Témoignages. Avortement : "C'était un moment très fort, très difficile"... des femmes nous racontent le jour où elles ont avorté

Publié le Écrit par Sarah Rebouh
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Le 28 septembre est la journée mondiale pour le droit à l’avortement. Des Franc-Comtoises, directement concernées puisqu'ayant avorté un jour dans leur vie, nous livrent des témoignages poignants. Détails.

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Alors que le droit à l'avortement est remis en question aux Etats-Unis et malmené dans plusieurs autres pays comme la Hongrie ou même l'Italie, nous avons recueilli les témoignages d'une dizaine de femmes de Franche-Comté ayant fait ce choix, pour des raisons diverses, suite à des parcours de vie différents. Toutes s'accordent à dire que le droit à l'IVG est un droit fondamental qui doit être sauvegardé. 

Juliette*, une Franc-Comtoise approchant de la quarantaine, a avorté deux fois par le passé. Ses deux avortements, l'un sous anesthésie générale et l'autre sous anesthésie locale, ont été "particulièrement difficiles" pour cette femme qui a "toujours rêvé de devenir maman". "Je considère un fœtus comme une vie, et j'ai ôté deux vies. Mon coeur restera marqué à vie par ce que j'ai fait et la manière dont ça s'est passé" explique-t-elle, sans vouloir parler pour autant de regret. Son premier avortement, en 2016, se produit à la suite d'un "oubli de pilule". "C'était un moment très fort, très difficile. Je ne faisais que pleurer" se souvient-elle. L'homme duquel elle est enceinte est alors catégorique. Il ne veut pas d'enfant et ne l'accompagne à aucun rendez-vous, "malgré [sa] détresse".

Son deuxième avortement se produit en 2020. Elle tombe enceinte alors qu'elle prend la pilule. "Le plus dur dans les deux cas a été de prendre la décision. Quand je regarde mon bébé qui dort contre moi, c'est parfois difficile de penser à eux/elles", précise Juliette*, devenue maman fin 2021. "Il me semble important de sauvegarder le droit à l'avortement, mais il faut aussi sensibiliser les jeunes sur l'importance de la vie. Je trouve aussi que le passage chez un psychologue avant et après l'avortement devrait être obligatoire", conclut-elle.

"Pour moi, je n'ai tué personne"

"J'étais enceinte d'un mois et demi. Pour moi, je n'ai tué personne. Je ne regrette pas, car cet enfant n'aurait pas eu de père... L'homme avec qui j'étais n'était pas stable et j'étais trop jeune" nous écrit quant à elle Patricia*, aujourd'hui âgée de 52 ans. Elle n'a que 19 ans lorsqu'elle décide seule d'avorter à Besançon. Elle nous confie des souvenirs extrêmement douloureux remontant à 1989. "Le gynécologue qui m'a avortée était un bourreau. J'ai beaucoup pleuré pendant l'avortement, tellement c'était douloureux. Et après psychologiquement aussi"

Un avortement traumatisant, c'est aussi ce qu'a vécu Clémentine*, 41 ans, aujourd'hui mère de deux enfants de 7 et 13 ans. Elle avorte une première fois en 2002 à Vesoul, en anesthésie locale, après avoir oublié sa pilule. "C'était le cabinet des horreurs. C'est ce que j'ai pu connaître de pire, se remémore-t-elle. J'avais l'impression qu'ils essayaient de me faire payer ma décision. Ils m'ont dit qu'il y avait un grand risque que je ne puisse plus jamais avoir d'enfant. L'anesthésie locale, ça a été horrible. J'ai eu une douleur indescriptible. Je me sentais partir."

"On m'a finalement dit que j'étais hyperfertile"

L'année suivante, elle retombe enceinte. Au total, Clémentine avorte 5 fois en 10 ans, et utilise de nombreuses pilules du lendemain. La dernière fois qu'elle tombe enceinte et qu'elle avorte, en 2017, elle porte pourtant un anneau vaginal. Les deux fois d'avant, elle est sous pilule. Selon elle, la prise en charge est différente d'un établissement à l'autre, mais globalement, la situation s'est améliorée au fil des années.

"On m'a finalement dit que j'étais hyperfertile. On m'a expliqué que je pouvais produire plusieurs ovules ou ovuler plusieurs fois pendant un seul cycle", précise-t-elle. L'hyperfertilité est peu connue mais peut placer les femmes qui en sont sujettes dans une véritable détresse psychologique

Clémentine* explique qu'elle a également un stock de tests de grossesse. Cette charge mentale l'accompagne dans tous ses rapports sexuels : "Tu n'es jamais tranquille. Même pendant l'acte, c'est quasi la seule chose à laquelle tu penses. C'est comme la loterie. Même quand je serai ménopausée, j'aurai encore le doute". 

"Cela me révolte, infiniment"

Nath, 55 ans, a avorté en 2013 à Montbéliard, après être tombée enceinte contre sa volonté. Elle a alors déjà 3 enfants. Ces trois grossesses avaient été "boostées" en raison de sa difficulté à tomber enceinte à l'époque. "Je ne supportais plus mon stérilet et mon gynécologue m'avait préconisé de l'enlever et de ne rien prendre car il n'y avait aucun risque que je tombe enceinte. Un jour, j'ai eu des nausées et je suis allée au laboratoire. On m'a annoncé que j'étais enceinte. Quelle surprise...", nous explique la Franc-Comtoise. "Il m'était impossible de le garder", dit-elle, précisant que cela a été très difficile psychologiquement,  d'autant qu'il s'agissait de sa première grossesse naturelle. Selon elle, sauvegarder le droit à l'avortement est également ô combien important.

L'avortement, c'est aussi le choix qu'a fait Salomé*, une Franc-Comtoise alors âgée de 27 ans au moment des faits. Pour elle, cela a sonné "comme une évidence". Elle n'en a parlé à personne. "Je sortais avec un jeune homme depuis 2 mois et demi quand j'ai commencé à avoir des soupçons sur une éventuelle grossesse. Il a mis fin à notre relation 2 jours avant que je ne découvre que j'étais enceinte...", nous raconte-t-elle. C'est à son domicile qu'elle a avorté, de manière médicamenteuse.

"J'ai beaucoup pleuré avant et après, parce que j'avais honte, à 27 ans, d'être tombée enceinte sans être capable d'être mère", poursuit la Franc-Comtoise. Les discours qu'elle a essuyés de la part des soignants qu'elle a rencontrés n'ont pas facilité les choses. Elle se souvient de cette infirmière qui lui a clairement dit qu'elle "devrait avoir honte de vouloir avorter" ou de ce médecin qui lui "a gentiment fait comprendre que c'était irresponsable de ne pas se protéger et d'avorter ensuite". Salomé* et son partenaire de l'époque pratiquaient "le retrait", "une mauvaise solution" selon elle. Elle soutient farouchement le droit à l'avortement pour toutes. "Pour moi, une femme est libre de ses choix, d'autant plus quand il s'agit de son corps. Il n'y a pas de débat là-dessus, point."

Le fait que le droit à l'avortement puisse être remis en cause me fait peur... Cela me révolte aussi, infiniment.

Salomé*

Cette crainte est partagée par Hélène*, qui a avorté dans de bonnes conditions, "sans aucun jugement" alors qu'elle avait 17 ans, en 1986 à Vesoul. Le fait que le droit à l'avortement recule dans certains pays lui "fait mal". "Il y aura des enfants non désirés. C'est devenu viral, les extrémismes, les religions, même au plus près de nous... La condition des femmes devient la même qu'au siècle dernier" nous écrit-elle. 

Une "menace" pour "l'autodétermination de millions de personnes"

Dernier témoignage, celui d'Aurélie*. Elle a 20 ans lorsqu'elle décide d'avorter, en accord avec son compagnon de l'époque qui la soutient dans cette démarche. "Je ne le souhaite à personne, mais n'éprouve aucun regret et si c'était à refaire, je le referais. Cet avortement a sauvé ma vie" nous dit-elle. Elle est "déconcertée et dépassée" par certains débats nauséabonds entourant l'avortement en France et par les tentatives d'atteintes ou suppression de ce droit dans d'autres pays du monde. 

"Les débats se font le plus souvent entre des personnes du genre masculin, ayant plus de la cinquantaine, de droite ou tout simplement réactionnaires. Ils ne vivront jamais ce choix sur leur propre corps et menacent l'autodétermination de millions de personnes" explique la trentenaire. Selon elle, avec la question de l'avortement se pose celle de la prise en charge de la contraception. "Dans la grande majorité des cas, la responsabilité de la méthode de contraception revient à la personne qui a un utérus. Il existe des moyens de contraception pour les hommes, mais ils sont peu nombreux et peu d'hommes font cette démarche". 

Et de conclure : "De plus, l'histoire a déjà démontré qu'interdire l'avortement n'arrête pas les avortements. Cette interdiction rend simplement l'avortement plus dangereux et plus risqué". Selon l'Organisation Mondiale de la Santé, chaque année, 4,7 % à 13,2 % des décès maternels peuvent être attribués à un avortement non sécurisé. Dans les régions développées, on estime que pour 100 000 avortements non sécurisés, 30 femmes meurent. Dans les régions en développement, ce nombre s’élève à 220 décès pour 100 000 avortements non sécurisés. 

L'avortement est un droit fondamental et essentiel. Quelle que soit la motivation de cet acte, il en revient à la personne de choisir. Il n'y a aucun point à débattre. Si ce n'est pas ta vie, si ce n'est pas ton corps, cela ne te concerne pas.

Aurélie*

Environ 6500 avortements chaque année en Bourgogne-Franche-Comté

En Bourgogne-Franche-Comté, environ 6500 avortements ont lieu chaque année. Ce chiffre est à peu près stable depuis 10 ans, excepté une légère augmentation en 2019 avant une nouvelle baisse en 2020, en plein contexte épidémique lié au Covid-19. 

En France, l’IVG a été temporairement autorisée par la loi du 17 janvier 1975 dite loi Veil, reconduite en 1979, puis définitivement légalisée le 1er janvier 1980, et remboursée par la Sécurité sociale à 70 % depuis la loi du 31 décembre 1982 (loi Roudy). Depuis le 31 mars 2013, l’IVG est prise en charge à 100 % par l’Assurance maladie, et tous les actes nécessaires pour une IVG sont remboursés à 100 % à partir du 1er avril 2016. La loi de modernisation de notre système de santé promulguée le 27 janvier 2016 a supprimé le délai de réflexion obligatoire de sept jours entre la première et la deuxième consultation pour obtenir une IVG.

* Les prénoms ont été changés pour respecter l'anonymat de nos interlocutrices.

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