Alzheimer : "faire face au deuil d’une personne qui vit encore", des formations pour aider les aidants familiaux

À l’occasion de la journée internationale de la maladie d’Alzheimer, ce jeudi 21 septembre, zoom sur le rôle des aidants familiaux qui déploient de nombreux efforts pour prendre soin de leur proche. Souvent éprouvés, l’association France Alzheimer propose cette année encore des formations pour répondre à leurs besoins spécifiques.

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1,2 million de personnes sont atteintes par Alzheimer ou une maladie apparentée en 2023. En incluant les aidants, plus de 3 millions de personnes seraient concernées par cette maladie neurodégénérative. Lundi 18 septembre, débutait une formation de France Alzheimer Doubs à destination des conjoints, conjointes, enfants ou membres de la famille proche qui s’occupent d’une personne malade, plus communément appelés aidants familiaux. 

En apprendre plus sur la maladie d’Alzheimer et ses maladies apparentées, connaître les aides possibles (congé proche aidant, allocation journalière du proche aidant) ou bien comment communiquer avec le malade, le comprendre et l’accompagner au quotidien… Autant de thématiques abordées sur plusieurs semaines lors de ces cinq demi-journées de formation. “C’est un rôle d’information et d’écoute. C’est important que l’on informe les gens que l’on peut être à disposition pour les aider, car ils sont en grande souffrance en voyant la dégradation de leur proche”, souligne Edith Trocmé, secrétaire de la branche départementale Doubs de France Alzheimer, créée en 1993 pour accompagner les aidants. 

De l’aide pour surmonter les difficultés 

Un rôle à part entière que connaît bien Edith Trocmé, puisqu’elle a pris soin de sa mère pendant plusieurs années avant d’assister à cette même formation, qui existe depuis de nombreuses années et qu’elle anime aujourd’hui, en binôme avec une psychologue. Financée par la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), elle est organisée à Doubs, dans le département du même nom. D’autres formations sont d’ores et déjà prévues et peuvent même être envisagées dans tout le département du Doubs en fonction de la demande, tandis que les inscriptions pour celle de Besançon, du 6 novembre au 18 décembre, sont ouvertes. 

“C’est une chance d’avoir des éléments de compréhension de professionnels, de tierces personnes et des explications tangibles pour comprendre scientifiquement ce qui se joue."

Corine Jouanny, aidante

Parmi les huit participants de cette session débutée cette semaine à l’Ehpad du Larmont, à Doubs, se trouvait Corine Jouanny, 54 ans. Inscrite suite à la recommandation d’une professionnelle de santé qui suit son père, atteint de la maladie d’Alzheimer, cette franc-comtoise qui “n’arrivait pas à apaiser [son] chagrin”, a déjà la sensation, au lendemain des trois premières heures, d’avoir passé un cap : “C’est une chance d’avoir des éléments de compréhension de professionnels, de tierces personnes et des explications tangibles pour comprendre scientifiquement ce qui se joue”, se réjouit-elle en citant notamment le visionnage d’un court métrage explicatif sur le fonctionnement d’un cerveau atteint par Alzheimer. 

Faire face aux troubles comportementaux

La spécificité étant que le malade n’a pas toujours conscience de ses troubles comportementaux et de ses pertes de mémoire, comme le souligne Edith Trocmé, la formatrice : “Le plus souvent, la personne ne comprend pas ce qui lui arrive. Elle n’est plus dans notre réalité.” Un constat corroboré par Corine Jouanny qui se souvient notamment d’une nuit où elle a été réveillée à 4 heures du matin par son père. Il avait ouvert la porte de sa chambre en pensant qu’il s’agissait des toilettes, mais il portait sa veste et s’était rendu sur la place du marché en voiture, avant de rentrer, déçu qu’il ait été annulé. “Il me disait qu’il n’était pas idiot et qu’il savait lire l’heure, mais il était resté sur le fait qu’il n’y aurait pas de marché”, raconte Corine, actuellement en invalidité pour s’occuper de sa fille en situation de handicap.

Outre cet épisode, l’ancienne travailleuse sociale décrit un père agité, qui s’était mis à fouiller partout, à brûler des papiers ou à déambuler de 3 heures à 6 heures du matin. Il se trompait de route ou ne finissait plus ses phrases… “C’était un grand désordre mental qui se transformait en désordre dans les actes”, analyse-t-elle. Malgré ce décalage avec la réalité, une personne atteinte d’Alzheimer n’en reste pas moins un personne à part entière, avec des émotions. “Si vous les recadrez, vous risquez de provoquer énormément d’angoisse, de repli ou d’agressivité”, prévient Edit Trocmé. 

Un emploi à part entière

Là est toute la difficulté pour un aidant qui doit apprendre à communiquer de manière adaptée tout en faisant face à la pression et l’énervement qui peuvent survenir, quand 47% des aidants consacrent au moins 1h par jour à leur rôle d’aidant, selon l’enquête menée par l’organisme d'orientation en maison de retraite et EHPAD Retraite Plus. “Lorsque vous vivez avec la personne, vous finissez par être aidant le jour et la nuit, décrit Edith Trocmé. C’est épuisant car c’est une prise en charge 24h sur 24.”

Selon le stade de la pathologie, il devient alors compliqué de continuer à avoir une vie sociale, manger au restaurant ou même aller faire les courses car il n’est plus possible de laisser le malade tout seul. “Sortir est compliqué. Les gens ont tendance à s’enfermer et finissent pas être coupés de l’extérieur”, décrit Edith Trocmé. 

“Lorsque vous vivez avec la personne, vous finissez par être aidant le jour et la nuit. C’est épuisant car c’est une prise en charge 24h sur 24.”

Edith Trocmé

L’isolement se traduit également dans l’absence d’échanges, ce que permet notamment de contrer la formation, comme le souligne Edith Trocmé : “Les aidants ne vivent pas la même chose mais ils ont tous une souffrance importante. Tous ont besoin d’en parler et de se sentir compris, c’est évident”, insiste celle qui est membre depuis neuf ans de l’association France Alzheimer Doubs, qui organise également des activités afin de “créer une ouverture dans la société” : des journées de convivialité à la maison du fromage ou de la gymnastique aquatique pour les aidants et des cafés mémoire à Montbéliard. Pour Corine, cela donne naissance à “quelque chose de tacite qui se soude et s’installe entre les participants”.

Des vécus émotionnels forts

Un partage d’expérience d’autant plus important que l’aidant devient à la fois le témoin de la maladie qui évolue et le témoin de la perte d’un proche. Corine Jouanny fait référence à ce moment marquant où elle a proposé à son père, champion de Scrabble®, de jouer au célèbre jeu de société : “J’ai vu qu’il n’était plus capable de former des mots, à part des conjonctions, et il les plaçait n’importe où. Il était si bon. J’en pleurais dedans. Là j’ai pris une très très grosse claque émotionnelle”, raconte-t-elle, émue à l’évocation de ce souvenir. Elle cite ensuite une phrase entendue d’une professionnelle qui résume parfaitement son ressenti : “Vous vous trouvez dans une situation où vous devez faire le deuil d’une personne qui vit encore.”

“Vous vous trouvez dans une situation où vous devez faire le deuil d’une personne qui vit encore.”

Professionnelle de santé

Il n’est ainsi pas étonnant qu’une boîte de mouchoirs circule entre les aidants présents à la formation de France Alzheimer, qui se retrouvent, selon les mots de Corine, dans une “marmite émotionnelle” de laquelle elle a su tirer profit : “Je n’imaginais pas pouvoir me délivrer de ma charge mentale, mais maintenant je réalise que ces séances vont me permettre de me libérer. C’est ce que j’ai commencé à ressentir et je ne sais pas si j’aurais pu sans cela”, témoigne-t-elle. 

Le déni à l'épreuve de l'aggravation 

La formation peut également créer une prise de conscience de ce qu’il se passe au quotidien, tant la maladie d’Alzheimer est insidieuse. Pour Corine, il s’agissait de petits constats qui arrivaient année après année mais qu’elle n’a su que tardivement, environ cinq ans après les premiers signes, quand la compagne de son père lui a demandé de venir le garder durant une semaine de vacances car elle était inquiète à l’idée de le laisser seule. “J’ai découvert à la première séance de la formation qu’il est normal, notamment pour les conjoints, de vivre du déni. C’est une protection inconsciente de soi-même parce que c’est tellement violent qu’on colmate toutes les brèches”, explique-t-elle en réutilisant les apprentissages transmis par Edith Trocmé et la psychologue présente. 

Rétrospectivement, Corine a également réalisé que son entourage s’était aperçu de petites choses, sans que personne ne dise rien. Un silence qui s’explique par un mélange entre une recherche de rationalité pour se rassurer, d’omerta et de l’évolution par paliers de la pathologie, comme l’explique Edith Trocmé : “Tout se fait par étape. Les changements ont un fort impact sur l'aggravation. À chaque évolution, c’est une dégringolade. Et tout d’un coup la personne ne va plus être capable de faire sa toilette.”

Elle conseille ainsi de passer ce cap, d’oser demander de l’aide ou de placer la personne dans un établissement spécialisé. “Quand c’est le début de la maladie on n’a pas envie de parler de l’entrée en institution, mais quand l’aidant est épuisé, ça devient nécessaire”, tient-elle à rappeler.

Préparer la suite

C’est la décision qu’a décidé de prendre Corine en accompagnant son père dans une transition vers l’Ehpad. Étant la seule des participants de la formation à être arrivée à ce stade, elle a ainsi souhaité apporter son témoignage aux autres : “J’ai expliqué que pour beaucoup, placer la personne c’est l’abandonner. On ne peut pas faire l’économie de passer par ce sentiment, mais il souffre beaucoup moins avec des professionnels. L’intervention d’un tiers adoucit les choses”, rapporte-t-elle. Quant à Edith Trocmé, la pluralité de témoignages permet selon elle de “préparer les autres, de voir que le placement peut bien se passer et de prendre une décision.”

À présent, Corine se rend plusieurs fois par semaine aux côtés de son père, placé dans un Ehpad du Haut-Doubs en décembre 2022. “Juste avant, j’ai eu la chance d’avoir des échanges sur le passé lointain. C’était la dernière fois qu’une telle conversation a été possible”, regrette celle qui chercher à déménager plus près de l’établissement, dans la région de Pontarlier, pour lui éviter les 1h30 de route qui la sépare de son père, le tout dans l’optique de maintenir un lien et des stimuli pour retarder ce qu’elle craint le plus : qu’il ne la reconnaisse plus, ce qu’elle évoque avec beaucoup d’émotions : “Je sais qu’un jour il ne va plus me reconnaître, alors je fais tout ce que je peux pour le voir tant qu’il me reconnaît.”

Renseignements complémentaires et inscription : France Alzheimer Doubs, 2 rue Kepler à Besançon, téléphone : 03 81 88 00 59 ou au francealzheimer.doubs@orange.fr

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