Pour lutter contre la précarité, Ahmed Abbaci a créé Famine 0%. Un concept qui permet d’éviter le gâchis, nourrir quelqu’un gratuitement et lui faire atteindre l’autosuffisance en l’accompagnant dans la recherche d’un emploi. À chaque restaurant, son étudiant bénéficiaire. Tout étudiant dans le besoin est ainsi le bienvenu, comme nous l'a détaillé le bisontin depuis quatre ans.
30 euros pour un mois après avoir payé toutes les factures, voilà ce qu’il restait à Julie* pour vivre au quotidien lorsqu’elle était étudiante à Besançon. Alors mineure, son alternance dans un club de sport lui rapportait peu et ses parents n’étaient pas en capacité de l’aider. “On était littéralement dans Pékin Express”, affirme Ahmed Abbaci, à l’initiative du mouvement Famine 0%, vers lequel l’étudiante s’est tournée fin 2022.
Lancé en 2019, le concept consiste à parrainer pendant trois mois maximum une personne en situation précaire avec un restaurant attitré selon son lieu d’habitation. Les jours d’ouverture, Julie pouvait ainsi se rendre, ou non, au Bel Air Tandoori de la ville pour y récupérer deux repas choisis et préparés sur place. Et ce le temps de trouver un emploi ciblé grâce à l’accompagnement des 7 bénévoles de Famine 0% : création de CV, simulation d’entretien ou reprise de confiance en soi avec une coach certifiée en neurosciences… En un mois et demi, c’était chose faite pour Julie, permettant ainsi de laisser la place à un autre bénéficiaire. Depuis fin 2020, 57 personnes ont été doublement accompagnées : des familles précaires, des personnes sans domicile fixe et une vingtaine d’étudiants.
Supprimer le budget alimentaire
Une aide sous une double forme qui tient donc davantage d’un “écosystème”, qui deviendra bientôt une association, comme le souligne son créateur, originaire de Paris et bisontin depuis quatre ans : “Chaque repas offert est un pouvoir d’achat et du temps supplémentaire. Être à l'abri de la faim joue beaucoup. Couplé à l’accompagnement pour l’emploi, c’est ce qui permet de sortir de la précarité”, indique Ahmed Abbaci, lui qui négocie les repas gratuits avec les restaurateurs, en majorité des fast-food pour le moment.
Ils sont une trentaine actuellement, basés à Besançon (Chez Ali - Restaurant Cassin, Planet-Food, Street’s Burgers), Ornans (Canoë Café), Pontarlier (Mexi Kebab), Lyon, Paris, dans l’Ain ou l’Isère. C’est-à-dire là où il y a une demande d’aide, avec la possibilité de nouvelles recherches de partenariat si besoin. D’autres liens sont également en train de se tisser avec des restaurants étoilés, ce qui convient parfaitement à Ahmed, qui aimerait que l’ampleur de son concept devienne nationale. Pour cela, il compte sur sa formule pour “autofinancer les repas” applicable dans tous les restaurants : via des suppléments payés ou les aliments laissés par les clients : “Ce ne sont pas des restes, mais des invendus, ça amortit le gaspillage. Le but, c'est d’y penser avant de gaspiller”, précise-t-il.
"Au début le repas était préparé avant, mais parfois l’étudiant ne pouvait pas venir, donc maintenant c’est cuisiné à la venue, avec des produits frais."
Ahmed Abbaci
Pour rester dans cette optique, il a adapté sa méthode en accord avec les restaurateurs et les bénéficiaires : “Au début le repas était préparé avant, mais parfois l’étudiant ne pouvait pas venir, donc maintenant, c'est cuisiné à la venue, avec des produits frais. Le bénéficiaire a le choix parmi 70% de la carte et ce n’est pas une obligation de récupérer un sandwich, ça peut aussi être les condiments”, explique Ahmed, 36 ans. “La personne choisie vient comme un client”, confirme le gérant de Planet Food. “C’est un plaisir d’aider, et en plus ça fait une petite pub”, se réjouit également le gérant de Chez Ali - restaurant Cassin, tous deux à Besançon.
Un changement durable
En devenant un intermédiaire, Famine 0% permet une mobilisation générale : “Tout le monde est gagnant, j’avance avec mon mouvement, les bénéficiaires sont aidés et les restaurateurs amortissent le gaspillage”, avance Ahmed, assistant administratif indépendant en parallèle. Plus qu’une aide ponctuelle, il y voit la possibilité d’aider avec un vrai suivi sur la durée. “On écrit des histoires”, se réjouit-il en partageant avec fierté le retour de Julie, quelque temps après son accompagnement : “Elle a pu se concentrer sur ses études, atteindre l’autosuffisance et réussir à sortir de sa situation. Tout part d’un sandwich. Récemment, elle est partie en vacances aux États-Unis. Elle m’a envoyé une photo pour me remercier d’avoir pu voir le bout du tunnel grâce à cette aide”, raconte-t-il, plein de joie.
Si aucun critère de sélection n’est mis en place pour bénéficier de ce suivi, Ahmed Abbaci souhaite désormais se concentrer majoritairement sur l’aide des étudiants. “Nous accueillons les personnes dans le besoin et qui sont volontaires. On n’attend rien en retour si ce n’est de la sincérité”, souligne-t-il. Pourtant, malgré la facilité à trouver des partenaires, il peine à trouver de nouveaux bénéficiaires, notamment de par la honte qui peut survenir en demandant de l’aide. Parfois, donc, personne n’a été trouvé pour venir chercher ses repas quotidiennement.
"Pousser un flocon de neige pour obtenir une avalanche"
Alors, afin de “trouver un maximum de bénéficiaires”, Ahmed se rend devant les facultés et les écoles pour distribuer des flyers, convaincu que son action peut avoir un impact significatif : “Tout ce que je fais n’est pas vain. Demain, eux aussi, pourraient créer une entreprise, de l’emploi et tendre la main. Au moment où ils allaient abandonner, ils ont trouvé cette aide et je pense que ça participe à changer les mentalités.” Pour lui, lorsqu’il est possible d’aider son prochain, cela devient un devoir.
Et les pouvoirs publics ont d’ailleurs tout intérêt, selon lui, à soutenir ce genre d’initiative : “Si ces personnes bénéficiaient d’aide de l’État ou se rendaient dans des banques alimentaires, une fois qu’elles atteignent l’autosuffisance, ce qui sortait des poches de l’État y rentre. Il y a un intérêt national”, défend Ahmed Abbaci, qui voit plus grand et rêve que ce modèle prenne de l’ampleur : “Si chaque restaurant en France parrainait une personne, ce serait des centaines de milliers de personnes sorties de la précarité chaque année. Ce n’est pas négligeable.”
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*Le prénom a été modifié.