La présence du loup provoque colère et inquiétude dans les secteurs touchés par des attaques de troupeau, notamment dans le Haut-Doubs et le Jura. Pourquoi et comment se diffuse la peur du loup ? Nous avons interrogé un sociologue spécialiste de l'agriculture.
Dans le département du Jura, à Villers-les-Bois, un agriculteur a retrouvé un de ses veaux dévoré mardi 29 novembre. Plus récemment, six brebis ont été tuées lors d'une attaque à Chantenay-Saint-Imbert (Nièvre), dans la nuit du 20 au 21 novembre, et ce malgré l'abattage de deux loups côté français dans la région Bourgogne-Franche-Comté.
La colère et l'inquiétude ne faiblissent pas du côté des agriculteurs touchés par les attaques, mais aussi du côté de certains riverains et maires des communes concernées par la présence du loup.
Des sorties touristiques nocturnes annulées
Du côté de Mouthe, dans le Haut-Doubs, des sorties touristiques nocturnes ont été annulées par précaution. Personne ne souhaite voir des promeneurs tomber nez à nez avec un grand canidé. L'un des organisateurs de ses sorties nous explique : "On a des clients qui viennent de toute la France, avec des enfants en bas âge. On est perdus au milieu des combes et du Haut-Doubs en pleine nuit. Si on se trouve nez à nez avec un loup ou une horde de loups, même s'ils ne nous attaquent pas, ça pourrait créer des trouilles". Une brochure intitulée "Que faire en cas de rencontre avec le loup ?" a également été distribuée par la préfecture du Doubs dans les communes situées au pied du Massif du Jura.
Pour rappel, en France, la dernière situation d'attaque d'un loup sur l'homme date de 1918. Il s'agissait d'un loup enragé. Les scientifiques s'accordent à dire que le loup est un animal discret et qu'il ne s'en prend pas à l'humain. "Le risque pour l’humain est nul. Le loup a le même comportement qu’un chevreuil ou un sanglier, il est craintif. Certaines bêtes n’ont d’ailleurs jamais vu d’humains de leur vie", expliquait en novembre 2022 à ActuRennes Jean-Luc Valérie, président de l’Observatoire du loup. Certains observateurs, photographes animaliers, passent d'ailleurs plusieurs années à tracer des meutes de loups dans le but de les apercevoir quelques minutes.
Une "peur ancrée" du loup
Comment expliquer cette peur viscérale du loup dans certains territoires ruraux ? Nous avons interrogé Claude Compagnone, professeur de sociologie à Institut Agro Dijon. Il fait notamment du conseil en agriculture et enseigne l’écologisation de l’agriculture. "Le loup souffle sur la maison des petits cochons. Moi j’ai lu ces contes, et ça marque l’esprit des enfants. Cela vient du XIXe siècle. C’est cette expérience passée qui nous reste. Les contes enfantins sont très efficaces pour nous structurer l’esprit", explique le sociologue.
Pourquoi le loup déchaîne des réactions extrêmement hostiles et provoque tant de colère ? Comment les agriculteurs vivent-ils au rythme des attaques sur leurs troupeaux ? Selon Claude Compagnone, "les agriculteurs, confrontés au péril de leurs animaux, du jour au lendemain, vivent une vraie rupture".
C’est une situation de crise car les repères et les critères à partir desquels on opérait antérieurement ne fonctionnent plus. Les agriculteurs vivent donc une crise.
Claude Compagnone, sociologue
Le chercheur parle d'une "peur ancrée" concernant le loup. "Historiquement, on a tous été élevés autour de cette peur des grands carnassiers qui pouvaient attaquer l’homme. L’agriculteur s’appuie sur des repères qu’il a à disposition, qui sont des repères historiques, des repères qui tiennent aussi aux mythes. Effectivement, on peut considérer que c’est une peur irrationnelle, car elle ne s’appuie pas sur des données scientifiques, mais c'est tout simplement par ce qu'on ne les a pas. C'est ce qu'on fait tous, naturellement", détaille-t-il.
Originaire de Provence-Alpes-Côte-D'azur, un territoire où la présence du loup est plus ancienne, le professeur explique qu'il a fallu du temps pour que les esprits s'apaisent et que des solutions soient mises en place. Même si évidemment, "une attaque de loup est toujours vécue douloureusement par les éleveurs". "On peut considérer que ça met au moins une dizaine d’années pour comprendre ce qu’il se passe, et commencer à savoir agir collectivement. Et puis, pour avoir une situation apaisée, je dirais qu’il faut 20 ans".