Comment parvenir à une agriculture respectueuse de l’environnement et à une alimentation saine pour tous ? Des solutions existent et elles sont débattues au salon de l’agriculture de Paris. Cette volonté de construire une agriculture “durable et citoyenne” est affichée par différents exposants qui, paradoxalement, ne travaillent pas ensemble. “On se connaît, on se côtoie mais on parle de modèles agricoles différents” admet Mathieu Courgeau, président de “Pour une autre Pac”.
Il n’y a pas que les taureaux, chevaux et brebis qui circulent dans les allées du salon de l’agriculture. Les idées, elles aussi, tiennent le haut du pavé. Les slogans s’affichent sur les stands du pavillon 4, celui réservé aux institutionnels. Une certitude, tous s’accordent sur l’urgence de la transition agroécologique. Mais il semblerait qu’un monde sépare les différents acteurs de cette transition.
La campagne présidentielle s’invite au Salon
Il suffit de repérer une nuée de micros, smartphones et caméras pour apercevoir un candidat à l’élection présidentielle en campagne dans les allées du Salon de l’agriculture. Les représentants de la France Insoumise, Yannick Jadot (EELV) ou Anne Hidalgo (PS) sont déjà passés ou passeront sur le stand du tout nouveau collectif “Nous produisons, nous mangeons, nous décidons !”.
Pendant que le communiste Fabien Roussel focalise l’attention des journalistes, la conférence de presse de “l’autre voix du monde agricole” commence ce lundi matin du 28 février devant une poignée de médias.
Côte à côte, Clotilde Bato et Mathieu Courgeau, les deux porte-parole de “Nous produisons, nous mangeons, nous décidons” veulent “sortir du bla-bla" et “délivrer un message d’espoir”. L’un comme l’autre sont des militants engagés depuis plusieurs années pour une autre agriculture, celle proche du syndicat agricole La Confédération paysanne ou du mouvement “Pour une autre Pac”. Des stands posés au parc des expositions comme des îlots de résistance dans l'océan-salon, vitrine de l'industrie agro-alimentaire.
L’idée de ce nouveau collectif composé de 36 organisations est d’associer un peu plus les citoyens, leur permettre de mieux faire le lien “avec ce que l’on mange trois fois par jour”, le tout sur fond de campagne électorale.
Une autre agriculture est possible”
Le duo plante le décor : “le monde agricole va de crise en crise, il faut des mesures concrètes pour installer des paysans”. Un message qui cible particulièrement les politiques.
“Pendant le quinquennat Macron, le monde paysan a continué de sombrer : le nombre de fermes et de paysans a diminué drastiquement, le droit des citoyens à une alimentation choisie et de qualité a été bafoué et le modèle agro-industriel actuel a continué de peser sur le climat, la biodiversité, les animaux d’élevage et les agricultures des pays du Sud”.
collectif Nous produisons Nous mangeons Nous décidons
D'où leur volonté de rencontrer les candidats à la Présidentielle et plus tard, aux législatives. “On est la voix silencieuse. on représente les agriculteurs qui protègent la planète, c’est important que les politiques entendent cette voix silencieuse”. Membre de ce collectif, la Confédération paysanne, dénonce régulièrement “la PAC de l’immobilisme”.
Quelques jours plus tôt, nous avions justement rencontré les porte-parole de Bourgogne et de Franche-Comté de ce syndicat agricole qui demeure minoritaire dans les instances de la profession agricole. Dans un an, les pays membre de l’Union Européenne s’apprêtent à appliquer une nouvelle PAC, Politique Agricole Commune. “Elle ne répond en rien aux enjeux agricoles de productions diversifiées de protection de l’environnement, de biodiversité et aux attentes de la population pour la vie des territoires” rappelle Denis Perreau, secrétaire national de la Confédération Paysanne et agriculteur bio en Côte d’or. “Aujourd’hui, on est clairement le poil à gratter du modèle agricole libéral” affirme Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération Paysanne, et paysan dans le Jura.
Quel place pour le duo digital-durable ?
La politique menée par les différents ministres de l’Agriculture du président Emmanuel Macron déçoit ces militants engagés pour une autre agriculture plus impliquée dans la transition agro-écologique. Le collectif vient de signer une tribune dans Le Monde pour affirmer l’urgence de changer de politique agricole.
“Emmanuel Macron, par le biais de son ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, fait la promotion frénétique du triptyque « génétique, numérique, robotique », qu’il présente comme la planche de salut de l’agriculture. Mais à part servir les intérêts des entreprises qui produisent ces technologies, cette nouvelle fuite en avant technologique accroît la dépendance des agriculteurs à ces entreprises, aggravera leur endettement et ne contribuera pas à réduire les émissions de gaz à effet de serre, ni l’érosion de la biodiversité ni la dépendance aux importations”.
Collectif pour une Tribune dans Le Monde
La Ferme Digitale est en quelque sorte le héraut de ce triptyque “génétique, numérique, robotique”. Son immense espace est à deux pas du modeste stand du collectif “Nous produisons, nous mangeons, nous décidons”. On perçoit clairement la différence de moyens.
La sobriété heureuse revendiquée par les défenseurs des fermes à taille humaine, contraste avec la logistique de cette autre association présentant 50 exposants sur son stand du Salon. L’objectif de la ferme digitale est de “promouvoir l’innovation et le numérique pour une agriculture performante, durable et citoyenne”. Ici aussi, les exposants croient en la nécessaire conversion de l’agriculture vers des pratiques respectueuses de l’environnement et une alimentation saine pour tous.
De la fourche à la fourchette : un slogan, deux méthodes Réduire le gaspillage alimentaire, développer l’agroécologie, favoriser les filières courtes... C’est aussi l’ambition des 80 entreprises membres de l’association La Ferme digitale. Sont-ils en contact avec les membres du collectif “Nous produisons, nous mangeons, nous décidons” ou de la plateforme “Pour une autre PAC” ? “Nous n’avons pas de lien, admet Antoine Pulcini, vice-président de la Ferme Digitale. Nous, on défend toutes les agricultures, on innove pour renverser les modèles actuels”. Mathieu Courgeau, président de “Pour une autre PAC” confirme la cohabitation de ces deux univers tournés vers un même but.
“On se connaît, on se côtoie mais on parle de modèles agricoles différents, on s’oppose dans les réunions.”. Ces investissements dans le triptyque “génétique, numérique, robotique” implique, selon Mathieu Courgeau, une “perte d’autonomie pour les paysans et encourage l’agrandissement des exploitations”.
La transition agroécologique gagne-t-elle à l’existence de mondes parallèles mobilisés par un même idéal mais aux méthodes opposées ? “C’est justement notre objectif de remettre l’église au milieu du village. Nous voulons faire en sorte que ces acteurs coopèrent et qu’ils se parlent” assure Hermine Chombard de Lauwe, déléguée générale du CNRA, le Conseil National pour la Résilience Alimentaire. Une toute jeune association dont l’ambition, elle aussi, est de relever les défis d’une agriculture durable pour tous.
Notre ambition : former un réseau d’acteurs engagés pour la résilience alimentaire de nos territoires. Il est temps de s’organiser collectivement pour permettre à ce nouvel écosystème prometteur de se déployer, et aux futurs d’émerger.
CNRA, le Conseil National pour la Résilience Alimentaire
Est-ce une strate supplémentaire inutile ? “Personne n’a pris le temps d’avoir une vision d’ensemble” rétorque Hermine Chombard de Lauwe, présente, elle aussi, au Salon de l’Agriculture. “Nous sommes des facilitateurs, des accélérateurs” précise Hermine Chombard de Lauwe. Le CNRA s’est donné comme priorité l’action concrète et locale, en particulier pour les PAT, Projets Alimentaires Territoriaux. Des projets qui ont bien du mal prendre vie. Ils sont issus de la Loi d’avenir pour l’Agriculture dont l’objectif est justement de “relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires en soutenant l'installation d'agriculteurs, les circuits courts ou les produits locaux dans les cantines”. Une phrase que pourrait difficilement renier le collectif “Nous produisons, nous mangeons, nous décidons” mais, derrière ces mots, il y a tant de méthodes différentes pour y parvenir que les visiteurs du Hall 4 du salon de l’Agriculture peuvent avoir du mal à se repérer. Des visiteurs-consommateurs qui d'après le sondage d'OpinionWay,commandé par le SIA, déclarent avoir majoritairement "pris conscience de l'importance du travail des agriculteurs depuis la crise sanitaire".