Témoignages. "La France ne mérite pas ses profs..." Enseignantes, elles ont décidé de quitter l'Éducation nationale après plusieurs désillusions

Publié le Mis à jour le Écrit par Sarah Rebouh

Trois enseignantes ou professeures franc-comtoises ont accepté de répondre à nos questions et nous expliquent pourquoi elles ont choisi de quitter l'Éducation nationale avant la rentrée 2022-2023. Témoignages.

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"Lorsque je suis entrée dans l'Éducation nationale, j'étais très heureuse l'année où j'étais stagiaire : classe à mi-temps, tuteur disponible, école et collègue sympas... J'ai déchanté dès ma 1e année" confie Clarisse*, enseignante franc-comtoise en disponibilité de l'Éducation nationale depuis maintenant deux ans pour préparer sa reconversion, avant une démission prochaine.

"Je ne veux plus entendre parler de classe et de l'Éducation nationale" dit-elle, sans un brin d'hésitation. Elle a découvert les dessous de l'Éducation nationale et ne mâche pas ses mots, visiblement très affectée par son expérience professionnelle au sein de l'institution publique. Clarisse n'est pas la seule à faire ce choix. En France, les chiffres des démissions d'enseignants ont triplé en dix ans.

"Les conditions de travail y sont tellement difficiles"

"Des enfants rois, qui ne reconnaissent pas l'autorité de l'enseignant et ne le respectent pas, tout simplement parce que leurs parents ne nous respectent pas. Les menaces de certains parents, les classes hétérogènes, trop d'ailleurs", détaille-t-elle, citant des exemples concrets notamment sa dernière classe de CE1-CE2, composée d'élèves en grande difficulté, parfois violents, associés à certains enfants porteurs de handicap, dyslexiques ou avec des troubles de l'attention.

"Comment est-on censé enseigner dans ces conditions ? Comment une enfant qui ne sait pas lire ni additionner des nombres en dessous de 20 est censée poursuivre en CM1 ?" s'interroge-t-elle, dénonçant le manque d'aide et de soutien de la hiérarchie et de l'administration. 

Que tous les gens qui envient nos mois de vacances passent le concours... Les conditions de travail y sont tellement difficiles qu'ils sont prêts à recruter n'importe qui. Mais enseigner ne s'improvise pas.

Clarisse, enseignante future démissionnaire de l'Éducation nationale

"Le sentiment d'être inutile"

Quitter l'Éducation nationale et changer de métier, c'est aussi le choix de Nina*, ancienne enseignante dans le professionnel dans l'académie de Besançon. "Il y a énormément de raisons qui m'ont poussées à quitter l'Éducation nationale. Principalement le sentiment d'être inutile, nous explique-t-elle. On est maltraités par l'institution, qui donne toujours plus de tâches, plus de responsabilités, des élèves de plus en plus difficiles ou en difficulté, sans qu'on ait aucune aide, ni aucune reconnaissance."

Nina a très mal vécu certains propos du précédent ministre de l'Éducation Jean-Michel Blanquer, globalement très critiqué pour sa gestion ministérielle et son manque de communication avec les enseignants et professeurs dénonçant régulièrement leurs conditions de travail et leurs difficultés, notamment au plus fort de la crise sanitaire liée au Covid-19. Elle parle aussi de colère face au "mépris de tous ceux qui pensent connaître notre métier mais sont très loin de la réalité".

"Je n'ai jamais compté mes heures, j'en faisais plus du double de mes heures de cours avec des temps de présence dans l'établissement très longs. Je n'ai jamais eu le sentiment d'être reconnue ou valorisée par rapport à ça" ajoute la jeune femme qui a fini par démissionner. 

Je reste très solidaire de mes collègues enseignants, et je suis très inquiète de ce qui est fait dans l'Éducation nationale et pour l'avenir de nos enfants. C'est une inquiétude permanente. La France ne mérite pas ses profs.

Nina*, ancienne enseignante

Les professeurs remplaçants soumis à un stress permanent

Caroline* a également souhaité répondre à notre appel à témoignages. Elle est professeure certifiée de français en Lettres Modernes. Elle se dit "usée" à cause du stress, du manque de sommeil et de la fatigue que génèrent ses conditions de travail.

La particularité de son poste au sein de l'Éducation nationale engendre des difficultés supplémentaires. Elle est ce qu'on appelle dans le jargon "TZR", c'est-à-dire titulaire en zone de remplacement. "J'adore mon métier, mais à bientôt 45 ans je n'arrive pas à me fixer dans un établissement à cause des suppressions d'heures et de postes. J'ai enfin obtenu un poste "fixe" il y a 4 ans, mais c'était en fait un tiers de poste, voué à être supprimé. Je ne savais pas que ça existait auparavant" explique-t-elle.

Son mari, inquiet pour elle, l'encourage à se reconvertir. Caroline n'a pas encore pris la décision officielle de démissionner mais elle entame un bilan de compétences pour savoir quel chemin professionnel emprunter pour sortir de cette situation de plus en plus complexe. Quitte à tirer définitivement un trait sur ce métier qu'elle aime tant. 

De plus en plus de démissions de profs et de défiance des parents

Les trois Franc-Comtoises citées plus haut ont en commun l’amour du métier d’enseignante, mais la dégradation des conditions de travail et le mode de management dans l'Éducation nationale ont eu raison de leur vocation.

Comme elles, chaque année, de plus en plus d'enseignants et professeurs choisissent de claquer la porte de l'institution publique. De plus, la défiance des parents envers l'école s'aggrave. Selon un sondage IFOP intitulé " Quand les parents notent l'école" publié jeudi 2 septembre 2021 et cité par nos confrères des Echos, près de sept parents sur dix (68 %) n'ont pas confiance en l'institution pour endiguer le mal-être des enseignants. Même constat quant au contenu des cours pour leurs enfants : 69 % estiment que le niveau scolaire s'est détérioré (+ 6 points par rapport à 2019).

* Les prénoms ont été modifiés pour garantir l'anonymat de nos interlocutrices.

► À lire aussi :

Le nombre de démissions d’enseignants a triplé en dix ans : "C'était trop difficile psychologiquement" - FranceInfo
Personnels de l’éducation nationale : des chiffres qui interpellent - Club Médiapart

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