En 2018, neuf anciennes étudiantes et un ancien étudiant du DEUST de théâtre de Besançon se portent partie civile et accusent leur ancien professeur de théâtre de violences sexuelles. Le documentaire "Les menteuses" se penche sur leur reconstruction au travers de la création d'une pièce de théâtre, Métanoïa.
En 2018, plus de trente témoignages pour agressions et harcèlement sexuel ont été envoyés au tribunal de Besançon concernant Guillaume Dujardin. Dix plaintes ont été retenues : neuf anciennes étudiantes et un ancien étudiant du DEUST de théâtre à Besançon se portent partie civile et accusent leur ancien professeur de théâtre de violences sexuelles. De nombreux articles ont couvert toute la procédure judiciaire, du procès à l’appel, jusqu’au verdict. Mais ce qui importe le plus dans le documentaire Les menteuses de Sylvaine Faligant, ce n’est pas Guillaume Dujardin, condamné à quatre ans de prison dont deux ferme. C’est Marion, Sarah, Adrien, Pauline, Elsa, Karine, Zélie, et toutes les personnes dont la vie a été chamboulée.
Aller de l'avant, mais comment ?
Le courage est le fil d’Ariane de ce groupe d’amies, qui contre vents et marées se bat pour faire entendre la vérité. Mais comment se reconstruire et avancer quand les étapes d’un procès ramènent toujours les plaignantes dans le passé ? La force puisée par chacune pour amener le metteur en scène face à la justice n’empêche pas le doute, la peur et la remise en question du bienfondé de cette action tant elle est douloureuse. Comme lorsque la partie adverse utilise le terme de " menteuses" lors du procès. Le procureur Etienne Manteaux explique : " Cette notion de harcèlement et plus spécifiquement de chantage sexuel était une infraction tout à fait inhabituellement poursuivie, et c’est là aussi très satisfaisant de voir qu’on est en capacité d’évoluer pour pouvoir appréhender tous les comportements sexistes, avilissants, humiliants." Mais l’objet de cette procédure résonne bien plus au-delà des remparts de Besançon. Elle fait la démonstration de l’emprise, et doit faire figure pour tous les jeunes qui évoluent dans le milieu du théâtre et qui ont un pédagogue " qui se comporte aussi mal".
On ne vous a pas mis de couteau sous la gorge mais c’était exactement la même chose. Sauf que c’est plus compliqué à démontrer.
Maître Anne Lasalle, avocate
Essayer de se reconstruire ensemble
Leur passion pour la scène fait le lien entre chacune, mais les éloigne aussi. Concilier l’amour de l’art quand c’est au travers de celui-ci que des évènements traumatisants ont eu lieu ne vient pas aisément. Car l’après, c’est aussi celles qui ont voulu arrêter le théâtre, attenter à leurs jours, et se faire du mal. Alors pour se reconstruire et ne pas se laisser définir par la douleur, elles décident de laisser rentrer la lumière par leurs plaies, et d’écrire une pièce de théâtre ensemble. En séance de travail, Karine rappelle qu'elle a décidé que " le théâtre ne sera plus souffrance", mais indique également : " je n'ai pas non plus signé pour faire une thérapie avec mes cinq copines." Se remettre à la création a un prix, celui de voir remonter la colère, la rancœur et l'angoisse. Chacune ne traverse pas les épreuves de la même manière et au même rythme. La troupe d’amies se retrouve pour écrire, et progressivement, construire le terreau dans lequel va pouvoir s’établir Métanoïa, une pièce de théâtre sur la sororité. En instaurant un dialogue entre le vécu et l’imaginaire, c'est une tentative de reconstruction qui éclot.
Je suis plus forte que la tempête. Je crois que la tempête c’est moi.
Zélie Gillet, en atelier d'écriture
Dans leur interprétation, elles s'autorisent à aller dans l'émotion qu’on ne leur a pas autorisé à avoir. Mais au fil de ce cheminement pour aller de l'avant, le passé se rappelle à elles. Leur agresseur a fait appel, une étape de plus à encaisser. Mais le verdict est encore plus sévère qu’en première instance : quatre ans de prison dont deux ferme, associés à une interdiction d’enseigner et de mettre en scène à vie. Adrien, plaignant, souligne la difficulté de toutes ces étapes : " Pour moi l’appel a été beaucoup plus dur que la première instance, même si elle avait été compliquée. À l’appel, on avait tous fait beaucoup de chemin, on avait passé une fois ça [lors du procès], puis il faut retourner là-dedans et réentendre. C’est vraiment un truc, réentendre tout ça, les termes menteur, menteuses. "
Faire preuve de courage pour soi et pour les autres
Après des années de procédure judiciaire, la justice reconnaît les faits. Mais les regrets restent, concernant les infractions d’agression sexuelles aggravées : " Les infractions d’agression sexuelle, le problème c’est que t’es seul avec la personne. Les chantages sexuels, vous êtes à 10, ça corrobore, alors que là, c'est une parole contre l’autre et dans le doute on relaxe. »
Marion, Sarah, Adrien, Pauline, Elsa, Karine, Zélie, et toutes les personnes dont la vie a été chamboulée ont eu le courage de parler. Cette troupe a créé un séisme dans le monde du théâtre, et a prouvé que le bourreau peut également être le professeur admiré et reconnu. Elles ont illustré la sororité, en étant celles qui se soutiennent et se portent à bout de bras pour avancer, en le faisant pour elles, et effet de ricochet pour tous les étudiants. Elles n'avaient rien à y gagner, au contraire, mais elles ont contribué à fissurer un peu plus cette chape de plomb sur les violences sexuelles. Aujourd'hui, ce n'est pas seulement aux victimes d'avoir le courage de parler, mais à la société d'entendre ce qu'elles ont à dire.
Les menteuses, un film de Sylvaine Faligant
Une coproduction France Télévisions et Zadig Productions
Diffusion jeudi 2 novembre à 22h50
⇒ Disponible dès à présent sur France.tv