Chaque année, Joseph Bart et ses amis quittent leurs villages du Doubs pour venir passer une journée au Salon de l’agriculture de Paris. Une tradition pour ces retraités qui connaissent bien le milieu agricole. Etapes incontournables de ce périple dans la plus grande ferme du monde : les Montbéliardes et deux stands de vins de Franche-Comté et du Jura.
Pas la peine de prendre un plan pour s’orienter dans le salon, Joseph Bart connait l’organisation des pavillons comme sa poche. Cela fait 20 ans que cet habitant de Fertans vient avec son épouse Colette à la rencontre d’un monde qu’il connaît comme sa poche. “On est tous des descendants d’agriculteurs” constate Joseph qui a fait carrière dans les transports. Avec son association Le Cercle Comtois d’Animation Découverte et Organisation, C’Cado, Joseph Bart a rempli deux cars de tourisme pour cette excursion à la capitale.
Partis à trois heures du matin de Fertans, un village au pays du Comté, les visiteurs sont arrivés peu après l’ouverture à la porte de Versailles et ne repartiront qu'en fin d'après-midi. De petits groupes se forment, chacun ses envies. Gilbert et Claudine Rognon se joignent à la famille Bart. Eux, ils viennent de Gilley. Ce sont des agriculteurs à la retraite. “On a l’ennuie alors on vient voir les vaches montbéliardes et les autres races” concède avec un brin d’ironie Gilbert Rognon.
Le petit groupe s’arrête devant Neige, l’égérie du salon. Un détail n’échappe pas à l’œil averti de Gilbert Rognon. “Neige est fatiguée, on le voit parce qu’elle repose son museau sur la barre. C’est pour poser sa tête. Elle n'a pas les oreilles comme il faut. Elle en a ras-le-bol" assure l’ancien éleveur de Montbéliarde.
Les saveurs de l'enfance
Visiter le salon dans les pas de ceux qui vivent au quotidien la ruralité sans fard, c’est l’assurance de découvrir les véritables saveurs du salon de l’agriculture. Nous nous laissons guider par ces habitués. Pas d’arrêt aux stands avec animations, jeux et démonstrations, prisés par les familles et les jeunes citadins. “ Combien de mois pour la gestation d’une chèvre ?” lance un animateur aux accents de bateleur. Notre petit groupe poursuit son chemin en guettant les chèvres et les cochons.
Arpenter ces allées, c’est remonter dans l’enfance. A l’époque où les paysans mangeaient ce qu’ils produisaient. “A l’époque de mon père, raconte l’agriculteur en retraite, on avait des cochons, des poules et des lapins. Et puis, en 1975, on a modernisé l’étable, il fallait plus d’espace pour les vaches”. Quand il a repris l’exploitation en 1988, son père avait 17 vaches laitières. Au moment de prendre sa retraite, “On a installé un jeune” poursuit Gilbert Rognon. Une installation pour un départ, c’est de plus en rare dans le monde agricole mais encore possible dans le Doubs. En terre de Comté, c’est encore possible de vivre avec moins de 40 vaches laitières par exploitant.
Les Montbéliardes, nous y voilà. Il y a un monde fou dans les allées de la 2e race laitière de France. “Ce sont les bus qui viennent du Doubs” explique Marie-Claire Monnin. Sa famille présente Olga au concours de la Montbéliarde de l’après-midi. Les Bart et les Rognon sont en terre connue. Un peu comme sur la place du village. On croise le voisin, l’élue du canton, le copain d’enfance.
“C’est chez nous, on ne va quand même pas venir ici sans passer voir les Montbéliardes. C’est des bêtes de notre entourage. On vient avant midi, c’est l’heure où ils vont se préparer pour faire leur concours de cet après-midi. Là, cela ne sera plus l’heure de les embêter” explique Joseph Bart.
Il est un peu plus de 11 heures et la fatigue ne se fait pas encore ressentir. Direction le pavillon 3. Là, c’est l’heure de vraies retrouvailles. Fidélité et convivialité sont les deux mamelles du salon. Joseph Bart voulait nous faire rencontrer ceux qui lui vendent son vin des grandes et petites occasions.
“Avec Joseph Bart, on s’est connu à la foire de Besançon, se souvient Dany Primot. C’est pratiquement le seul du Doubs qui vient faire spécialement sa commande ici. On sait qu’il va venir, on l’attend avec impatience”. Petite dégustation du crémant de la fruitière vinicole d’Arbois avant de passer au stand voisin.
Une histoire de famille, c’est le mari de Dany Primot qui accueille Joseph Bart. Michel Bregand, lui non plus, ne manquerait pour rien au monde ces petits moments où l’on tutoie ses clients. On discute de tout et de rien, on parle surtout de vins. Lui, son domaine c’est celui de Pierre et Marie André, implanté dans le vignoble d’Aloxe-Corton. Un petit verre de Chardonnay attend les Doubistes.
“Les clients, avec le temps, deviennent des amis. Moi, cela fait 40 ans que je viens au salon. Je suis retraité mais je continue parce que les clients ne veulent pas que je m’en aille !” assure le commercial. On a les enfants et même les petits enfants ! C’est exceptionnel. Tous, on est amoureux de notre profession".
Mac Do et Lidl ont beau avoir pignon sur rue au salon, la plus grande ferme du monde parvient à préserver une saveur fragilisée par les exigences de la modernité économique. La saveur d’un monde fait de palabres, de fidélité, de contacts et de goût. L’agriculture s’est industrialisée, les fermes se sont spécialisées, rationalisées, agrandies mais, immuable, le salon vend du rêve, celui d’une agriculture à taille humaine, d’une relation directe avec les hommes et les femmes de la terre. C’est pour vivre cette convivialité que Joseph Bart et ses amis font le voyage à Paris.