Un quatrième prévenu, l'ancien eurodéputé RN Jean-François Jalkh, devrait comparaître pour "provocation publique à la discrimination" en tant que directeur des publications du FN, mais pour des raisons de santé, il n'a pas été convoqué.
Dans ce document édité avant les municipales de mars 2014, le FN recommandait à ses candidats "l'application des nombreux points du programme Front national", dont "la priorité nationale dans l'accès aux logements sociaux".
La "préférence nationale" appliquée aux logements sociaux est mentionnée par le Front national depuis 1985 précise Sophie Montel. Selon elle, "il s'agit de la liberté d'expression de l'opposition. C'est un débat d'idées politiques et publiques" affirme-t-elle comme ligne de défense. Un point de vue partagé avec les autres prévenus.
6 mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende requis contre @SteeveBriois pour avoir défendu la priorité nationale. Il a tout notre soutien !
— Jordan Bardella (@J_Bardella) June 18, 2024
Une grave atteinte à la liberté d'expression à propos d'une mesure de bon sens, largement plébiscitée par les Français.
L'ancienne élue du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté estime que la réquisition du procureur de Nanterre est "surréaliste". "Pourquoi est-ce une incitation alors que vous ne l'appliquez pas ?" rétorque-t-elle. Selon l'ancienne élue, ce guide s'adressait à des élus de l'opposition dans les conseils municipaux. Mais, à cette époque, plus d'une dizaine de mairies en France étaient dirigées par l'extrême droite.
"Instruction aux élus" ou "liberté d'expression" ?
Pour sa défense, Sophie Montel estime que l'application de la "préférence nationale" nécessite une modification de la Constitution, d'où cette ligne de défense de la liberté d'expression. Selon nos lois françaises, la "préférence nationale" n'est pas applicable à l'attribution des logements sociaux, le Conseil constitutionnel l'a rappelé en janvier 2024.
Un point de vue balayé par le procureur de la République. "On a une incitation claire à commettre cette distinction (entre Français et étrangers), ce sont des instructions qui sont carrément données aux élus", a estimé le ministère public lors de ses réquisitions, face à une salle pleine à craquer.
"Les politiciens devraient être particulièrement attentifs à la défense de la démocratie et de ses principes", a ajouté le procureur.
Les parties civiles réfutent également l'argumentaire mis en avant par Sophie Montel : "nous avons un titre, "guide pratique", on n'est pas dans le théorique", a plaidé l'un des avocats de l'association de La Maison des potes, Me Jérôme Karsenti, d'après les propos recueillis par l'AFP. "On sait bien que derrière les mots il y a une réalité", a-t-il tancé, "les étrangers sont visés, les immigrés sont visés, et tous ceux qui n'ont pas l'apparence de ceux que [les prévenus] considèrent comme Français".
"On ne peut pas utiliser (la liberté d'expression) pour détruire les autres droits", a fait valoir Me Slim Ben Achour, autre conseil de La Maison des Potes.
"Effectuer une différence de traitement à raison de la nation, de l’origine ou de la race dans l’attribution de logements sociaux est une discrimination raciale" selon le jugement du Tribunal de Grande instance de Saint-Etienne, rappelle La Maison des Potes.
Le tribunal de Nanterre rendra sa décision le 3 septembre.