L'arrêt du premier des deux réacteurs de la centrale nucléaire de Fessenheim, dans la nuit de vendredi à samedi, est une victoire pour les anti-nucléaire mais une hérésie pour les salariés et les habitants de la petite commune haut-rhinoise, qui ne comprennent pas cette décision.
Opposés à la fermeture de ce premier réacteur, avant l'arrêt du second le 30 juin, certains salariés menaçaient de désobéir et de ne pas appliquer les procédures permettant son arrêt et le découplage du réseau électrique national. Mais tout s'est finalement déroulé sans anicroches. "Le réacteur a été débranché vers 02H00 du matin et il faut saluer le travail remarquable des équipes, ça a été un moment très fort en émotion dans la salle de commande", a-t-on précisé du côté d'EDF. "La procédure s'est déroulée sans aucun problème".
Ce processus s'apparentait à un arrêt de maintenance, sauf que cette fois le réacteur ne sera pas relancé, au grand dam des salariés et des habitants de la région, très attachés à la centrale, qui générait près de 2.000 emplois directs, indirects et induits.
Claude Brender, le maire de la commune, a dénoncé une "euthanasie". "On tue une machine qui aurait pu tourner encore 20 ans" et "on ne sait toujours pas pourquoi", fulminait-il ainsi vendredi soir lors d'une réunion de soutien aux salariés, au coeur du village.
Accompagné d'élus locaux, il sera samedi matin au pied de la centrale pour réclamer que l'Etat n'abandonne pas ce territoire abreuvé depuis 40 ans par les taxes versées par EDF. Ils redoutent que des centaines de familles dotées de revenus confortables ne le quittent.
"Vandalisme climatique"
"Quelques lobbyistes écologistes ont su faire de Fessenheim leur cible", a lancé pour sa part le député LR du Haut-Rhin Raphaël Schellenberger, jugeant la décision de fermer les 2 tranches de Fessenheim "juste invraisemblable".
Les élus seront suivis dans l'après-midi par des associations pro-nucléaire qui veulent "protester contre cet acte de vandalisme climatique et environnemental". De leur côté, les anti-nucléaire sont satisfaits de cette première étape vers la fermeture de la centrale qu'ils espéraient depuis des années. "L'arrêt de cette centrale moribonde est un motif de célébration transfrontalière, mais pas un motif de triomphe", le combustible radioactif restant présent encore plusieurs années sur place, a commenté l'association écologiste allemande Bund, qui s'oppose depuis des années à cette centrale.
L'opération d'arrêt du réacteur met un point final à des années de remous, de débats et de reports sur le sort de la centrale alsacienne, mise en service en 1977. Bâtie à la frontière entre la France et l'Allemagne, non loin de la Suisse, la centrale est devenue au fil des années le symbole de tous les dangers de l'atome pour les anti-nucléaire des trois pays, qui n'ont cessé de pointer, outre le vieillissement qui complexifierait le remplacement de certaines pièces, une situation en contrebas du grand canal d'Alsace et dans une région à la sismicité avérée. Des critiques qui se sont intensifiées après la catastrophe de Fukushima, en mars 2011 au Japon.
"Aucune perte d'emploi"
L'évacuation du combustible de la centrale sera, selon le calendrier prévu, achevée en 2023. Ensuite doit se poursuivre la phase de préparation au démantèlement, processus inédit en France à l'échelle d'une centrale entière qui devrait commencer à l'horizon 2025 et se poursuivre au moins jusqu'en 2040. La ministre de la Transition écologique Elisabeth Borne, venue vendredi rencontrer les élus à Colmar, avant de brièvement passer à Fessenheim saluer quelques commerçants, a promis qu'il n'y aurait "aucune perte d'emploi".
Elle a confirmé la volonté de l'Etat de créer à Fessenheim "un centre d'excellence du démantèlement nucléaire, s'appuyant sur un +Technocentre+ pour le recyclage des matériaux métalliques". Pour Matignon, la fermeture de Fessenheim "constitue une première étape dans la stratégie énergétique de la France qui vise un rééquilibrage progressif" entre les différents types d'énergies, avec une diminution progressive de la part du nucléaire - actuellement de 70%, la plus importante au monde - et une augmentation de celle de l'électricité d'origine renouvelable.
Douze réacteurs supplémentaires, sur les 58 que compte la France, doivent être arrêtés d'ici 2035, sans toutefois conduire à des fermetures complètes de centrales comme à Fessenheim.